Si le Canada anglais enquêtait sur la corruption…

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Publié 22/10/2013 par François Bergeron

Le Québec, la province la plus corrompue au Canada? Les juges, procureurs et enquêteurs italiens pensent que ce serait plutôt l’Ontario, vu la forte implantation dans la région torontoise de la N’Dragheta, le crime organisé calabrais qui serait le plus puissant en Europe.

Et selon le magazine The Economist, le Québec aurait de meilleurs journalistes, qui sont à l’origine d’offensives majeures contre la corruption – comme la Commission Charbonneau – dont on aurait bien besoin au Canada anglais.

C’est ce que rapportait mercredi dernier le journaliste Alain Gravel, l’animateur de l’émission Enquête à la télévision de Radio-Canada, à la tribune du Club canadien de Toronto.

Depuis cinq ans, Enquête fouille le dossier du copinage entre entrepreneurs, syndicalistes, mafieux, hauts fonctionnaires et politiciens qui gangrène particulièrement le milieu de la construction et des travaux publics au Québec. Ses reportages et ceux d’autres médias ont choqué la population et forcé les autorités québécoises à agir contre la corruption.

Récemment, M. Gravel et son équipe sont allés jusqu’en Italie pour comparer leurs notes à celles des spécialistes italiens du crime organisé.

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Trafic d’influence

Aucune introspection de ce genre n’est encore menée au Canada anglais, où, pourtant, serait blanchi beaucoup plus d’argent du crime organisé, et où les lois sur le financement des partis politiques, plus laxistes qu’au Québec, faciliteraient le trafic d’influence.

Journaliste depuis 35 ans qui se décrit lui-même comme un «généraliste», Alain Gravel se concentre maintenant presque exclusivement sur les scandales de corruption.

La confiance du public envers ses dirigeants élus et ses élites financières et industrielles avait déjà été ébranlée par les Watergate, Enron, Nortel, Norbourg et, en 2008, par la crise des hypothèques toxiques. Mais, au Québec, indique M. Gravel, les révélations qui ont mené à la création de la Commission Charbonneau «volent le show».

Un ingénieur écoeuré

Il suffit souvent d’un événement mineur pour provoquer un soulèvement, l’étincelle qui met le feu aux poudres.

C’est ainsi qu’Alain Gravel attribut à un individu, l’ingénieur François Beaudry, retraité du ministère québécois des Transports, la paternité du grand nettoyage auquel on assiste depuis plusieurs mois, qui a mené notamment à la démission ou l’arrestation de maires de Montréal et de Laval, et au défilé de personnalités de la mafia, de la politique ou des affaires devant la Commission Charbonneau.

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En 2009, François Beaudry est témoin de pratiques plus que douteuses dans l’attribution de contrats de voirie à Laval: les dés sont pipés d’avance en faveur de certaines entreprises, qui récompenseront certainement les politiciens et fonctionnaires impliqués.

L’ingénieur dépose une plainte à la Sûreté du Québec, mais, après un certain temps, il estime que l’affaire sera étouffée et il décide de parler aux médias, notamment à l’émission Enquête de Radio-Canada et au quotidien La Presse.

C’est dans le sillage de ces révélations que d’autres sources, qui exigent encore souvent que leur identité reste protégée, viennent corroborer les dires de M. Beaudry et révéler d’autres pratiques illégales dans l’attribution de contrats de travaux publics.

L’Omertà est désormais inopérante. Les gens ont moins peur et acceptent de témoigner. La brèche a provoqué une véritable inondation.

D’autres révélations

Et c’est loin d’être terminé: cet automne, la Commission Charbonneau examine les liens entre les syndicats et la mafia. Cet hiver, elle se penchera sur le financement des partis politiques provinciaux.

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«Attachez votre tuque», conseille Alain Gravel, si les tribunaux permettent la diffusion des écoutes électroniques déposées en preuve.

«Les journalistes ont changé le Québec», estime fièrement l’animateur d’Enquête, qui reconnaît que beaucoup de travail reste encore à faire pour éradiquer ou, plus modestement, limiter la corruption des élus dans nos démocraties.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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