Quoi de neuf docteur?

Accès aux soins de santé en français

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 09/02/2006 par Marta Dolecki

Si, au plus fort des années 1990, les provinces connaissaient une pénurie de médecins, liée en partie à un exode de la main d’œuvre vers les États-Unis, une étude de l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS) montre que la tendance s’est récemment inversée. En 2004, pour la première fois depuis des décennies, les médecins étaient plus nombreux à rentrer au pays qu’à s’exiler. Mais cela ne suffit pas. À l’échelle du Canada, le nombre de praticiens n’est toujours pas à la hausse. Tandis que la population augmente, les médecins vieillissent et la profession fait les frais d’une crise de vocation. Entre 2000 et 2004, le nombre de jeunes praticiens de moins de 40 ans a chuté de 13%.

Pour la population francophone en Ontario, le problème ayant trait à la pénurie de médecins vient se poser en termes différents. Ce qui, dans une province francophone comme le Québec, pouvait passer pour acquis – à savoir, l’accès à des soins de santé en français – relève ici encore du défi.

Au beau milieu des listes d’attentes qui n’en finissent plus, des praticiens toujours débordés, il s’agit de trouver un médecin qui, non seulement, accepte de nouveaux patients, mais qui, de surcroît, maîtrise suffisamment bien la langue de Molière. Et, dans bien des cas, ce n’est toujours pas une mince affaire.

«Bonjour docteur, je ne me sens pas bien….» Dans un cabinet de médecin, installé confortablement dans un fauteuil, le patient amorce un début de conversation. Comme lors de toute consultation, les 20 premières secondes sont cruciales. Ce sont elles qui vont permettre au praticien d’établir un premier diagnostique concernant le mal dont souffre le patient.

Mais que se passe-t-il si un patient francophone est nerveux, ne trouve pas ses mots, et a du mal à se confier à un docteur anglophone qui le comprend à moitié?

Publicité

Et que se passe-t-il si un nouvel arrivant demande le renouvellement d’un médicament qui existe dans son pays d’origine, mais pas au Canada?

Ces scénarios semblent peu banals, improbables, et pourtant, sont plus fréquents qu’on ne veut bien le croire. Ils illustrent les difficultés quotidiennes auxquelles font face bon nombre de francophones dans la Ville-Reine et un peu partout dans la province. Lorsque des malades dont la langue maternelle est le français décident d’avoir accès à un système de santé où le patient n’est pas vraiment roi, ils n’ont d’autre choix que de composer avec les imperfections du système.

Plus de demandes que de places disponibles

Au Centre francophone de Toronto, il est possible d’avoir accès à un médecin qui parle français. Ils sont cinq au total: trois qui exercent à temps plein et deux qui travaillent à temps partiel. Pourtant, si l’on veut obtenir un rendez-vous avec un praticien en centre-ville, il faut s’inscrire sur une liste d’attente. Combien de temps cela prend-il avant de pouvoir obtenir sa première visite? On ne sait pas trop. «Ça dépend, deux, trois semaines», avance la réceptionniste à l’autre bout du fil.

«On a plus de demandes qu’on ne peut servir de clients. On a certaines priorités qui concernent les cas les plus urgents», explique France Dorion, directrice clinique et infirmière praticienne au Centre francophone. «Parfois, nous avons des patients qui se font traiter par un médecin anglophone, mais qui aimeraient changer. Ces gens-là, on va les faire attendre un peu plus longtemps.»

Si présentement, France Dorion affirme ne pas avoir de poste manquant à combler, elle se rappelle qu’autrefois, le recrutement de médecins francophones au centre n’a pas toujours été chose facile.

Publicité

«Pour l’instant, je touche du bois. Tous nos effectifs sont en place et, avec ça, on va être capable de répondre aux besoins des patients. Cependant, durant ces dernières années, on a été à court de médecins francophones pour toutes sortes de raisons. Les postes qu’on offrait n’étaient pas des postes permanents et à temps plein, mais des postes de remplacement. C’était très difficile à trouver des gens qui étaient intéressés, raconte Mme Dorion. Même à travers l’Association des centres de santé de la région de Toronto, nous avions une liste de gens disponibles pour faire du remplacement. Seulement, aucun d’eux ne parlait français.»

Un meilleur service

Comme tous les intervenants francophones du milieu de la santé, France Dorion est consciente des avantages qui vont de pair avec le fait de pouvoir s’adresser à un médecin dans sa langue natale.

«Le patient doit être capable de communiquer ses symptômes au médecin. En retour, il faut que le médecin donne au patient les directives adéquates, quels signes surveiller, comment bien prendre ses médicaments», fait-elle savoir.

La docteure Anca Facy connaît bien le fond de l’histoire. Elle a travaillé pendant six ans à Montréal, avant de venir s’établir à Toronto. Depuis deux ans, elle possède sa propre clinique dans la Ville-Reine.

