Refaçonner l’aide en Haïti

Symposium à U of T

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 20/04/2010 par Annik Chalifour

L’Université de Toronto Scarborough a accueilli le symposium Tèt ansanm: diaspora et avenir d’Haïti ce samedi 17 avril. L’événement a souligné, entre autres, la situation précaire des réfugiés haïtiens, l’absence de la voix des femmes haïtiennes dans le processus décisionnel lié à la reconstruction du pays et l’aide biaisée de la communauté internationale.

Le symposium a réaffirmé l’importance pour la diaspora de jouer un rôle de premier plan dans tout plan stratégique voué au développement équitable et durable d’Haïti.

S’inscrivant dans la lignée des nombreuses discussions internationales sur l’avenir d’Haïti, les conférences ont mis l’accent sur des échanges portant sur les stratégies d’appui aux efforts de reconstruction des sociétés civiles, de l’infrastructure urbaine, de la vie économique et de l’éducation en Haïti.

Parmi les conférenciers figuraient Martine Duviella, cinéaste, Marlène Thélusma-Rémy, sociologue, Jean Saint-Vil, fondateur de l’organisme communautaire de solidarité haïtienne Akasan, Frantz Voltaire, président du Centre international de documentation et d’information haïtienne pour n’en citer que quelques-uns.

«La diaspora haïtienne doit se doter d’une structure mondiale indépendante et autonome: une structure qui ne se laisse pas coopter par les autorités politiques du jour, ayant la capacité de négocier et discuter en toute liberté avec les Haïtiens et leurs alliés, pour faire avancer de façon concrète la reconstruction et ce, dans l’intérêt des Haïtiens», selon Astrid Jacques, haïtiano-canadienne membre du comité organisateur de l’événement et co-fondatrice de l’Institut Alfie Roberts reconnu pour son activisme social.

Publicité

Le Canada veut-il vraiment accueillir plusieurs Haïtiens?

«Une grande partie des Haïtiens présents aux récentes sessions d’information organisées par Citoyenneté Immigration Canada (CIC) pour les renseigner au sujet de mesures spéciales adoptées en matière d’immigration suite au séisme, sont des réfugiés», précise Martine Duviella.

«Ces réfugiés en attente de leur statut ou d’un appel d’une demande rejetée, sont-ils inclus dans la diaspora haïtienne?», demande-t-elle. Une question qui souligne la situation de grande précarité vécue par les réfugiés haïtiens en Ontario.

«Plusieurs d’entre eux transitent des États-Unis et ne savent pas où aller en arrivant ici. Ils sont répartis selon les avis des douaniers à partir d’un abri temporaire à Buffalo pour aboutir dans des villes en périphérie, dont Scarborough, Brampton, Windsor et Welland.»

«En plus d’une perspective d’emploi précaire, les réfugiés ne peuvent pas retourner aux études. Ils ne peuvent non plus être réunis avec les membres de leur famille et ne bénéficient de soins de santé que dans les cas d’urgence. L’attente de leur statut peut durer de deux à quatre ans, pendant laquelle ils vivent dans la peur et l’inquiétude», soutient la conférencière.

Reste à voir quelles sont les intentions réelles du gouvernement canadien à l’égard des ressortissants d’Haïti: le Canada a-t-il vraiment la volonté d’accueillir un grand nombre d’Haïtiens? Selon les statistiques de l’Office des affaires francophones, 20 000 Haïtiens vivent dans la région d’Ottawa et 15 000 dans le Grand Toronto.

Publicité

La reconstruction sans les femmes?

Marlène Thélusma-Rémy, est l’auteure de l’ouvrage intitulé Contribution de la femme haïtienne à la construction et à la survie de son pays publié en 2008, qui se veut un témoignage de ses recherches sur les moeurs et modes de vie des Haïtiennes, résultant d’études supérieures et d’une vingtaine d’années de travail social en Haïti et ailleurs.

L’ouvrage, un bilan sur le rôle des Haïtiennes comme moteur dans le développement d’Haïti, fait partie d’une rare littérature sur la contribution des femmes haïtiennes depuis l’histoire de la révolution d’Haïti jusqu’à nos jours.

Mme Thélusma-Rémy fait référence à l’apport des Haïtiennes à tous les aspects de la vie haïtienne, mais non reconnu par la société et le gouvernement d’Haïti au cours du processus actuel de reconstruction du pays «malgré le fait que l’économie haïtienne repose sur le courage des femmes qui occupent sans relâche de multiples rôles essentiels au soutien de la société d’Haïti, tour à tour mères, éducatrices, travailleuses, agricultrices, professionnelles», affirme-t-elle.

La conférencière informe que de récentes recherches révèlent que les Haïtiennes sont mises à l’écart du processus décisionnel lié à la reconstruction du pays: «Elles ne sont pas représentées lors d’importants forums internationaux de discussions, malgré le fait qu’elles sont au coeur des opérations de secours apportées à toute la communauté, qu’elles reçoivent les fournitures d’organisations non gouvernementales (ONG) qu’elles-mêmes distribuent sur le terrain.»

Mme Thélusma-Rémy ajoute qu’heureusement certaines ONG ont le mandat d’appuyer les femmes haïtiennes.

Publicité

Les ONG à leur propre profit en Haïti?

On se souvient que nombre d’ONG se sont rapidement rendues en Haïti pour démarrer des programmes d’aide médicale et de secours d’urgence suite au séisme du 12 janvier. Certaines d’entre elles étaient déjà en Haïti, impliquées dans la réalisation de programmes de développement à long terme depuis plusieurs années.

Le terme ONG signifie organisation non gouvernementale. Cependant les ONG canadiennes qui oeuvrent à l’extérieur du Canada, ne sont pas réellement non gouvernementales, puisque la plupart d’entre elles sont largement financées par l’Agence canadienne de Développement International
(ACDI).

L’ACDI étant le bras droit du ministère canadien des Affaires étrangères, les ONG se retrouvent ni plus ni moins à appliquer la politique étrangère du Canada sur le terrain, en Haïti comme ailleurs. Encore faut-il bien saisir les nuances et les compatibilités entre les mandats respectifs des ONG et de l’ACDI.

Jean Saint-Vil de Akasan propose, entre autres, de remettre la responsabilité de la reconstruction et du développement d’Haïti à des ONG locales dirigées par les Haïtiens pour les Haïtiens.

Se posent alors d’autres questions liées à l’accompagnement de ces ONG locales.

Publicité

Il faut aussi examiner de quelles façons les fonds des ONG internationales sont dépensés: le transport international et l’infrastructure d’accueil des expatriés sur le terrain; les salaires et bénéfices des employés internationaux et locaux; l’approvisionnement en fournitures destinées au personnel et à la population pour ne mentionner que quelques-unes des dépenses opérationnelles…

D’autre part, certaines ONG travaillent en étroite collaboration avec la communauté haïtienne, dont la Croix-Rouge internationale oeuvrant de pair avec la Croix-Rouge haïtienne dont le mandat rejoint directement les besoins de la population ou Médecins sans frontières, un organisme privé d’aide médicale d’urgence, qui agit de façon plus indépendante, puisque son financement provient du public jusqu’à 75%, un exemple d’activisme social.

Auteur

  • Annik Chalifour

    Chroniqueuse et journaliste à l-express.ca depuis 2008. Plusieurs reportages réalisés en Haïti sur le tourisme solidaire en appui à l’économie locale durable. Plus de 20 ans d'œuvre humanitaire. Formation de juriste.

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur