Retour au travail pour les employés de Radio-Canada

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Publié 09/02/2006 par Marta Dolecki

Dans les locaux du réseau francophone de Radio-Canada, situés à Toronto, sur la rue Wellington, les lumières se sont rallumées, les ordinateurs tournent à plein régime et les employés s’affairent de nouveau à leurs tâches respectives. L’entente de principe survenue entre le syndicat et les dirigeants de la Société d’État a finalement permis le retour au travail des 5 500 membres du personnel de CBC/Radio-Canada, en lock-out depuis le 15 août denier.

Après avoir repris possession des lieux, les employés se sont rapidement replongés dans le bain des nouvelles et de l’information.

Tout comme ses collègues de la télévision et de la radio française, Yves Larouche a repris le chemin du bureau après avoir été absent du micro pendant près de deux mois.

L’animateur radio de l’émission Y’a pas deux matins pareils fait part de ses premières impressions sur la reprise des activités à Radio-Canada.

«Évidemment, ce n’est pas une atmosphère habituelle, remarque-t-il. Quand on revient de vacances, les gens ne partent pas tous en même temps. Mais, mardi dernier, lorsque l’on est arrivés au bureau le matin tous ensemble à 9h, ça ressemblait étrangement à une rentrée scolaire du primaire», commente-t-il au sujet du retour des différentes équipes après huit semaines d’arrêt de travail.

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La semaine dernière, la programmation de la plupart des émissions régionales était revenue à la normale.

Les auditeurs de la Ville-Reine ont ainsi pu renouer avec le visage familier d’Odette Gough au Téléjournal de 17h, tandis que les bulletins régionaux égrenaient les ondes radio, diffusant leur lot d’informations en français plusieurs fois dans la journée.

Concentrés sur l’actualité, désireux de reprendre le travail, les journalistes de la salle des nouvelles, à Toronto, à Ottawa, étaient impatients à l’idée de revenir en ondes.

«On a tous hâte de se relancer dans les nouvelles, parce que c’est notre vie. Je me souviens que lorsque j’ai fait mon premier reportage la semaine dernière, il y avait énormément de fébrilité, je me sentais un peu comme un débutant», lance Patrice Roy, chef du bureau de Radio-Canada à Ottawa.

Nouvelle programmation, nouveaux défis

Nouvelles grilles horaires, nouvelles formules; la reprise des activités à Radio-Canada a nécessité des ajustements de la part de tous les membres du personnel. «On a avancé notre émission d’une demi-heure, explique Yves Larouche. La première heure comporte maintenant un volet national. On doit concevoir une nouvelle façon de s’adresser à l’auditoire. D’habitude, on finalise nos idées durant l’été, mais en raison du lock-out, nous n’avons pas eu l’occasion de le faire. On n’a pas le choix, il faut être bon tout de suite.»

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Le lock-out décrété par la direction de Radio-Canada a débuté le 15 août dernier, paralysant le travail des employés du réseau anglais, comme du réseau français, en poste à l’extérieur du Québec et de Moncton. L’arrêt de travail aura duré huit semaines.

Plus tôt dans le mois, les deux parties sont finalement parvenues à s’entendre sur un accord de principe. Ce dernier a été conclu entre la Société d’État et la Guilde canadienne des médias (GCM), le syndicat qui a représenté les 5 500 employés pendant le lock-out.

L’entente de principe: victoire ou compromis acceptable?

L’entente de principe, ratifiée à 88,4% par les membres de la GCM, comprend une augmentation salariale de 12,6% d’ici son échéance, le 31 mars 2009.

Sur la question du nombre d’employés contractuels, l’un des principaux points de litige, la convention collective prévoit un plafond limitant l’embauche de contractuels à 9,5% de la main d’œuvre totale.

«On n’a pas tout obtenu, mais cette entente constitue un compromis favorable, fait valoir Daniel Bouchard, qui anime à RDI l’émission L’Ontario en direct. Compte tenu de ce que voulait faire la direction, on s’en tire relativement bien. On a réussi à faire en sorte que certains employés contractuels deviennent permanents. C’est donc une bonne nouvelle.»

