D’esclaves sexuelles à combattantes: le parcours des Yézidis

Rencontre avec la réalisatrice engagée des Filles du soleil

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Scène tirée du film Les filles du soleil de la réalisatrice Eva Husson.
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Publié 10/04/2019 par Claire Gillet

Les filles du soleil d’Eva Husson est un film de conviction, indéniablement féministe. Il sort au TIFF Bell Lightbox ce vendredi 12 avril, sous le titre Girls of the Sun (en français, anglais, arabe et kurde), alors que le dernier bastion du «Califat» de l’État islamique vient de tomber en Syrie.

Nous nous sommes entretenus avec la réalisatrice en septembre dernier, au Festival International de Film de Toronto.

Pas que victimes

L’Express: Pourquoi avoir choisi de parler des femmes Yézidis qui se battent dans le Kurdistan irakien?

Eva Husson: C’est en lisant les journaux à la fin du mois d’août 2015 que j’ai entendu parler des «Filles du soleil», un bataillon de femmes formées pour lutter contre l’État islamique en Irak.

Immédiatement, ce sujet m’a frappée. J’ai fouillé dans les archives cinématographiques et je me suis rendu compte qu’aucun film n’avait jamais été réalisé sur le parcours de femmes combattantes! C’est quand même aberrant en 2018!

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Dans les conflits, on ne parle des femmes que comme des victimes, or leurs histoires sont beaucoup plus complexes. J’ai donc voulu mettre en lumière la force de ces femmes réduites en esclaves sexuelles qui deviennent combattantes.

Eva Husson
Eva Husson, réalisatrice du film Les filles du soleil.

Deux ans de recherches

L’Express: Vous vous êtes rendues au Kurdistan irakien avant d’écrire ce film. La préparation a-t-elle été plus longue que lors de vos premières réalisations?

Eva Husson: Oui, en effet. J’ai passé deux ans à faire des recherches, rencontrer des combattantes et des reporters de guerre.

J’ai interviewé pendant un an Xavier Muntz, un journaliste de guerre, qui a fait un remarquable documentaire sur la reprise de Sinjar par la résistance kurde à l’État Islamique, Encerclés par l’État islamique.

À force de recherches sur le terrain, j’ai fini par retrouver la piste du bataillon des Filles du Soleil, puis à mon retour, j’ai commencé à écrire le scénario.

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Réalité améliorée

L’Express: Le personnage de Bahar est-il inspiré de l’une des femmes que vous avez rencontrées?

Eva Hussons: À vrai dire, je n’ai pas voulu faire un film réaliste. Le bataillon des «Filles du soleil» n’a d’ailleurs jamais combattu.

De la même façon, les événements que je traite ont eu lieu entre août 2014 et novembre 2015, mais moi je les ai condensés dans le film entre août 2014 et novembre de la même année. Cela rendait l’intrigue plus compréhensible.

En ce qui concerne Bahar, j’ai construit son personnage en croisant de nombreux témoignages. Toutefois, je dois dire qu’elle rend hommage à l’une de ces femmes en particulier: Zeri.

Lors d’un entretien que j’ai eu avec elle, elle m’a raconté qu’elle a été vendue 14 fois… Elle a indéniablement insufflé quelque chose au film. Aujourd’hui, elle vit dans un camp de réfugiés.

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Golshifteh Farahani (Bahar) joue la capitaine du bataillon des Filles du soleil.

Actrice qui parle kurde et français

L’Express: Pourquoi avez-vous choisi Golshifteh Farahani (Bahar) et Emmanuelle Bercot (Mathilde) pour jouer les deux personnages centraux de ce film?

Eva Hussons: J’ai parlé de mon projet à Golshifteh avant même d’avoir fini d’écrire le scénario. J’ai à peine pu terminer ma phrase qu’elle m’a répondu: «Je fais le film.»

C’est une grande actrice qui parle kurde et français, et qui a été extraordinaire dans son rôle de capitaine du bataillon.

Quant à Emmanuelle, j’ai pensé à elle, car j’aime son côté sauvage et la sympathie qu’elle dégage. Elle incarne très bien cette reporter de guerre qui n’est pas à l’aise avec sa maternité.

Je connais plusieurs femmes qui partagent ce sentiment tabou. Je pense que plus on montre cette réalité, moins il y aura de contraintes qui pèseront sur les femmes.

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Scène tirée du film Les filles du soleil.

Un film sur les femmes

L’Express: Votre film est indéniablement un film consacré aux femmes. C’est d’ailleurs à l’occasion de sa projection au Festival de Cannes qu’a été réalisée la montée des marches de 82 femmes du cinéma!

Eva Husson: Pour tout vous dire, je garde de Cannes un souvenir très violent, et c’est peu de le dire.

On m’a reproché de m’être centrée sur une histoire de femmes au lieu de traiter du sujet des Kurdes. Force est de constater que les critiques en question n’avaient pas lu mon dossier de presse…

Je l’ai toujours revendiqué: je voulais faire un film sur les femmes, et non un film de géopolitique. En m’attaquant au thème des conflits armés, je m’appropriais un terrain réservé aux hommes, et cela dérange.

Je pense que la réaction à Cannes met le doigt sur un véritable malaise qui existe dans la société française.

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De plus, mon film a été jugé trop «naïf». À mon sens, il ne faut pas confondre naïveté et idéalisme. C’est nécessaire l’idéalisme, c’est ce qui permet à ces femmes de prendre les armes et de rester debout malgré les atrocités qu’elles ont pu vivre!

Scène coupée
Scène tirée du film Les filles du soleil.

Une cause juste

L’Express: Avez-vous hésité à traiter un sujet aussi sensible? N’avez-vous pas pensé à de potentielles représailles?

Eva Husson: Évidemment, je me suis posé la question. Mais c’était clair pour moi, il fallait que je fasse ce film parce que c’était pour une cause juste. Le cinéma peut être un acte politique et je pense qu’à un moment donné, il faut se lancer!

Les gens ont besoin de se connecter avec les réfugiés qui arrivent sur les côtes européennes. S’il existe des tensions migratoires, c’est à cause d’une certaine ignorance. L’empathie repose avant tout sur la connaissance.

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