Un bidon de pétrole qui se fait musique

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Publié 21/02/2006 par Marta Dolecki

Chaque année, au mois de février, il n’y a pas que le joyeux défilé de festivaliers en costumes colorés qui répand sa magie le long des rues de Port-of-Spain. De nombreuses autres activités viennent rythmer les semaines précédant le carnaval. Aux lendemains de Noël, les habitants de l’île rangent leurs décorations et mettent la main à la pâte pour préparer ce que d’aucuns décrivent comme le plus grand party de la planète.

Le bus remonte lentement les collines de l’île pour enfin arriver à destination. C’est à Laventille, dans ce modeste faubourg niché sur les hauteurs de la ville, qu’est né le premier steel-drum, un fût de pétrole transformé en instrument de musique devenu depuis le symbole de toute une nation. Et, quand ce bidon d’acier se met à jouer ses mélodies vivantes et enjouées, c’est toute l’île qui, instantanément, frémit, s’embrase, et, dans un seul élan, se met à sautiller.

Ainsi, l’or de Trinité-et-Tobago, c’est non seulement son pétrole – ce dernier représente un cinquième des richesses naturelles de l’île – mais aussi son contenant, le baril, qui abrite le précieux liquide. Ce dernier aurait pu appartenir pour toujours à la triste famille des objets ordinaires. C’est sans compter sur la communauté noire de l’île qui l’a hissé au rang de véritable institution.

Des mouvements de baguettes rapides, un bon sens du rythme, des refrains chaloupés, c’est ça le steel-pan qui fait danser tout Trinité-et-Tobago. Comme chaque sport national, la discipline a ses artisans, souvent des gamins de 14, 15 ans, pour qui le tambour métallique est un facteur d’intégration.

Avec aisance, gracieuseté et précision, les orchestres de steel-pan tapent sur des bidons comme on martèlerait les touches d’un piano. Leurs accords donnent naissance à des musiques qui vont de la salsa au calypso en passant par le reggae. Les voir ainsi manœuvrer l’instrument avec autant d’habileté est d’autant plus surprenant qu’ils le font en mémorisant par coeur les morceaux et, parfois, sans réelle connaissance de ce qu’est une partition de musique.

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Dans le quartier de Laventille, des bruits de marteaux s’échappent de l’intérieur d’une bâtisse. Dans l’arrière-cour, quelques ouvriers tentent d’incurver un bidon de pétrole en enfonçant de gros clous à même le couvercle métallique. Les creux ainsi obtenus par les démarcations viendront donner naissance aux différentes notes de musique.

Une fois bien accordé, le pan sera vendu aux différents bands de la ville pour des sommes qui peuvent atteindre plus d’un millier de dollars. Au commencement, le steel-pan pouvait émettre seulement huit notes de musique. Aujourd’hui, il est capable d’en produire une trentaine, toutes plus variées les unes que les autres, à l’instar de n’importe quel instrument de musique.

L’histoire des steel-pans est à bien des égards celle d’une tentative d’affranchissement du peuple noir, qui, dans les années 40, a voulu se libérer du joug du colonisateur européen.

Au beau milieu du carnaval, de la tradition des bals costumés et des réceptions somptueuses organisées par les maîtres, les esclaves, avec raison, ne voulaient pas être laissés en reste. Ils ont alors pris l’initiative d’organiser leurs propres fêtes. Ils faisaient de la musique en tapant sur des couvercles de poubelles vides sur ou encore sur des tambours africains – un instrument hérité de leurs ancêtres.

Avec la Deuxième guerre mondiale est venue l’interdiction par les colons britanniques de s’adonner à ce genre d’activités, ce qui a forcé les aspirants musiciens à trouver d’autres moyens. Les bidons de pétrole laissés par les Américains – qui ont fait de Trinidad une base navale pendant la guerre – ont fourni à la communauté noire de l’île l’instrument parfait pour exprimer leur amour de la musique. Pendant longtemps, dans les rues de la capitale, les différents steel-bands se sont livrés à des compétitions des plus féroces donnant lieu à de terribles bagarres d’où les musiciens pouvaient ressortir avec quelques doigts, voire parfois, une main en moins.

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Le gouvernement de l’île a alors décidé de canaliser ces énergies de façon positive en commençant à faire la promotion du steel-pan. Les bands sont devenus non plus des gangs de rue, mais des musiciens virtuoses vendant leurs CD dans le monde entier.

Ils ont aujourd’hui pour nom Exodus, Desperadoes, Renegades ou encore les Trinidad All Stars. Tous les ans, de façon pacifique, ils s’affrontent durant le carnaval, lors de la finale du Panorama qui réunit les 12 meilleurs orchestres de l’île. Certains bands peuvent contenir jusqu’à 150 musiciens et tous sont en compétition pour le grand titre de champion national.

Avant le grand jour, assister à leurs répétitions dans une arrière-cour pavée de Port-of-Spain constitue l’un de ces rares moments de grâce et d’évasion. Pénétré par les rythmes chaloupés de la musique, pris par la fièvre du tambour, on devient malgré nous le témoin silencieux d’un spectacle détonnant, bientôt suivi par un autre, celui des habitants de l’île qui, pour un temps, retrouvent leur âme de jadis, et heureux comme des enfants, se dandinent au son des tambours de leur pays.

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