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Cette bonne nouvelle constituerait-elle en soi une victoire pour l’ensemble des employés de Radio-Canada? «Il ne faudrait pas exagérer, tempère Patrice Roy. On a limité le désir absolu de la direction d’avoir appel à des contractuels. On a également obtenu une augmentation de salaire. Je pense que tout cela est acceptable. Est-ce que l’entente constitue une victoire? Je dirais que non, il ne faut pas exagérer», dit-il.

Un conflit qui laisse des traces

Les employés de Radio-Canada sont maintenant désireux de tourner la page, même s’il demeure difficile pour un conflit comme celui-ci de ne laisser aucune trace. Pendant les semaines de lock-out, chaque employé a vécu le conflit différemment, en fonction de sa sensibilité propre.

«Quand on est en lock-out, ça nous force à réfléchir. Je me suis posé beaucoup de questions, j’ai beaucoup réévalué ma position au sein de l’entreprise. Je me suis demandé si je devais rester ou bien partir, parce que je me disais qu’on avait trahi la loyauté que j’avais envers mon employeur», affirme Yves Larouche.

«Les gens ici, pour la plupart, ne prennent pas l’heure du dîner, on mange dans le bureau un sandwich en vitesse devant l’ordinateur. Quand on se retrouve devant le trottoir à tourner devant l’édifice, tout à coup, on se demande pourquoi on a fait ça, alors qu’ils [la direction] nous ont mis aussi rapidement dehors», justifie l’animateur.

Déception et incompréhension

Chez certains, la colère ressentie durant les semaines de lock-out a fait place à une certaine déception et, surtout, à de l’incompréhension face à la décision du patronat de recourir à un arrêt de travail généralisé.

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«Quand on est employé et qu’on aime notre travail, on a toujours la volonté de faire mieux, mais apparemment, cela n’a pas fait un poids dans la balance, on nous a quand même mis à la porte. Quelque part, il y a un processus de guérison à faire. C’est sûr que, dans la déception, on perd un peu de notre sentiment de loyauté», estime Stéphane Laberge, réalisateur-coordinateur basé à Ottawa.

Comme plusieurs de ses collègues, Daniel Thibeault, correspondant parlementaire à Queen’s Park, questionne la décision de la direction d’avoir eu recours au lock-out le 15 août dernier. «Est-ce que qu’on avait besoin de prendre ce genre de moyens-là pour obtenir ces négociations? J’ai envie de vous dire non, soutient-il. Je pense qu’on aurait pu arriver à ces résultats plus rapidement sans utiliser ce genre de tactique. C’est une approche très agressive que la direction a adopté à notre égard.»

Ses remarques font écho à celles de Patrice Roy. «Je garde un sentiment d’incompréhension par rapport à la stratégie qu’a adopté la haute direction, affirme ce dernier. Je ne comprends pas pourquoi ils nous ont mis en lock-out alors qu’ils auraient pu laisser le syndicat régler les choses. C’est un geste qui était beaucoup trop dur. Ils ont voulu assommer les employés avec une massue. Je pense que ça prenait au contraire beaucoup plus de doigté dans la négociation.»

Les francophones sont les grands perdants du conflit

Finalement, comme l’affirme Daniel Thibeault, ce sont les spectateurs et auditeurs francophones qui ont fait les frais de ce conflit de travail. «Pendant sept semaines, il n’y a pas eu de présence francophone, pas d’émissions francophones, personne ici pour poser au gouvernement des questions sur les préoccupations francophones», fait valoir le journaliste.

L’arrêt de travail qui a touché les employés de Radio-Canada n’est pas le premier du genre. «Quand il y a eu trois conflits de travail en cinq ans, je pense qu’il faut s’intéresser à la question, se demander ce qu’est le problème. Il y a vraisemblablement une analyse à faire de ce côté-là», indique Daniel Bouchard.

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À cet égard, certains journalistes de Radio-Canada, dont Daniel Lessard et Christine St-Pierre, ont fait les manchettes des journaux en demandant la démission du président-directeur général de la Société d’État, Robert Rabinovitch, jugé responsable de la situation.

Pour Yves Larouche, le conflit, s’il a laissé certaines cicatrices, a eu le mérite d’apporter des pistes de réflexion non-négligeables. «Le lock-out est un des éléments qui nous fait avancer. Éventuellement, il y aura une période d’accalmie. On va trouver et établir la mission de Radio-Canada, et c’est alors qu’on comprendra la nécessité d’avoir un diffuseur public au pays.»

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