Radio-Canada, ça existe, on l’a

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Publié 25/10/2005 par François Bergeron

Michaëlle Jean n’avait pas à renoncer à sa citoyenneté française, acquise grâce à son mariage, pas plus qu’à sa citoyenneté haïtienne natale, pour exercer ses fonctions de gouverneure générale du Canada. Après tout, sa patronne, la reine du Canada Elizabeth II, est d’abord souveraine et résidente permanente d’un autre pays, la Grande-Bretagne. Entre autres conflits d’intérêts et incongruités anachroniques, Mme Windsor est aussi reine d’Australie et d’Irlande du Nord.

Michaëlle Jean a cédé d’avance devant de faibles critiques pour protéger sa splendide nomination. Pourquoi cette femme qui frayait dans les milieux se proclamant «progressistes» a-t-elle accepté un tel poste, le dernier symbole du colonialisme britannique chez nous? N’aurait-elle pas pu marchander ses services dans le cadre d’une opération visant à canadianiser pour de bon la fonction de chef de l’État?

Michaëlle Jean a accepté parce qu’elle n’aura sans doute jamais une meilleure occasion d’exercer une réelle influence sur la conduite des affaires du pays. Son appel au rapprochement des «solitudes» canadiennes, souvent mal compris, a suscité un grand nombre de réactions. C’était de but de l’exercice. Quel dommage que cela ne vienne pas plus souvent de nos chefs politiques démocratiquement élus!

Le départ d’Adrienne Clarkson et l’intronisation de Michaëlle Jean, deux ex-radio-canadiennes, sont survenus en plein lock-out de CBC, qui aura duré deux mois. Au même moment, la ministre du Patrimoine Liza Frulla réitérait l’appui du gouvernement au principe de la radio et de la télévision publiques, mais elle se disait impuissante à forcer la direction de CBC à reprendre sa programmation normale. Or, si le gouvernement ne peut pas obliger la société d’État à remplir son mandat – qui coûte 1 milliard $ par année aux contribuables – à quoi sert un tel statut?

Plusieurs commentateurs ont suggéré qu’il était peut-être temps de rediscuter de l’avenir de CBC/ Radio-Canada. «Si ça existait, on l’aurait», nous dit le quinquallier Rona dans sa publicité. La direction de CBC/Radio-Canada, elle, nous a forcé à nous poser la question: «Si CBC/Radio-Canada n’existait pas aujourd’hui, faudrait-il l’inventer?»

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Périodiquement, Radio-Canada, la LCBO et d’autres entreprises publiques font face aux mêmes débats existentiels, parfaitement justifiés et légitimes en démocratie. Pourquoi l’État provincial s’occupe-t-il directement de la vente de l’alcool et non de celle des livres ou des vêtements? Réponse: parce c’est comme ça… Pour paraphraser Rona: Radio-Canada, la LCBO et autres, ça existe, donc on l’a! Faute de meilleurs arguments, on invoque aussi le dicton «Si ce n’est pas brisé, n’y touchez pas» («if it ain’t broken, don’t fix it»).

Et pourtant… Personne ne songe à créer un journal étatique bilingue pour complémenter les grands quotidiens, les magazines et la presse locale – toutes des entreprises privées – d’un océan à l’autre. Si la radio et la télévision canadiennes s’étaient développées autour de CTV et TVA, et un peu plus tard autour de plusieurs autres entreprises privées, comme aux États-Unis, souhaiterait-on aujourd’hui créer un radio-télédiffuseur étatique?

Réponse: non. Le Globe and Mail, le Toronto Star, Maclean’s, La Presse, Le Devoir, L’Actualité et plusieurs autres entreprises de presse ne sacrifient pas la qualité à la rentabilité. Pourquoi croit-on encore que Marie-France Bazzo ou La boîte à surprises ne peuvent naître et s’épanouir qu’à Radio-Canada? Plusieurs excellentes dramatiques, téléséries et émissions de variétés sont déjà co-produites par la société d’État et des producteurs privés… quand elles ne sont pas entièrement créées dans le privé et simplement achetées par Radio-Canada.

Un ancien président de la société d’État, Patrick Watson, a proposé de pousser cette logique jusqu’au bout en ne programmant plus que par appels d’offres! La production maison domine encore l’information et les affaires publiques à la télévision, et bien sûr toute la radio, mais ni CBC en anglais ni Radio-Canada en français n’ont le monopole de l’objectivité et de la rigueur… sauf chez les francophones hors Québec, très peu desservis par d’autres radios ou télévisions privées.

Le lock-out de CBC a épargné le Québec mais a eu des conséquences néfastes dans plusieurs communautés francophones, dont celle de Toronto, où des événements importants ont été privés de l’appui promotionnel et la couverture journalistique de CJBC et de la télévision ontarienne de Radio-Canada. TFO a fait ce qu’elle a pu avec son unique émission de nouvelles et d’affaires publiques, Panorama, mais aucune entreprise publique ou privée ne serait présentement en mesure de remplacer Radio-Canada chez nous si ce service venait à disparaître.

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La nécessité étant la mère de l’invention, d’autres médias écrits et électroniques prendraient la relève. Mais, entre temps, Radio-Canada existe et fait son travail. Apprécions donc ce que nous possédons.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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