Recherché: Premier ministre biculturel

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Publié 27/01/2004 par François Bergeron

Le nouveau Parti Conservateur formé par les Alliancistes (ex-Réformistes) et les Progressistes-Conservateurs met les bouchées doubles pour choisir un chef, des candidats et s’organiser en vue d’élections que le premier ministre Paul Martin pourrait tenir dès le printemps.

Élu en janvier 2003 à la tête du Nouveau Parti Démocratique, Jack Layton a eu un peu plus de temps pour se familiariser avec Ottawa, son caucus, les médias, ses adversaires. Il a convaincu Ed Broadbent, ancien chef respecté et encore populaire, d’effectuer un retour à la politique active. Récemment, il a réussi un beau coup en approchant publiquement Sheila Copps et les autres Libéraux de «gauche» évincés par Paul Martin ou inquiets d’un virage à «droite», réel ou appréhendé, de l’ancien parti de Jean Chrétien. Il est déjà en campagne contre une éventuelle participation canadienne au bouclier anti-missiles américain. Bref, il est visible.

Gilles Duceppe, député fédéral depuis 1990 et chef du Bloc québécois depuis 1997, se prépare depuis plus longtemps encore à affronter Paul Martin. Le renversement du gouvernement péquiste par les Libéraux de Jean Charest au Québec en avril 2003 vient renforcer sa position: plusieurs électeurs sont déjà mécontents des Libéraux, d’autres seront soucieux de rétablir un «équilibre» politique entre Québec et Ottawa en votant pour le Bloc.

Pour les mêmes raisons, l’élection des Libéraux de Dalton McGuinty en Ontario le 2 octobre dernier ne favorise pas leurs grands frères fédéraux. Les trois partis d’opposition pourraient donc faire mieux, face à Paul Martin, que la dernière fois contre Jean Chrétien.

L’inconnue reste la performance du nouveau Parti Conservateur: il pourrait réussir à constituer une alternative crédible aux Libéraux (alternative absente de la scène fédérale depuis dix ans) ou il pourrait s’effondrer complètement. Dans le premier scénario, les Conservateurs consolideraient leur position en tant qu’opposition officielle, en gagnant des sièges en Ontario. Les Libéraux pourraient même se retrouver minoritaires au Parlement.

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Dans le second scénario, Paul Martin ferait des gains dans l’Ouest aux dépends des Conservateurs, tandis que le NPD progresserait en Ontario et dans les Maritimes pour former l’opposition officielle.

Le choix du nouveau chef conservateur est donc crucial. Élu à la tête de l’Alliance canadienne en mars 2002 et député deux mois plus tard, Stephen Harper est le mieux préparé et le plus articulé, non seulement pour affronter Paul Martin, mais aussi pour traiter avec les diverses régions du pays, les groupes d’intérêts et les médias en limitant les gaffes.

Au contraire de Tony Clement, il est déjà connu des Canadiens. Pas avantageusement dans tous les milieux… mais cela reste un atout car, non sans raisons, les électeurs se méfient des nouveaux venus et préfèrent avoir le temps d’évaluer les candidats à leur juste mérite. Or quelques semaines seulement pourraient séparer l’élection d’un nouveau chef conservateur du déclenchement des élections.

Belinda Stronach est unilingue, donc disqualifiée.

Même si Stephen Harper obtient la note de passage en français, on ne s’attend pas à ce qu’il accomplisse des miracles au Québec, ni au Canada français en général, ni chez les nombreux Canadiens-Anglais convaincus de la valeur du bilinguisme officiel au pays. On attend toujours de lui non seulement un appui sans équivoque aux politiques de promotion du bilinguisme officiel (envisageable dans le cadre de la fusion des deux anciens partis conservateurs) mais encore des explications, voire des excuses, pour avoir dénoncé ces politiques comme étant «divisives» dans le passé, et pour avoir participé aux campagnes les plus noires de dénigrement des francophones lors des tentatives de modernisation de la Constitution canadienne et lors des référendums sur la souveraineté du Québec.

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Il ne suffit pas, pour le chef d’un parti fédéral, d’être en mesure de livrer un discours, de participer à un débat ou de répondre aux questions des journalistes dans les deux langues officielles du pays. Il faut y croire, recruter des candidats bilingues, proposer des moyens pour le bilinguisme de gagner toutes les sphères de la société canadienne…

Idéalement, il faut aussi connaître non seulement les deux langues mais aussi les deux cultures qu’elles véhiculent. Ça va de soi ou c’est plus facile pour l’élite canadienne-française (Charest, Chrétien, Trudeau) mais c’est encore trop rare au Canada anglais (Mulroney, Martin). Même le séparatiste Gilles Duceppe saisit sans doute mieux la société et la culture canadiennes-anglaises que Stephen Harper ou Tony Clement ne comprennent le Canada français.

Et Paul Martin? Parfaitement bilingue, est-il vraiment biculturel? Il faudrait lui demander qui sont ses auteurs, chanteurs, acteurs, humoristes préférés – anglos et francos. La barre est plus haute pour le nouveau premier ministre que pour Jack Layton et Stephen Harper, qui n’ont pas vécu longtemps en milieu francophone et qui dirigent des partis absents de la scène québécoise.

Né à Windsor en Ontario, Paul Edgar Philippe Martin représente une circonscription montréalaise au Parlement depuis 1988. Son entreprise de transport maritime, Canada Steamship Lines, est basée à Montréal. Mais il a davantage évolué en milieu anglophone.

Est-il autant Canadien-Français que Canadien-Anglais? Les critiques du bilinguisme officiel soulignent que cet animal est rare (moins du quart des Canadiens sont réellement bilingues) et qu’exiger la perfection nuit à la recherche de bons candidats. D’autres y voient une quête malsaine de pureté ethnique (biethnique ici) qui, encore une fois, exclut la majorité des Canadiens. On souligne enfin qu’il vaut mieux tenir des propos sensés dans une seule langue que de dire des âneries dans les deux.

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Il reste que ce pays est formé de deux grandes communautés linguistiques, comme bien sûr de plusieurs groupes sociaux et régionaux, que tout candidat au poste de premier ministre ou à quelqu’autre fonction «nationale» se doit de connaître intimement. Le bilinguisme n’est pas tout. Même que ce n’est pas l’essentiel. Mais c’est le point de départ, une condition sine qua non de toute candidature nationale. Le biculturalisme est encore un luxe.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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