Si la tendance se maintient…

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Publié 05/06/2011 par François Bergeron

Il est toujours risqué de prédire l’issue d’élections à un niveau de gouvernement à partir de résultats récents à un autre niveau. Mais après la victoire de Rob Ford à la mairie de Toronto le 25 octobre, et celle, le 2 mai au fédéral, des Conservateurs de Stephen Harper, premiers en Ontario, il faut prendre au sérieux les sondages favorables aux Progressistes-Conservateurs de Tim Hudak en vue du scrutin provincial du 6 octobre prochain en Ontario.

Élu à la tête de son parti il y a deux ans ce mois-ci, Hudak n’est pas encore très connu, ce qui n’est pas un désavantage ici: il contrôle encore son image. C’est le cas aussi de la chef néo-démocrate Andrea Horwath, élue en mars 2009.

C’est moins vrai pour le premier ministre libéral Dalton McGuinty, au pouvoir depuis huit ans, mais même lui n’est pas exactement une célébrité: les Ontariens s’intéressent bien davantage à la politique fédérale qu’à la scène provinciale (à l’inverse, pour prendre l’exemple le plus extrême, des Québécois).

Il y a quelques jours, à l’occasion d’un congrès à Toronto, les PC ont été les premiers à publier leur programme électoral, le Changebook. Tim Hudak a été (le plus jeune) ministre sous Mike Harris, qui l’a appuyé lors de la course au leadership, mais ce n’est pas une «Révolution» qui est proposée ici.

Comme on s’y attendait, les porte-parole du parti au pouvoir ont affirmé que les promesses contenues dans le Changebook se contredisaient ou reposaient sur des calculs erronés. Mais les commentaires les plus acerbes sont venus… des Conservateurs!

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Après avoir passé deux ans à décrier la nouvelle taxe fédérale-provinciale harmonisée sur les produits et services (plus populaire, dans les milieux d’affaires, que deux taxes séparées), Hudak n’en exempterait finalement que les tarifs d’électricité.

Ceux-ci ont explosé à cause des politiques énergétiques «vertes» des Libéraux, notamment le remplacement de centrales au charbon polluantes (mais plus tant que ça, selon l’industrie et selon, jusqu’à tout récemment, le Parti progressiste-conservateur) par des alternatives plus propres, mais dix fois plus dispendieuses.

On promet maintenant dans le Changebook de compléter la fermeture des centrales au charbon en 2014, tel que prévu par le gouvernement, mais aussi d’éliminer les tarifs subventionnés aux énergies «vertes»: on se fierait donc davantage à l’hydro-électricité, au gaz naturel et surtout au nucléaire, qui produit déjà la moitié de l’électricité consommée en Ontario.

Le budget provincial, lourdement déficitaire depuis la crise financière et celle de l’automobile en 2008, ne sera pas rééquilibré avant 2018, réductions d’impôts obligent. C’est un calendrier quasi-identique à celui des Libéraux.

On ne sabrerait ni dans le système de santé, ni dans l’éducation, les deux plus gros ministères qui comptent ensemble pour les trois-quarts des dépenses du gouvernement provincial. À la lecture du Changebook, on a même l’impression que les PC dépenseraient encore plus que les Libéraux dans ces deux secteurs apparemment sacrés.

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Limiterait-on alors les salaires des fonctionnaires (la moitié du budget de toutes les administrations publiques)? On se contente dans le Changebook (page 15 de la version française) de promettre d’«harmoniser les salaires du secteur public avec ceux du secteur privé». Si Hudak est sérieux – et prêt à affronter les syndicats de la fonction publique, le dernier bastion de ce modèle anachronique – cela signifie geler les salaires des fonctionnaires pendant les quelques années que mettraient les salaires des travailleurs du privé à les rattraper.

À moins qu’on réussisse à couper dans les structures, mais pas dans les services aux citoyens? En santé, Hudak propose l’abolition des nouveaux conseils régionaux (RLISS) dont, effectivement, peu de gens saisissent l’utilité. Il éliminerait aussi l’Office de l’électricité de l’Ontario, encore plus mystérieux. En éducation, cependant, pas question de toucher aux conseils scolaires; du moins on n’en parle pas dans le Changebook. (Alors qu’au Québec, l’ADQ et le proto-parti de François Legault s’en prennent directement aux conseils scolaires.)

Au moins, un nouveau gouvernement progressiste-conservateur abolirait la Commission des droits de la personne? Ce serait rapide et sans douleur, un heureux événement franchement. C’est ce qu’avait promis le candidat Tim Hudak lors de la course au leadership en 2009. Eh bien non! Hudak parle maintenant de «réparer» ou «réformer» la CDP, au grand dam des défenseurs de la liberté d’expression et des droits fondamentaux de ceux qui ont la malchance de se retrouver au banc des accusés de ce tribunal kafkaesque. Et on ne trouve pas un mot là-dessus dans le Changebook.

Hudak se rend ici aux calculs politiques de son aile «progressiste»: non seulement il ne gaspillera pas de temps et d’énergie à débattre de la conception parfois farfelue des «droits de la personne» en Ontario, mais ça lui permettra de démarcher certaines communautés ethno-culturelles avec plus de succès que dans le passé pour son parti.

C’est donc surtout le volet «loi et ordre» du Changebook qui a fait les manchettes, entre autres l’idée que les prisonniers (pas les criminels les plus endurcis, toujours?) devraient accomplir des travaux manuels pour le bénéfice des communautés.

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La proposition la plus bizarre est la création d’un «registre provincial des logements déjà utilisés comme installations de culture de la marijuana et laboratoires de méthamphétamine». À qui ça peut bien servir? La police est déjà au courant. Les voisins aussi. Les agents immobiliers ne vont pas s’en vanter auprès d’acheteurs potentiels. Les trafiquants de drogues préfèrent-ils vraiment réutiliser le logement dans lequel ils ont déjà été arrêtés?

À part ces dérapages amusants, le Changebook s’intéresse tout de même au principal problème du système judiciaire, sa lenteur, à laquelle on pallierait en augmentant les heures d’opération des tribunaux les plus sollicités.

Libéraux et Néo-Démocrates auront fort à faire pour trouver dans ce programme de quoi faire peur au monde. Tim Hudak et les Progressiste-Conservateurs promettent une évolution dans le bon sens… Du moins ce qu’une majorité d’Ontariens considèrent probablement comme le bon sens… Enfin c’est ce qu’on verra le 6 octobre.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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