Quand une crise en cache une autre

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Publié 04/11/2008 par Nirou Eftekhari

Les marchés boursiers mondiaux ont vu s’évaporer la moitié de leur valeur depuis octobre 2007. L’énormité de cette perte n’est historiquement comparable qu’avec celle survenue lors de la Grande Dépression de 1929.

Bien que cette grave crise financière n’ait pas encore frappé de son plein fouet l’économie réelle, c’est-à-dire la consommation, l’investissement, l’emploi, etc., les économistes sont unanimes en ce qui concerne l’imminence d’une récession prolongée même s’ils ne sont pas toujours d’accord sur son ampleur.

Les raisons profondes de cette crise ne sont pas fondamentalement différentes de celles mises à jour par Karl Marx dans son analyse des crises cycliques au XIXe siècle.

Contrairement à d’autres économistes classiques, tels que Adam Smith, pour qui la poursuite de l’intérêt individuel devait conduire, comme une main invisible, au bien-être général, Marx pensait que la logique de l’exploitation de la force de travail devait inexorablement aboutir à une crise de surproduction. Il concluait par ailleurs que la polarisation de la société préparait le terrain pour l’avènement d’une autre forme d’organisation économique et sociale.

John Maynard Keynes, économiste britannique, en se servant de la théorie de Marx, a par contre tenté de donner un nouveau souffle au capitalisme. Son point de départ est le constat déjà formulé par Marx: dans l’économie de marché, l’offre (la production) n’est pas automatiquement absorbée par la demande. L’écart entre ce qui est produit et consommé peut conduire à une crise grave, d’où la nécessité pour l’État d’intervenir dans l’économie afin de soutenir la demande effective en corrigeant notamment le processus de distribution de la richesse.

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Les politiques économiques interventionnistes d’inspiration keynésienne ont permis aux pays occidentaux de connaître une longue période d’expansion et de stabilité, appelée les Trente Glorieuses, qui a duré jusqu’au début des années 70.

Avec la récession économique généralisée des pays occidentaux en 1974-76, l’efficacité de ces politiques est remise en cause, car la présence d’une relation inverse entre le chômage et l’inflation pendant le quart de siècle qui a suivi la seconde guerre mondiale ne se vérifie plus. On assiste plutôt à la coexistence du chômage et de l’inflation, appelée stagflation. Désormais la lutte contre l’inflation devient la priorité principale.

Milton Friedman, économiste américain et chef de file de l’école monétariste, en offrant une nouvelle formulation de l’ancienne pensée économique libérale, soutient que la demande s’adapte à long terme à l’offre par le jeu des anticipations. Selon lui, cette adaptation rend inutiles les leviers d’intervention de l’État qui entraînent des déficits budgétaires et compromettent la stabilité des prix.

La «révolution libérale», théorisée par Friedman au plan économique, a inspiré plusieurs gouvernements conservateurs au cours des trente dernières années, tels que la junte militaire présidée par Pinochet au Chili, Margaret Thatcher en Angleterre, Ronald Reagan et la famille Bush aux États-Unis. Au nom de la libéralisation ou de la déréglementation, ces gouvernements ont souvent tenté de démanteler tous les garde-fous et moyens de contrôle mis en place dans les années qui ont suivi la Grande Dépression de 1929.

Dans le contexte de désinflation des années 80 et 90, la recherche du profit maximum s’est dirigée dans deux directions parallèles qui sont à l’origine de la crise financière actuelle.

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D’abord, c’est la compression des salaires en raison de la délocalisation des entreprises vers les pays à main d’œuvre bon marché et de la désyndicalisation des salariés. Ce phénomène s’est notamment manifesté par la détérioration du pouvoir d’achat des salariés et la montée de la pauvreté dans les pays riches.

Ensuite, c’est la spéculation sur les marchés boursiers et notamment dans l’immobilier aux États-Unis où les perspectives des profits faciles ont attiré un montant croissant de capitaux circulants à travers le monde, contrepartie des déficits commerciaux américains, qui depuis la suppression de la convertibilité or du dollar, décidée par l’administration Nixon en 1971, sont à la recherche des placements exceptionnels.

La formation de la bulle immobilière a également été facilitée aux États-Unis par l’existence d’un bas niveau de taux d’intérêt dans les années 2000, ce qui a incité un grand nombre de ménages américains à s’endetter, soit pour soutenir leur rythme de consommation en engageant leur maison comme collatéral, soit pour acheter des propriétés dans le but de réaliser une plus-value lors de leur revente. L’effet de levier de ces investissements était particulièrement attrayant car il était possible de réaliser une fortune avec un petit placement initial.

Les banques ont de leur côté contribué à l’endettement massif des ménages dont la solvabilité reposait entièrement sur l’hypothèse de la hausse des prix de l’immobilier.

Ces créances douteuses, appelées «subprimes», émises par les banques de façon inconsidérée ont déclenché une grande instabilité sur les marchés boursiers à partir du moment où les prix immobiliers, de plus en plus déconnectés du pouvoir d’achat réel des ménages, ont commencé à baisser entraînant dans leur mouvement la faillite de ceux qui avaient compté sur la spéculation pour s’enrichir et de leurs bailleurs de fonds.

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L’éclatement de la bulle financière et le processus de désendettement qui s’en suit mettent à nu l’ampleur du défi auquel sont confrontées l’économie américaine et l’économie mondiale: la dette totale des États-Unis est estimée à 3,5 fois leur PIB, un niveau historiquement jamais atteint qui est bien au-delà de leur capacité de remboursement.

On découvre aussi que si l’argent continue à faire défaut, il faudrait s’attendre à la multiplication des faillites, la fermeture des entreprises, la montée du chômage et l’aggravation de la récession. Comme la Grande Dépression de 1929, la crise financière en cours est née des mêmes blocages: la spéculation et le développement des inégalités. Les mêmes causes ont produit les mêmes effets.

La gravité de cette crise fournit peut-être aussi une bonne occasion de s’interroger sur la foi aveugle dans l’efficacité du capitalisme comme mode d’organisation économique et sociale à l’échelle planétaire.

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