Tout le monde n’a pas la même appréciation des risques

Une app pour calculer les conséquences de nos activités sur notre espérance de vie

Le cinéaste Robert Lang avec le prof David Speigelhalter mangeant des fish&chips, qui valent peut-être quelques micromorts mais qui rendent heureux.
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Publié 07/08/2017 par François Bergeron

Saviez-vous que prendre son vélo pour aller travailler et revenir à la maison, en ville, est plus dangereux que d’utiliser l’auto? L’activité sportive et écolo vaut en effet 30 «micromorts» par 1000 milles parcourus, contre 4 pour l’activité paresseuse et polluante.

Le micromort est une unité de mesure du risque, inventée par un prof de Stanford dans les années 1970, équivalente à une chance sur un million qu’une activité ou un comportement puisse vous tuer, relativement à une distance ou une période de temps.

Bien sûr, il faut aussi comptabiliser les bienfaits de l’activité physique du cycliste pour rééquilibrer notre équation, cette fois avec des «microvies», qui valent chacune une demi-heure d’espérance de vie.

Risques et bienfaits

C’est le prof de statistiques David Spiegelhalter, de Cambridge, qui a développé ces dernières années la mesure des microvies, dans le but d’illustrer l’impact, positif ou négatif, de nos habitudes quotidiennes et de nos activités sur notre espérance de vie.

Surtout, explique le prof Spiegelhalter au documentariste Robert Lang dans son film Risk Factor, on ne peut pas décider de ne plus sortir ou de ne plus manger sous prétexte que tout comporte un risque.

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Même stresser au sujet des risques réduirait notre espérance de vie, reconnaît le cinéaste torontois en entrevue à L’Express. «Mais, tous comptes faits, il est plus dangereux d’ignorer les risques que de les connaître.»

Tous les gens ne sont pas égaux face au cancer.
Tous les gens ne sont pas égaux face au cancer.

Santé personnelle et collective

Celui-ci s’est d’abord intéressé aux risques associés à sa santé au tournant de la cinquantaine: devrait-il passer des tests invasifs de dépistage du cancer de la prostate ou du côlon?

En discutant avec le Dr Peter Lin, de l’Université de Toronto, «je me suis rendu compte que nous sommes mal équipés pour évaluer les risques réels de mourir de ceci ou cela. De la même façon, dans le débat public sur les grands enjeux économiques et sociaux,  nous percevons souvent mal les risques réels, surtout à long terme, de nos décisions politiques.»

Risk Factor, présenté à TFO le 2 août et offert sur TVO.org, sera à l’affiche de Canal D en version française, Facteurs de risque, à partir du 24 août.

L'application mobile Risk Navigator indique le risque associé à diverses activités.
L’application mobile Risk Navigator indique le risque associé à diverses activités.

Une app pour les curieux

La diffusion du film d’une heure coïncide avec le lancement d’une application mobile gratuite, Risk Navigator, qui permet à tout le monde de mesurer, en microvies et micromorts, le degré de risque et de bienfait de diverses activités, du bon gros cheeseburger au parachute, en passant par le ski et la cigarette.

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«Les utilisateurs peuvent aussi suggérer des activités pour lesquelles ils aimeraient évaluer le risque», explique Robert Lang. «S’il existe des données ou si le prof Spiegelhalter peut en trouver, on va ajouter ces activités à l’app.»

Will Gadd escaladant les glaces des chutes Niagara.
Will Gadd escaladant les glaces des chutes Niagara.

Alpinisme et nucléaire

Dans le film Risk Factor, on rencontre un alpiniste des glaces (une activité plus dangereuse que le parachute, mais moins que le base jumping, le vol plané en sautant d’une falaise), un patrouilleur de ski spécialiste des avalanches (le ski est sécuritaire en station, beaucoup moins en hors-piste), la superviseure d’un réacteur nucléaire sur le campus de l’Université McMaster (parfaitement sécuritaire, croyez-le ou non) et un expert du terrorisme (spectaculaire et hypermédiatisé, mais représentant chez nous un risque infime: 1/10 de micromort dans toute notre vie)…

«Il faut bien connaître la nature du danger et nos propres limites», indique l’alpiniste Will Gadd, qui ne renoncera pas au plaisir (des microvies) que lui procurent ses ascensions casse-cou sous prétexte qu’elles valent un nombre appréciable de micromorts.

On sait déjà que fumer, abuser d’alcool et passer des heures devant la télé (ou travailler assis toute la journée) sont des activités néfastes pour la santé, comme on connaît les bienfaits des activités sportives et de plein air. On va tous finir par mourir, mais on peut retarder l’échéance.

Une partie du réacteur nucléaire de l'Université McMaster dans son bassin d'eau.
Une partie du réacteur nucléaire de l’Université McMaster dans son bassin d’eau.

Risques à long terme

Le plus difficile est d’évaluer les risques collectifs à long terme posés par l’immigration en provenance des pays musulmans, les changements climatiques, les inégalités économiques, le commerce de la drogue ou celui des armes à feu, et d’autres problématiques.

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«Plusieurs politiciens exagèrent les risques pour entretenir la peur», dénonce le prof de Harvard Bruce Schneier, «et les citoyens préféreront des dirigeants forts qui sont dans l’erreur à d’autres paraissant plus faibles mais qui ont raison».

Robert Lang et ses interlocuteurs plaident pour un droit du public à recevoir l’information la plus juste sur les avantages et les désavantages réels des politiques en vigueur et de celles qui sont proposées.

«Cette information équilibrée est difficile à trouver aujourd’hui», croit le cinéaste, «parce que les sentiments prennent facilement le dessus: tous ceux qui ont des idées tranchées sont convaincus d’avoir raison.»

Le terrorisme, événement rarissime en Amérique du Nord, a frappé le marathon de Boston en 2013.
Le terrorisme, événement rarissime en Amérique du Nord, a frappé le marathon de Boston en 2013.

Cultures politiques

«Notre perception du risque nous divise», dit-il. C’est le sujet d’étude du prof de droit Dan Kahan, à Yale, qui va jusqu’à dire que «les gens intelligents qui restent cantonnés dans leurs perceptions et leurs opinions sont peut-être à la source de la plupart des problèmes sociaux».

Celui-ci en vient à attribuer à quatre grands «groupes culturels» des opinions irréconciliables sur une douzaine d’enjeux politiques modernes, soutenant que l’appartenance au groupe (individualistes vs communautaristes, hiéarchistes vs égalitaristes) confirme les orientations politiques des gens et les braque contre ceux qui pensent autrement.

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Comment réconcilier ces antagonismes? Robert Lang souhaite que son film facilite la discussion. Lui-même estime avoir évolué, par exemple, au sujet du nucléaire, auquel il a longtemps été opposé, mais dont il reconnaît maintenant la sécurité et l’utilité, en médecine et comme source d’énergie, suite à sa conversation avec Fiona McNeill à McMaster.

Même Donald Rumsfeld, l’ancien secrétaire américain à la Défense à l’époque de l’invasion de l’Irak motivée par le risque d’armes de destruction massive, se trouve réhabilité dans le documentaire: «Il existe bel et bien, dans la vie, des ‘inconnues connues’ et des ‘inconnues inconnues’», s’émerveille Will Gadd.

Depuis sa fondation en 1980 par Robert Lang, la compagnie Kensington Communications a plus de 200 documentaires à son actif. «Risk Factor a été l’un des plus difficiles à faire», dit-il, «parce que son sujet, le risque à court et à long terme dans nos vie, est très vaste.»

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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