Qui prête à Detroit?

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Publié 23/07/2013 par François Bergeron

Jadis un des symboles du capitalisme américain (l’industrie automobile) et de sa culture (la musique Motown), la ville de Detroit est en faillite. Sa population est passée de 1,8 million de citoyens relativement aisés dans les années 1950 à 700 000 beaucoup plus pauvres aujourd’hui. Des quartiers au complet sont abandonnés, d’autres sont de véritables zones de guerre. Les services publics sont à l’avenant.

La métropole du Michigan doit 18 milliards $ à plusieurs banques – dont des banques européennes, à qui Wall Street refile souvent ses comptes les plus risqués, et qui continuent stupidement de les acquérir. Le gouvernement municipal serait l’un des plus corrompus au pays; pas de Commission Charbonneau ici.

Les finances d’une centaine d’autres villes américaines ne seraient guère plus reluisantes. La faillite de gouvernements municipaux et régionaux pourrait bien être le prochain domino à tomber dans cette crise financière qui, depuis 2008, ressemble de plus en plus à un déraillement de train au ralenti.

On en revient toujours aux mêmes causes: spéculation et endettement. Plus précisément: spéculation ou investissement à haut risque, à crédit, de la part de grandes entreprises «too big to fail» ou d’administrations publiques locales encouragées par la perspective d’un sauvetage par le trésor public en cas d’échec, là aussi à crédit.

Les taux d’intérêt proches de zéro jettent de l’huile sur le feu.

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Quand un gouvernement doit emprunter pour payer des gens qui ne travaillent plus (leurs retraités), plutôt que pour financer de nouvelles infrastructures qui favoriseraient le développement, ça va mal.

C’est d’ailleurs aussi (avec le déclin des ventes de leurs véhicules) ce qui avait précipité la crise de l’industrie automobile canado-américaine en 2008: il s’agissait davantage de sauver les pensions des travailleurs retraités que les emplois des travailleurs actifs, moins nombreux.

À chaque nouvelle étape de la crise financière, on se demande pourquoi les banques et les autres firmes d’investissements continuent de prêter aux administrations publiques au bord de la faillite. La réponse tient au fait que ces institutions soi-disant privées sont en réalité inféodées à leurs «clients» gouvernementaux, qui décident des lois qui les régissent (comme il se doit, en démocratie).

Comme les rois, dans le passé, qui finançaient leurs guerres en rançonnant les banquiers. Ces derniers auraient refusé de prêter à leurs risques et périls, et ils étaient plus souvent repayés en titres de noblesse qu’en or ou en argent.

La principale fonction des banques, grandes et petites, est évidemment de prêter de l’argent. À un taux d’intérêt plus ou moins élevé, il s’en trouvera toujours une pour prêter à la Grèce ou pour «restructurer» la dette de l’Italie ou de la Californie… afin de leur permettre de continuer d’emprunter.

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A-t-on vraiment fait le tour de toutes les entreprises innovatrices, de tous les projets porteurs, qui mériteraient du financement, pour que les banques semblent se disputer ainsi l’honneur de prêter aux gouvernements, sous prétexte qu’ils détiennent le pouvoir de taxer leurs citoyens pour rembourser leurs dettes?

Surprise: les gouvernements aussi peuvent déclarer faillite! Et, comme pour les entreprises ou les individus qui larguent ainsi leurs créanciers, les administrations publiques pourraient trouver là l’occasion de repartir sur de meilleures bases, en cessant de vivre à crédit.

La ville de Detroit choisit d’ailleurs la faillite pour se donner les moyens (ses revenus de taxation actuels, plutôt que la fiction sur laquelle reposait ses emprunts passés) de redémarrer sa machine et de fonctionner normalement, libérée d’obligations contractées par des élus qui ne savaient pas compter, ou qui mentaient à leurs électeurs en refilant le problème à la prochaine génération de dirigeants.

La faillite de Detroit a été accueillie, dans l’ensemble, comme une bonne nouvelle.

Vu l’absence de volonté politique et populaire, dans nos démocraties, de prendre le taureau (l’endettement) par les cornes (les dépenses publiques), déclarer faillite et recommencer à zéro devient une option légitime.

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C’est une démarche que prône déjà le principal parti d’opposition en Grèce, et qui gagne chaque jour de nouveaux appuis dans d’autres juridictions, de même que chez nombre d’économistes indépendants… c’est-à-dire qui ne sont pas à l’emploi de grandes banques.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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