Que le vrai Guy Fawkes se lève

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Publié 18/10/2011 par François Bergeron

Le film V for Vendetta (2006), adapté d’une série dessinée (1982), a popularisé chez les anarchistes et d’autres contestataires le masque blanc souriant censé représenter Guy Fawkes, arrêté le 5 novembre 1605, pour avoir tenté de faire exploser la Chambre des Lords à Londres.


Considéré comme le premier «terroriste» de l’histoire, Guy Fawkes participait au «complot de la poudre à canon» visant à assassiner le roi Jacques 1er et restaurer une monarchie catholique sur le trône d’Angleterre. Son arrestation (il a par la suite été torturé et condamné à la pendaison) a longtemps été fêtée annuellement par les protestants britanniques avec des feux d’artifice.


Curieux symbole, donc, récupéré par certains des activistes anti-capitalisme qui manifestent lors de sommets du G20 ou d’activités de type Occupy Wall Street comme le rassemblement de samedi au centre-ville de Toronto.


C’est que le film situe la lutte du héros «V», qui porte ce masque parce qu’il est défiguré, dans une Angleterre futuriste qui a sombré dans le genre de dictature qu’on trouve aussi dans 1984 de George Orwell. Or, ni Orwell ni «V» ne s’en prennent au capitalisme. Au contraire, Orwell anticipait (en 1948) un monde où aurait triomphé partout le communisme au pouvoir en Russie, qui s’est étendu à l’Europe de l’Est après la Deuxième Guerre mondiale et qui a inspiré d’autres révolutions et coups d’État en Chine et ailleurs.


Le libre marché industriel, commercial, financier (le capitalisme ou le libéralisme) est indissociable du libre marché des idées, de la presse et des partis politiques (la démocratie).


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En théorie, la démocratie favorise le capitalisme, parce que les citoyens tendent à élire des dirigeants qui respectent leurs droits. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas: Hitler a été élu en 1933. Plus proche de nous: ce ne sont pas des administrations respectueuses de la Constitution et des idéaux fondateurs des États-Unis qui ont endetté ce pays à la hauteur de 14 trillions $.


Le capitalisme favorise la démocratie en produisant des moyens toujours plus performants de s’informer, de communiquer et de se rassembler, mais surtout en valorisant l’indépendance des citoyens.


Inversement, la dictature politique passe par le dirigisme de l’économie, qui renforce l’État, qui à son tour diminue les libertés personnelles jusqu’au totalitarisme, qui ne peut souvent être renversé que par la révolution. C’est là que «V» ou d’autres héros interviennent, pour réinventer une démocratie libérale. Mais les manifestants qui portent ce masque aujourd’hui semblent avoir des plans très différents.


Le mouvement Occupy Wall Street, rebaptisé ailleurs Occupy Toronto, Occupons Montréal, etc., affirme (anonymement, sur divers sites internet) s’inspirer du Printemps arabe et particulièrement de l’occupation pacifique de la place Tahrir, en Égypte, qui réclamait et qui a fini par obtenir le départ du président Moubarak.


Il faut être poète pour comparer les régimes arabes à nos systèmes politiques. Et rappelons que le Printemps arabe est parti de Tunisie lorsque la police a voulu empêcher un jeune homme de vendre des fruits et légumes sans permis (ou sans pot-de-vin): le jeune «entrepreneur» s’est immolé par le feu, un geste tragique qu’on peut associer à une lutte pour des droits économiques et politiques, mais certainement pas à un mouvement anti-capitalisme.


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Dans le monde arabe comme chez nous, cependant, le chômage est le déclencheur de la révolte. Le taux de chômage a doublé aux États-Unis depuis 2008 et avoisinerait les 20 % en comptant les gens qui occupent un emploi temporaire ou très inférieur à celui qu’ils ont perdu. L’Europe connaît une telle sous-performance depuis plus longtemps; le Canada pas encore… La situation est explosive dans les pays arabes car les jeunes y sont en majorité.


Les rédacteurs d’Adbusters (le magazine de Vancouver qui a lancé OWS) ont retenu de la place Tahrir cette idée de n’exprimer désormais qu’une seule grande demande: une enquête publique sur l’influence de l’argent sur la démocratie, plus précisément sur la collusion entre nos gouvernements, les banques et les grandes entreprises, sur le détournement des lois et des dépenses publiques au profit d’une minorité (1 % de la population, disent-ils).


À une plus petite échelle, au Québec, on réclame aussi depuis plusieurs mois une enquête sur la collusion entre certaines entreprises de la construction, des syndicats, le crime organisé et les gouvernements de la province et des villes pour l’obtention des nombreux contrats de routes, ponts et édifices publics.


C’était là le premier cheval de bataille du Tea Party. Ce mouvement de «patriotes» américains (au sens de 1776) est né, comme OWS, de l’opposition au sauvetage par Washington, sous Bush puis sous Obama, des banques et des entreprises qui ont fait de mauvais investissements (parfois frauduleux) et qui se sont retrouvées au bord de la faillite quand la «bulle» a éclaté en 2008.


Nos gouvernements (pas seulement celui de la Grèce) étaient alors déjà tous trop endettés. Accrocs aux taux d’intérêt proches de zéro, ils ont encouragé la spéculation, garanti les prêts les plus douteux, continué d’imprimer de l’argent de Monopoly. Depuis longtemps, aux États-Unis comme ailleurs, ça n’a plus rien à voir avec le capitalisme, la libre entreprise, le laissez-faire ou le libéralisme classique.


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Le Tea Party est donc parti d’un bon sentiment: revenir à une interprétation bucolique de la Constitution américaine dans laquelle le gouvernement démocratique intervient rarement dans le fonctionnement de l’économie. Moins d’intervention, moins de contrats publics ou d’aides ou de faveurs à octroyer, donc moins de collusion. Malheureusement, ces néo-patriotes sont souvent aussi très religieux et favorisent les gros budgets militaires, alors qu’ils devraient logiquement promouvoir la séparation de l’Église et de l’État et réclamer la fin des aventures impérialistes. Et plusieurs sont des têtes blanches qui défendent leurs propres programmes sociaux.


C’est donc la foire aux contradictions, comme OSW, sur le terrain, est une foire aux revendications (autochtones, environnement, femmes, syndiqués, etc.), malgré sa prétention officielle de ne formuler qu’une seule grande demande.


Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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