Repli stratégique

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Publié 21/09/2006 par François Bergeron

La politique américaine au Moyen-Orient – tout le monde le sait, y compris George W. Bush – est un fiasco. Je dis « américaine » mais on pourrait dire « anglophone », parce que ce sont surtout la Grande-Bretagne, l’Australie et, depuis nos dernières élections, le Canada, qui sont associés à ce qui se passe en Afghanistan, en Irak, en Palestine et au Liban. D’aucuns diraient plutôt « américano-israélienne », parce que, depuis quelques années, les interventions de Washington dans cette région du monde paraîssent téléguidées de Jérusalem et servir principalement les intérêts d’Israël.

IRAK

La plus importante de ces interventions, l’invasion et l’occupation de l’Irak, a desservi de façon spectaculaire les intérêts des Américains:
– leur réputation est discréditée par les mensonges et les erreurs de leur gouvernement, et par l’insignifiance manifeste de leur classe politique, médias et intellectuels;
– leur économie (et, par ricochet, la nôtre) est sapée par l’endettement périlleux et le gaspillage énorme occasionnés par cette guerre, et par la pléthore de mesures de sécurité adoptées au pays;
– cette véritable paranoïa a dégradé les droits constitutionnels des Américains et bafoué leur système judiciaire, malmené les droits des étrangers et ignoré les lois des autres pays;
– les menaces d’attentats contre les États-Unis et leurs alliés, loin d’être éradiquées, sont au contraire aggravées par une « guerre au terrorisme » qui révolte non seulement les nations chez qui elle est menée, mais aussi leurs coreligionnaires et leurs enfants nés chez nous.

Que faire? Quitter l’Irak évidemment. Je suis toujours stupéfié d’entendre d’anciens partisans de l’invasion admettre leurs erreurs – voire leurs mensonges – mais affirmer qu’un retrait empirerait la situation. Il est scandaleux qu’aucun comité du Congrès ou candidat présidentiel ne réclame un calendrier de retrait des troupes américaines d’Irak dans les prochains 12 ou 24 mois.

Un mandat de l’ONU serait alors souhaitable pour continuer de protéger la région kurde autonome déjà pacifiée au nord. Mais on devrait laisser les Sunnites du centre et les Chiites du sud se séparer, même si les premiers se tournaient vers les anciens sbires de Saddam et les seconds vers l’Iran. À moins qu’une fois débarrassés de l’occupant américain, ils choisissent enfin de partager le pouvoir afin de restaurer la sécurité, l’eau, l’électricité, le commerce…

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LIBA

Israël, aussi, excelle dans l’art de multiplier inutilement ses ennemis. En attaquant massivement le Liban cet été, en riposte aux incursions du Hezbollah à sa frontières, l’armée israélienne a sans doute réussi à détruire une partie de l’arsenal du « Parti de Dieu » et à forcer la communauté internationale à prendre ces incursions au sérieux, mais au prix d’une légitimation de la présence islamiste d’inspiration iranienne au Liban, en Palestine et dans toute la région.

Loin de guider les pays musulmans vers le libéralisme et la démocratie (l’objectif officiel de la politique américaine et, en soi, un objectif hautement désirable, qu’en temps normal le Canada et le reste du monde occidental devraient partager), l’action israélienne a contribué à affaiblir davantage les gouvernements et les mouvements pro-occidentaux du Maghreb à la Turquie en passant par l’Égypte et la Jordanie.

Que faire? Pour Israël, se retirer de Cisjordanie après Gaza et le Liban. Laisser les Libanais (avec les troupes de l’ONU) s’arranger avec le Hezbollah. Laisser les Palestiniens vivre sous le Hamas. Répondre aux tirs de roquettes et aux attentats sporadiques par des actions de commandos contre les véritables combattants ennemis et leurs chefs, voire contre les régimes qui les financent et qui les arment si on en a des preuves irréfutables, mais pas par des frappes génocidaires, « terroristes », contre des villages entiers. L’appui de la communauté internationale à la sécurité d’Israël pourrait alors retrouver sa légitimité et son influence.

