Tenir son bout

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Publié 25/09/2012 par Martin Francoeur

Quel plaisir de vous retrouver! J’espère que vous avez passé un bel été. Que vous avez suivi les Jeux olympiques avec satisfaction, que vous avez profité de vacances pour prendre un peu de repos ou pour visiter des coins de pays remarquables. J’imagine aussi que vous avez dû vous rafraîchir parfois parce qu’avouons-le, l’été a été chaud et plutôt sec.

J’apprécie toujours de reprendre du service dans ces pages même si la fin de la petite pause estivale marque inévitablement l’arrivée de l’automne et, fatalement, le lent chemin vers les mois plus rigoureux.

Fort heureusement pour moi, les quelques semaines de pause pendant l’été me permettent de prendre en note quelques sujets de chroniques qui sont portés à mon attention de différentes façons. Par vos courriels, par vos commentaires sur le site web du journal, par des discussions animées entre collègues journalistes. Parfois, c’est aussi au hasard d’une visite, d’une rencontre, d’un dîner.

Récemment, j’entendais un ami raconter un épisode de service à la clientèle. L’histoire était intéressante, mais c’est l’emploi d’une expression qui a piqué ma curiosité.

Le type en question insistait sur le fait qu’il avait dû demander la présence d’un superviseur pour obtenir un remboursement. Fièrement, il a dit : «Je ne me suis pas laissé faire. J’ai tenu mon bout et je l’ai eu.»

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Tenir son bout. Voilà une expression qu’on entend souvent mais dont l’origine m’est inconnue. Et je fais appel à vous parce que les dictionnaires ne nous éclairent pas vraiment sur le sujet.

On sait ce que l’expression veut dire: tenir son bout, c’est demeurer sur ses positions, résister, ne pas se laisser abattre ou ne pas abandonner une discussion ou un échange. C’est défendre son point de vue, refuser d’abdiquer.

Sur le web, un seul forum de discussion aborde la question. Et un intervenant avance la possibilité que l’expression viendrait du vocabulaire de la voile. Les cordages seraient familièrement désignés comme des «bouts» et le fait de tenir son bout permet de garder le cap.

Mais c’est une explication provenant d’un internaute, qui ne cite pas sa source. Alors ça vaut ce que ça vaut.

Pour ma part, je ne peux m’empêcher de penser aux épreuves sportives amicales que l’on tenait à la fin de l’année scolaire, du temps de l’école primaire.

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Une de ces épreuves était le «souque à la corde» et consistait à mettre un câble dans les mains de deux équipes face à face.

Chaque équipe tirait le plus fort possible de son côté pour faire passer un drapeau attaché à la corde de l’autre côté d’une ligne tracée au sol. Il était essentiel que chaque membre des équipes tienne son bout de corde et tire le plus fort possible pour l’emporter. Le mot «souque» n’est pas listé dans le Robert mais le verbe «souquer» s’y trouve et désigne le fait de «serrer fort» un nœud ou un cordage, par exemple.

Cette image qui consiste à «tenir son bout» se rapproche de celle évoquée par l’emploi figuré donné en exemple plus haut.

On pourrait imaginer deux animaux qui se disputent une proie, chacun tenant son bout et tentant d’enlever l’animal mort à l’autre. Le client qui tient son bout n’abandonne pas une discussion et argumente pour obtenir victoire.

Il y a peut-être une autre piste. Il existe en français une expression familière qui pourrait se rapprocher de «tenir son bout». Il s’agit de «défendre son bout de gras».

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On indique que cette expression signifie «défendre ses intérêts, être égoïste». Le fait de défendre ses intérêts pourrait s’apparenter au sens de «tenir son bout» mais l’allusion à l’égoïsme nous en éloigne un peu.

Qui plus est, l’expression «défendre son bout de gras» serait en fait une extension de l’expression «discuter le bout de gras», reconnue par les dictionnaires. Or, cette expression signifie «discuter de tout et de rien, papoter».

Encore là, les origines de ce fameux «bout de gras» sont nébuleuses. Mais le sens demeure celui de la conversation anodine. L’image projetée par la référence à un quelconque bout de gras a probablement entraîné la création de l’expression «défendre son bout de gras», qui n’est peut-être pas très loin de l’explication des prédateurs qui tentent de défendre leur morceau de proie.

Voilà certainement un autre des mystères de la langue française. Et un joli rappel qu’elle est toujours fortement imagée.

Auteur

  • Martin Francoeur

    Chroniqueur à l-express.ca sur la langue française. Éditorialiste au quotidien Le Nouvelliste de Trois-Rivières. Amateur de théâtre.

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