Sous le soleil de Boucher

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Publié 16/12/2008 par Dominique Denis

J’ai déjà fait un bout de chemin en compagnie de Le soleil est sorti (GSI Musique), le troisième album studio de Daniel Boucher. Un chemin qui a mené d’une relative incompréhension à une franche admiration, et qui illustre bien le danger des jugements intempestifs (d’ailleurs, il n’est pas de jugement critique qui ne soit intempestif, peu importe le temps de réflexion que l’on s’accorde). Au départ, je dois admettre que j’ai tiqué sur l’écriture récente de Boucher, qui est une des plus novatrices de la chanson québécoise actuelle.

Que s’est-il passé? Plutôt que d’en sonder le fond, je me penchais sur la forme et les procédés, qu’il s’agisse de sa façon d’aligner les répétitions incantatoires, de se fabriquer des néologismes quasi bréliens («Jamais je ne te mononclerai») ou d’accoucher d’images qui peuvent laisser perplexe («Je me baragouine mon île/Et m’agresse la mitaine» ou encore cet étrange «Je me vends le banc de ville») Bref, en ignorant la prémisse de Boucher selon laquelle Le soleil est sorti était «un road trip dans ma tête», je m’évertuais à me pencher sur ce disque comme un prof de lycée sur la copie d’un élève aussi précoce que baveux.

Au fond, j’aurais dû aborder cet album sous un angle plus sensoriel, en me plongeant dans ce bain sonore que Boucher s’est coulé avec la complicité du réalisateur David Brunet. D’ailleurs, en choisissant d’ouvrir l’album sur une pièce instrumentale, les deux acolytes semblent nous dire: «Laissez-vous emporter par la musique, vous réfléchirez après». Faisant écho aux Beatles, période album blanc, ce fameux Ré (admirez le titre!) se veut une célébration du groove et du son, comme pour rappeler qu’au départ – et même après toutes les analyses – ce qui compte le plus, c’est ce plaisir adolescent de faire de la musique.

Que Boucher soit parvenu à concilier sa passion de musicien et son regard tantôt impitoyable de lucidité (Le monde est grand), tantôt moqueur (Perles-tu?), qu’il soit aussi crédible dans le registre de l’attendrissement (Parc Laurier, fruit de ses observations paternelles) et de la réflexion existentielle de Sentir le vide, tout cela démontre qu’on tient là un artiste qui, pour emprunter l’expression d’Ariane Moffatt, a le cœur dans la tête. Il ne s’agit pour nous que de se donner le temps de pénétrer son univers sans a priori et d’en tirer les leçons qui s‘imposent.

Gauthier fidèle à lui-même

Très loin des fulgurances de Ferland ou des turbulences de Charlebois, Claude Gauthier a toujours préféré tracer son chemin le long de rivières plus tranquilles. Il n’a pas eu besoin de s’assagir: même durant ces années folles où les chansonniers se faisaient les porte-paroles du nationalisme émergeant, il a toujours su tempérer ses ardeurs et peser ses mots. C’est sans doute la raison pour laquelle Pour la suite du monde (GSI Musique), un album tissé de tendresse, d’humour et de mélancolie, ressemble à son auteur tel qu’on l’a toujours connu.

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Cela dit, il est erroné de parler ici d’auteur au singulier, puisque ce plus récent opus est placé sous le signe de la collaboration: on y retrouve pas moins d’une quinzaine d’amis, anciens et nouveaux, dont Robert Charlebois, Daniel Lavoie, Robert Léger, Pierre Calvé, feu Sylvain Lelièvre (dont Gauthier a complété un texte inédit, Ma prochaine aventure, c’est toi), sans oublier Georges Moustaki, qui signe les paroles du superbe On a si peu de temps à vivre. Mais s’il fallait choisir la plus belle fleur de ce bouquet, c’est chez Gilles Vigneault qu’il faudrait chercher: en effet, le barde de Natashquan nous rappelle, avec Les fleurs vivaces, qu’au-delà de ses tam-di-de-lams et de ses hymnes au Pays, il demeure le plus grand auteur de chansons d’amour au Québec.

Le fil conducteur, dans cette série de rencontres, c’est bien sûr la voix de Gauthier, qui livre chacune de ces chansons sur le ton de la confidence, et nous donne envie de mieux connaître le bonhomme. C’est d’ailleurs ce que le cinéaste Michel Breault nous donne l’occasion de faire, grâce à un portrait en neuf tableaux présenté dans un séduisant DVD, complément indispensable à ce disque fait pour durer.

De l’enfer à la mer

Forts du triomphe de leur collaboration avec Gilles Vigneault (une rencontre qui, a posteriori, relevait de l’évidence), les Charbonniers de l’Enfer se parent cette fois des couleurs instrumentales de l’ensemble la Nef, le temps de La traverse miraculeuse (ATMA Classique), une collection de chants maritimes qui documente les risques, périls et réjouissances des voyages à l’époque de Champlain et compagnie.

De nouveau, le mariage est tellement réussi que l’on pourrait croire que ces deux formations se côtoient depuis des décennies. Nous renvoyant à cette époque où les musiques dites «classiques» (entendons: jouées à la cour) puisaient leurs rythmes et parfois leurs mélodies à même la rue, La traverse miraculeuse n’est pas sans rappeler les nombreuses incursions trans-stylistiques des Chieftains. Il nous reste à souhaiter que ces les Charbonniers et la Nef se retrouveront pour nous offrir un nouveau voyage sur les mers parfois orageuses du passé.

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