AFGHANISTA

En Afghanistan, la présence des forces de l’OTAN, dont plus de 2000 soldats canadiens, n’empêcheront vraisemblablement pas les Talibans de gagner du terrain et, à terme, de redevenir la principale force politique et militaire du pays. Les Talibans sont des guerriers d’un autre âge. Le système politico-religieux qu’ils veulent imposer serait risible s’il n’était pas si despotique. Ils vivent du trafic de l’opium, rançonnent les villages et bombardent les écoles de filles.

Mais les Talibans sont isssus de la majorité pachtoune du pays. Nous les avons aidé à résister à l’envahisseur soviétique de 1979 à 1989, notamment pour protéger leur « culture » tribale et leur « religion » nihiliste. Les clans du nord du pays, qui avaient collaboré avec les criminels communistes, sont aujourd’hui nos alliés contre les Talibans, mais ils se méfient les uns des autres et n’offrent qu’un appui de circonstance au gouvernement du président Hamid Karzai que nous avons installé à Kaboul.

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Que faire? En l’absence d’un retrait américain d’Irak et d’un meilleur comportement d’Israël, quitter l’Afghanistan. Laisser les Afghans se débrouiller entre eux. Avec la collaboration des pays voisins, notamment du Pakistan, essayer de maintenir une surveillance et une capacité d’intervention visant à empêcher tout génocide et à interdire l’installation de camps d’al-Qaïda sur le territoire afghan – la situation qui avait justifié l’invasion par les Américains suite aux attentats du 11 septembre 2001.

Toutefois, advenant un retrait américain d’Irak et un règlement des conflits entre Israël et ses voisins, l’ONU et l’OTAN seraient sans doute pressées de tout mettre en oeuvre afin de désarmer les seigneurs de guerre et d’aider à reconstruire l’Afghanistan dans des délais raisonnables.

IRA

Ces trois foyers de guerre – l’Irak, la Palestine et l’Afghanistan – accaparent les efforts et les ressources des pays occidentaux, surtout des États-Unis, et les empêchent de se concentrer sur le plus grand danger de la prolifération nucléaire en Corée du Nord, au Pakistan, en Iran et, de là, éventuellement, vers la nébuleuse terroriste… que les guerres en Irak, en Palestine et en Afghanistan stimulent! Dangereux cercle vicieux.

Le régime communiste nord-coréen possède quelques ogives atomiques et des missiles de théâtre. Il cherche surtout à se maintenir en place et à dissuader la Corée du Sud plus riche et la Chine plus puissante de profiter de la faiblesse de son économie et d’une éventuelle révolte de sa population persécutée et affamée. Malheureusement, la cruelle stabilité du régime nord-coréen reste peut-être pour ses voisins le meilleur gage de sécurité.

Le Pakistan s’est également doté d’armes atomiques, principalement parce que son grand voisin indien en a aussi. Pour l’instant, le gouvernement du Pakistan, issu d’un coup d’État militaire, est pro-occidental, mais pas la population. Un nouveau putsch ou une révolte populaire pourrait porter des islamistes au pouvoir au Pakistan, livrant son arsenal et sa technologie de destruction massive à des ennemis de l’Occident.

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C’est précisément ce qu’on tente d’éviter en prétendant interdire au régime islamiste iranien et à son président mégalomane de développer la capacité de produire des armes atomiques. Ici aussi, la présence américaine en Irak et en Afghanistan – soit aux frontières ouest et est de l’Iran – justifie la volonté de l’Iran de se protéger d’un réel envahisseur potentiel. Un retrait américain de l’rak aurait l’avantage d’affaiblir cet argument.

On a raison de vouloir éliminer le régime totalitaire nord-coréen et de favoriser la réunification de la péninsule, de chercher à éloigner le fanatisme religieux et à ramener la démocratie et la stabilité au Pakistan et en Iran. Mais pas par de nouvelles aventures militaires qui jetteraient de l’huile sur le feu.

D’autres conflits violents sévissent au Soudan, au Congo, au Sri Lanka… Des dictatures anachroniques se maintiennent à Cuba, au Bélarus, en Chine… Nous devons aussi nous occuper de nos propres problèmes politiques, économiques et sociaux, pour ne rien dire de la protection de l’environnement, des catastrophes naturelles, des nouvelles épidémies à l’échelle de la planète… Mais, d’abord, il faut sortir des culs-de-sacs et des fiascos.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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