Troubles de la personnalité

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Publié 18/12/2012 par François Bergeron

Encore une fois, un homme jusque-là sans histoires, armé de pistolets et de fusils mitrailleurs, entre dans un endroit bondé et abat plusieurs personnes avant de retourner une de ses armes contre lui.

Cette nouvelle tragédie, dans la petite ville de Newtown, au Connecticut, vendredi matin, est d’autant plus poignante, à l’approche de Noël, que ce sont 20 enfants de 6 et 7 ans qui ont été abattus dans l’école élémentaire de Sandy Hook. 

Le tueur de 20 ans, qui a assassiné sa mère, propriétaire de son arsenal, avant de se rendre à l’école, avait, a-t-on dit, des «troubles de la personnalité»… Vraiment?!

On a toujours affaire à une rage de prime abord incompréhensible ou à tout le moins disproportionnée, suite à des échecs professionnels ou sentimentaux, à des railleries ou d’autres vicissitudes. Parfois, c’est simplement à un ennui débilitant que semble succomber un esprit agité.

D’autres massacres trouvent leurs motivations dans des illusions politiques ou religieuses. On continue de les qualifier d’insensés quand ils sont le fait d’un individu isolé. On commence à les rationaliser – et, indûment, à les justifier – quand ils sont associés à un mouvement révolutionnaire ou commandés par un gouvernement.

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On a l’impression que ça n’arrive qu’aux États-Unis, même si autant d’événements semblables sont survenus en Europe et bien sûr chez nous, à Montréal, en 2006 (Dawson) et 1989 (Polytechnique). C’est qu’on perçoit facilement les États-Unis comme une seule nation de 300 millions d’habitants, alors qu’on rapporte séparément ce qui se passe dans chaque pays d’Europe plutôt que dans l’ensemble, encore abstrait, de 500 millions d’habitants.

Il reste que le taux annuel de 4 à 5 homicides par 100 000 habitants aux États-Unis est beaucoup trop élevé comparé à ceux du Canada, des pays de l’Europe de l’Ouest et du Japon (entre 0.5 et 1.5 par 100 000). Les statistiques sont plus graves, mais aussi moins fiables, pour les pays en développement secoués par toutes sortes de conflits. En Europe de l’Est, en Russie en dans une bonne partie de l’Asie, le taux d’homicides s’élèverait à 6 par 100 000. Il serait de 15 à 30 en Amérique latine et de 20 à 30 en Afrique.

Les statistiques américaines ne peuvent pas ne pas être directement liées à la plus grande disponibilité des armes à feu en tout genre, y compris les plus puissantes qui ne devraient tout simplement jamais se retrouver entre les mains de civils, encore moins être gardées à la maison.  

Au cours de la fin de semaine, au moins un élu républicain, opposé à tout contrôle des armes à feu, a fait valoir que si la principale de l’école Sandy Hook avait été armée, elle aurait peut-être pu stopper le tireur fou au lieu de se faire tuer en allant à sa rencontre. On avait entendu ça aussi cet été, lors du carnage dans un cinéma au Colorado: si seulement des gens dans la salle avaient été armés, ils auraient pu se défendre… 

Une telle course aux armements, au sein de n’importe quelle société, aurait certainement des conséquences catastrophiques, la moindre dispute risquant de se terminer en bain de sang.

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Souhaitons que de moins en moins d’Américains soient convaincus par de tels arguments, et qu’on ait la décence de ne pas les répéter pendant cette semaine de funérailles des enfants et des enseignants de Newtown.

Oui, les Américains ont gagné leur indépendance et développé leur pays à la pointe du fusil, mais d’autres peuples aussi. Devenir la première puissance militaire au monde, à la faveur des deux guerres mondiales (des initiatives meurtrières européennes…), puis se retrouver au front pendant la Guerre froide, et finir par intervenir dans plusieurs conflits sur tous les continents, a exacerbé l’expertise et l’engouement des Américains pour les armes. Ce ne sera pas facile à changer.

Leur droit constitutionnel de former des milices contre un envahisseur ou un gouvernement central abusif, interprété libéralement comme le droit de chaque citoyen de posséder des armes, reste difficile à préciser ou circonscrire pour les villes, les états ou le gouvernement fédéral. Il faudra cependant s’y atteler, comme le rappelle avec plus d’insistance chaque nouvelle tuerie.

Le Deuxième Amendement a été écrit à l’époque des mousquets. Il est absurde de prétendre aujourd’hui qu’il continue d’autoriser la possession de n’importe quelle arme. La plupart des fusils d’assaut sont aujourd’hui des armes de destruction massive, au même titre que des grenades, de la dynamite ou d’autres explosifs et produits chimiques dont la loi restreint la possession et l’utilisation.

Idéalement, ce sont les Républicains qui devraient prendre le leadership de cette campagne, en vertu du principe selon lequel «seul Nixon pouvait se rendre en Chine» (c’est-à-dire qu’on ne pouvait faire confiance qu’à un anti-communiste notoire comme le président Richard Nixon pour amorcer une détente des relations avec la Chine de Mao et la Russie de Brejnev; un président démocrate aurait été jugé trop accommodant).

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Au lieu de discuter du «précipice fiscal» (mal nommé et probablement nécessaire si on veut un jour rééquilibrer les finances du pays) avec le chef des Républicains à la Chambre, John Boehner, le président Barack Obama devrait l’inviter à examiner avec lui ce que les deux partis peuvent faire pour limiter la prolifération des armes à feu et faire baisser le nombre effarant d’homicides commis aux États-Unis. Des anciens candidats présidentiels comme Mitt Romney et John McCain, voire les anciens président George H. et George W. Bush, pourraient être mis à contribution.

Les Républicains cherchent à récupérer des électeurs qui désespèrent de les voir inféodés à tous les groupes d’intérêts industriels et commerciaux. Voilà une occasion pour eux de montrer qu’ils peuvent s’affranchir d’un lobby comme celui des fabricants et des vendeurs d’armes à feu, tout en continuant de respecter les valeurs fondatrices des États-Unis.

La prévention de crimes monstrueux comme celui de Newtown et l’amélioration de la sécurité publique en général passent aussi par le dépistage et le traitement des maladies mentales, l’éducation, l’orientation et l’encadrement des jeunes, le retour de la prospérité économique et le souci des citoyens pour le bien-être de leur communauté. Toutes les démocraties occidentales ont des défis à relever dans ces domaines; toutes doivent d’abord retrouver un certain optimisme face à leur avenir et à celui de la race humaine.

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Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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