Tendresses, cochoncetés et intelligence

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Publié 07/02/2006 par Dominique Denis

«Une chanson doit faire rire ou pleurer», disait un jour Sarclo en entrevue. Ce n’est donc pas surprenant qu’il définisse son métier en termes de polarités, puisque le bougre polarise très nettement l’opinion depuis son tout premier album, ironiquement intitulé Plus grands succès, clin d’œil prémonitoire à une carrière passée en marge de la reconnaissance commerciale et médiatique.

Il faut dire que Sarclo profite de sa position excentrique – il est suisse, donc loin du milieu parisien, et architecte à ses heures, donc libre des exigences du business de la chanson – pour nager à contre-courant des idées reçues et des bons sentiments («Je veux bien faire chanteur tendre/Si tendre, ça veut dire bander», lance-t-il sur le magistral Épaule de cochonne).

Naturel, donc, que son propos épingle – ou hérisse carrément – une foule de gens au passage, y compris quelques-uns de ses homologues, Cabrel et Souchon en tête.

Mais son alliage de mots tendres et de mots crus a quelque chose de salutaire: certes, ses chansons font rire, parfois pleurer, mais elles donnent invariablement à réfléchir, en posant sur le monde un regard qui met à nu l’hypocrisie amoureuse autant que le racisme quotidien d’une Suisse cossue (Les Kurdes) ou l’abrutissement du marketing que l’on subit sans broncher (L’amour est un commerce mais la décharge est municipale).

Et s’il était besoin de nous ouvrir une porte d’entrée additionnelle vers cet univers déjà riche d’une douzaine d’albums, Sarclo a choisi de revisiter son catalogue avec la complicité de Bob Cohen, le sorcier de la guitare qui avait aidé Ferland à accoucher de Écoute pas ça, et qui contribue largement à faire de Tendresses et cochoncetés: Compilation acoustique (Productions Côtes du Rhône / Interdisc) un véritable trip pour amoureux de guitares entrecroisées, en plus de régaler les connaisseurs de chansons qui provoquent à l’intelligence, comme disait Ferré.

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Magie malgache

Plus près de nous, Donné Roberts occupe la scène world – et, à ses heures, la scène blues – depuis son arrivée sur nos rives en 1999. Mais le cheminement du guitariste malgache remonte très loin et vaut d’être relaté: entre une enfance bercée par les rythmes du salegy, entre autres idiomes de son île, et son émergence sur la scène canadienne, il y a eu une longue et fascinante parenthèse moscovite, où Roberts (de son vrai nom Rakotomamonjy Dieudonné Roberts) a notamment monté un vaste festival pan-africain tout en animant une émission sur les ondes de MTV Russia.

Riche de cette expérience et de sa récente participation au African Guitar Summit (Juno de l’album de musiques du monde en 2005), Donné a fait de Rhythm Was Born (Autoproduction) un ambitieux condensé d’influences. Lui-même qualifie sa musique de «soul malgache», mais son utilisation de la pédale wah-wah n’est pas sans évoquer le Jimi Hendrix des dernières années, et l’irrésistible Malahelo suggère que son auteur a attentivement écouté le Paul Simon de Graceland, ce qui, en soi, constitue un ironique retour des choses.

Quant à Hira’N’Taolo, Roberts y orchestre, avec un succès mitigé, la rencontre entre les idiomes africains et autochtones, en sollicitant les services du chanteur pow-wow David Deleary.

Il serait superflu d’énumérer toutes les surprises que nous réserve cet album aux grooves hypnotisants. Une chose est certaine: c’est sur scène que la musique de Donné Roberts prend littéralement son envol, faisant corps avec un public irrésistiblement appelé à la danse, comme nous pourrons en témoigner ce samedi 11 février à la Salle Brigantine de Harbourfront.

Un compromis inspiré

À première vue, Annie Poulain (Disques SMC/Collection «Jazzons Québec»/Interdisc), le premier album de la chanteuse jazz québécoise qui s’est signalée à Granby et Petite-Vallée, donne l’impression de quelqu’un qui cherche à ménager la chèvre et le chou: d’une part, on y retrouve une poignée de classiques des répertoires québécois (Rêver en couleurs, de Renée Claude et Le feu à la peau, de Daniel Lavoie), français (Ma préférence, de Julien Clerc), voire brésilien (Retrato em branco e preto, de Chico Buarque), comme autant d’invitations à un public non-jazzophile.

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Lequel sera ensuite appelé à apprivoiser les compositions de Poulain, dont la facture – et l’esprit – nettement plus libres laissent davantage d’espace à l’improvisation, et donc aux excellents musiciens qui composent son quatuor.

Mais sous cette dichotomie superficielle, les deux aspects de la démarche de Poulain se rejoignent. Si Rêver en couleurs (dont le texte a fort mal vieilli, en passant) ne s’éloigne guère de notre souvenir, Annie et son pianiste Vincent Gagnon se rachètent en réinventant Ma préférence en duo, avec une souplesse rythmique et harmonique qui désarçonne d’abord, pour séduire au gré d’écoutes subséquentes. Ce qui, au fond, est ce qu’on attend de tout jazz digne du nom.

Quant à ses propres chansons, Jimmy, par exemple, force est de constater qu’elles ne seraient pas déplacées dans le répertoire de Bori ou de Diane Tell, deux artistes qui ont su marier jazz et chanson. Ainsi, le compromis initial cède peu à peu à un dialogue stimulant entre les idiomes. Car si Annie Poulain possède une voix résolument musicienne (dans le sens où elle la module tel un instrument), elle demeure à la base une amoureuse de ces refrains qui balisent notre mémoire commune.

Sous le signe de la nostalgie

Quant à Nathalie Nadon, elle arrive au jazz par deux chemins différents mais complémentaires: le chant classique et le théâtre. On ne s’étonnera donc pas que So In Love (Autoproduction) prenne par moments des allures de cabaret jazz.

Celle qui admet volontiers avoir plongé dans l’univers de la note bleue en réponse à une gageure (c’était au Saint-Tropez, un resto torontois, il y a quelques années) s’est de toute évidence prise au jeu, et semble s’être trouvé une voix et un répertoire: entre Cosma/Prévert (Les feuilles mortes, en version bilingue) et les frères Gershwin (Embraceable You), entre Kurt Weill (Je ne t’aime pas) et Gilbert Bécaud (Irrésistiblement, un souvenir d’enfance), entre Cole Porter (I Love Paris) et Claude Léveillée (Les vieux pianos), Nadon balise un territoire profondément nostalgique, comme si la chanson était pour elle l’occasion de faire – et d’offrir – un voyage dans le temps, auquel le trio de Michael Barber, son complice sur scène et dans la vie, prête les couleurs de circonstances.

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Bien servie par sa double formation, la môme Nadon tire honorablement son épingle du jazz, même si So In Love s’inscrit dans une démarche déjà familière à quiconque suit le milieu depuis que le succès planétaire de Diana Krall et Cie a suscité mille vocations.

So In Love sera lancé au Lula Lounge (1585 Dundas Ouest) le mardi 21 février à 19h30 (entrée libre).

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