Dr. Facy estime que de 10 à 15% de sa clientèle est composée de francophones. Parfois, la docteure provoque la surprise générale, quand, au détour d’une conversation, ses malades découvrent qu’ils partagent avec elle une même langue. «Mon Dieu, mais elle parle français!», entend-elle alors ses patients s’exclamer.

Publicité

«À Toronto, il n’y a vraiment pas beaucoup de médecins qui parlent français, constate Anca Facy. Pourtant, la langue compte beaucoup dans la relation que vous développez avec le patient. On peut établir des rapports plus personnels, les gens se sentent plus à l’aise. On souhaite véritablement garder les patients dans le système. Je connais des gens qui, depuis 3 ou 4 ans, n’ont pas vu de médecin de famille. Ils ont l’habitude de se rendre dans les cliniques sans rendez-vous, mais ne sont pas suivis sur une base régulière», fait-elle valoir.

Un cercle vicieux

La pénurie de médecins au Canada et en Ontario n’est un secret pour personne. En 2004, les résultats d’une étude menée par Statistique Canada indiquaient que plus de 3,6 millions de Canadiens n’étaient pas suivis par un médecin de famille. Un million deux-cent mille n’avaient pas réussi à en trouver un et un autre 2,4 million n’avaient même pas essayé de faire une démarche en ce sens.

Quand les patients qui ne possèdent pas de médecin de famille tombent malades et décident de se faire soigner, sans le vouloir, ils viennent paralyser le bon fonctionnement du système hospitalier. Un après-midi passé aux urgences à St. Michael’s Hospital, dans le centre-ville de Toronto, a l’air bien calme et tranquille. Bizarrement, on se croirait plutôt dans la salle d’attente d’un médecin de famille.

Pas de drame, aucun blessé grave arrivant sur une civière – juste des gens qui attendent sagement leur tour en lisant des revues et magazines, parce qu’ils savent que le temps sera long. Pourquoi? Les malades qui viennent congestionner les urgences s’y présentent pour des soins qui ne nécessitent qu’une simple consultation médicale. Mais, parce qu’ils n’ont pas de médecin attitré, ils vont chercher de l’aide là où ils peuvent en trouver.

D’autres patients sans médecins de famille vont eux utiliser les cliniques sans rendez-vous comme source régulière de soins. Là encore, danger, dans le sens où ces établissements ne dispensent pas toute une gamme d’examens médicaux allant des mammographies aux tests de pression sanguine, en passant par les tests Pap qui visent à prévenir la formation de cancers du col de l’utérus.

Publicité

France Dorion revient sur la pénurie de médecins à l’échelle de la province. «Même dans les milieux anglophones, les centres ont du mal à recruter leurs médecins. C’est alors d’autant plus difficile pour nous», commente-t-elle.

La directrice clinique du Centre francophone affirme que le manque de praticiens touche plus particulièrement les villes du Nord de l’Ontario comme Sudbury, Chatham, Kent, mais aussi des banlieues de la région du Grand Toronto telles que Brampton, Oshawa ou encore Newmarket. La ville de Mississauga ne dispose présentement d’aucun médecin de famille qui soit capable de pratiquer en français. Cette situation oblige les résidents francophones à s’armer de patience pour faire le voyage dans la Ville-Reine chaque fois qu’ils sont malades.

Les solutions

Le rêve ontarien, une des solutions à la pénurie de médecins dans la province, réside peut-être dans la construction de la nouvelle École de médecine du nord de l’Ontario – un établissement à l’approche novatrice, selon Joyce Irvin, directrice générale du Regroupement des intervenantes et intervenants francophones en santé et en services sociaux de l’Ontario (RIFSSSO).

«J’ai vu que 70% des étudiants recrutés devaient être originaires du Nord ou d’une région rurale de l’Ontario. L’école veut que les étudiants fassent leur stage dans un endroit qui soit le plus près possible de leur région d’origine et qu’ils retournent ensuite dans cette région après avoir fini ses études. C’est un concept intéressant qui permettra peut-être de garder nos médecins francophones dans la province», justifie Mme Irvin.

Seule ombre au tableau: si l’école a ouvert ses portes en 2005, il va falloir attendre quelques années avant que les diplômés sortants ne viennent grossir les rangs du nombre de médecins francophones en région.

Publicité

Présentement, la liste des médecins de famille qui dispensent des soins en français dans la région du Grand Toronto et un peu partout en province est disponible sur le site internet du Collège des médecins et des chirurgiens de l’Ontario au www.cpso.on.ca.

«En ce moment, il y a près de 100 médecins de famille dans la région du Grand Toronto qui parlent français et acceptent de nouveaux patients», précise à ce sujet Dan Strasbourg, porte-parole du ministère de la Santé et des Soins de longue durée.

Auteur

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur