Sortir les patients des cliniques pour de meilleurs diagnostics d’hypertension

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Publié 03/04/2017 par Ève Beaudin

Environ 20% des personnes qui prennent des médicaments pour l’hypertension en prendraient pour rien! La pression artérielle de notre Détecteur de rumeurs a bondi d’un coup quand il a lu cette donnée relayée par de nombreux médias, la semaine dernière.

Comment expliquer ce nombre extraordinaire de surdiagnostics? À la lecture des informations qui ont été publiées, on pourrait croire que la désuétude des appareils manuels utilisés par les médecins en cabinet constitue la raison principale.

Or, d’autres facteurs seraient en cause et il semble qu’il faudrait même sortir les patientsues  des cliniques, si on veut faire de meilleurs diagnostics de l’hypertension.

Appareils manuels

C’est une étude publiée la semaine dernière dans le journal Canadian Family Physician qui a attiré l’attention des médias. On peut y lire que 52% des médecins canadiens utilisent toujours un appareil manuel pour mesurer la pression de leurs patients.

Or, de nombreuses études ont démontré que les appareils électroniques sont plus fiables pour dépister l’hypertension. C’est pourquoi le Programme éducatif canadien sur l’hypertension (PECH) recommande aux médecins de famille d’utiliser ces appareils lors des examens de routine.

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Selon les modèles, les appareils électroniques prennent entre trois et six mesures de la pression artérielle du patient en 10 à 15 minutes. «La première mesure est rejetée par l’appareil, car on sait qu’elle est souvent trop élevée. C’est la moyenne des suivantes qui sert au dépistage de l’hypertension en clinique. C’est donc important de prendre plusieurs mesures», explique le chercheur principal de l’étude, le Dr Janusz Kaczorowski, chercheur au CRCHUM, professeur au département de médecine de famille et médecine d’urgence de l’Université de Montréal.

Visites rapides

Ces appareils de lectures automatiques ont beau être réputés plus fiables, encore faut-il bien les utiliser pour faire un bon dépistage de l’hypertension.

«Si le médecin pose des questions au patient pendant les lectures ou si le patient bouge, elles seront erronées. Idéalement, il faudrait que le patient soit seul, immobile, installé confortablement dans une chaise pendant 10 à 15 minutes», précise le Dr Kaczorowski.

Dans la mesure où la plupart des visites chez le médecin sont très rapides et où peu de cliniques disposent d’un espace pour isoler les patients, une telle pratique s’avère rare.

Syndrome du sarrau blanc

De plus, même si elle a été prise dans des conditions idéales, une seule mesure de tension artérielle élevée prise lors d’un examen de routine ne devrait pas servir au diagnostic immédiat d’hypertension.

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Pourquoi? Tout simplement parce que le simple fait de se retrouver dans le cabinet d’un médecin peut faire monter la pression de certains patients, alors qu’ils n’en font pas à la maison!

Ce phénomène bien connu dans la littérature médicale porte un nom: «le syndrome du sarrau blanc».  Plusieurs études ont conclu que ce syndrome toucherait entre 15% et 30% de la population et qu’il peut mener à un fort pourcentage de surdiagnostics.

Hors cabinet

Selon les recommandations du PECH, si un patient fait de l’hypertension lors de son examen de routine, il devrait être soumis à une série d’examens à la maison.

En plus d’éliminer le syndrome du sarrau blanc, ces examens ont l’avantage de mesurer la pression du patient dans son quotidien. «La pression fluctue au cours d’une journée. Le stress, le café, l’effort physique et la fatigue peuvent influencer une mesure ponctuelle. En prenant plusieurs mesures dans le temps, le diagnostic est beaucoup plus fiable», explique le Dr Kaczorowski.

Deux méthodes peuvent être utilisées hors cabinet:

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La première consiste à porter un appareil de monitorage ambulatoire de la pression artérielle (MAPA) qui se porte au bras pendant 24 heures. Cet appareil enregistre des lectures automatiques à intervalles réguliers.

D’après le Dr Kaczorowski, «c’est l’étalon or pour faire un diagnostic parce que l’appareil enregistre toutes les variations de pression d’un patient dans une journée et même la nuit». Il faut cependant noter que le port de cet appareil peut être inconfortable et que le patient doit assumer les frais de location en pharmacie (environ 80$).

La deuxième méthode implique que le patient prenne lui-même sa pression à la maison deux fois par jour pendant une semaine avec un appareil approuvé par Hypertension Canada qu’il devra acheter (à partir de 60$).

Même si ces deux méthodes de prise de mesure hors cabinet sont facilement accessibles, elles restent peu populaires auprès des médecins de famille canadiens. Seuls 36,8 % les utilisent pour diagnostiquer l’hypertension, peut-on lire dans l’étude publiée la semaine dernière.

«Souvent c’est une question d’habitude qu’on ne veut pas remettre en question. De plus, les médecins ne sont pas tous à l’aise pour interpréter les données recueillies par le MAPA et ils n’ont pas nécessairement le temps d’expliquer aux patients comment bien prendre leur pression à la maison avec un appareil», estime le Dr Kaczorowski.

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Un adulte sur cinq

Les surdiagnostics ont des répercussions considérables sur la santé des gens. «Si des gens prennent des médicaments contre l’hypertension alors que leur tension artérielle a été mal mesurée, les implications financières sont importantes, en plus des effets secondaires qui pourraient être évités.»

Rappelons que près de 5,3 millions de Canadiens ont reçu un diagnostic d’hypertension et que les médicaments antihypertenseurs coûtent à eux seuls plus de 1,7 milliard $ par année au système de santé publique canadien. D’ailleurs, des études ont démontré que le MAPA utilisé de façon judicieuse est économiquement profitable.

La pression artérielle est jugée normale lorsque la pression systolique est inférieure à 140 mmHg et la pression diastolique inférieure à 90 mmHg. Au-dessus de ces valeurs, on dit qu’une personne fait de l’hypertension.

Au Canada, un adulte sur cinq est hypertendu. Cela représente le facteur de risque le plus important pour la mortalité et l’invalidité.

Près de la moitié des Canadiens de plus de 60 ans prennent des médicaments pour contrôler leur pression artérielle.

Auteur

  • Ève Beaudin

    Journaliste à l'Agence Science-Presse, média indépendant, à but non lucratif, basé à Montréal. La seule agence de presse scientifique au Canada et la seule de toute la francophonie qui s'adresse aux grands médias plutôt qu'aux entreprises.

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