Quand Môssieu Druon s’en mêle…

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Publié 21/02/2006 par Martin Francoeur

Je ne sais pas si l’affaire a retenu l’attention en Ontario, mais au Québec, elle a beaucoup fait jaser. On parle mal. Et ce n’est pas chez nous que le secrétaire perpétuel honoraire de la pompeuse Académie française, Maurice Druon, viendra prendre des leçons de français.

Alors qu’il était en entrevue à Radio France Internationale, M. Druon a déclaré que les Québécois s’exprimaient dans un «parler pittoresque» forgé à une époque où ni Corneille ni Racine n’avaient fixé les règles du français. La langue qu’on parle au Canada, a-t-il rappelé, a été importée du parler poitevin, avant Corneille, Racine, Boileau, Vaugelas et, bien sûr, avant l’Académie.

L’ancien secrétaire perpétuel prenait part à un débat sur la féminisation des mots, à laquelle résiste l’institution française. Maurice Druon a repoussé ce qu’il a appelé les «féminisations absurdes» comme celles qu’on propose au Québec sous l’influence, selon lui, des ligues féminines de nos voisins du sud…

Répondant à une linguiste de l’Office québécois de la langue française qui intervenait depuis Québec, Môssieu le Secrétaire perpétuel a indiqué que ce n’était pas au Québec qu’il viendrait prendre des leçons de langue française, tout en faisant remarquer que c’est l’Académie qui était chargée de donner des règles à la langue. Du même coup, il repoussait l’idée d’ajouter un «e» à certains mots pour les mettre au féminin.

Le Québec a été un chef de file en matière de féminisation. De ce côté-ci de l’Atlantique, les mots «agente», «mairesse», «sénatrice», «directrice» et «chauffeuse», par exemple, sont maintenant bien ancrés dans la langue qu’on utilise. L’Office québécois de la langue française les a non seulement reconnus, mais a brossé une liste des formes féminines reconnues pour des noms de métiers ou de fonctions qui peuvent susciter quelques interrogations.

En France, on a toujours été plus réticent. Pourtant, c’est dans ce même pays qu’on utilise des mots anglais à outrance, levant le nez sur des termes en usage au Québec et qui respectent la structure du vocabulaire français. On continue à faire du shopping, à doter la résidence d’un home cinema, à porter des baskets et des sweat-shirts, à passer ses vacances dans un camping car, à prendre le ferry, à faire du mountain bike, à booker des packages, à faire du skate, à sponsoriser des événements…

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Ici aussi on a nos mots anglais, que l’on garde toutefois pour la langue parlée, souvent populaire. En France, on a consacré ces mots dans les dictionnaires, si bien qu’on peut les utiliser à l’écrit. Mais ce n’est pas au Québec qu’on fera la leçon à Môssieu Druon.

Revenons à la féminisation des noms. Oui, il s’agit d’un sujet épineux. Non, on ne doit pas féminiser sauvagement. Mais la féminisation est un phénomène sociolinguistique. C’est la société qui la demande. Et ce qui fait qu’une langue est vivante, c’est justement la capacité de s’adapter aux besoins et aux tendances de la société qu’elle dessert. Je ne crois pas que le Québec ait féminisé des noms pour déplaire à qui que ce soit ou parce que des terminologues, quelque part, se tournaient un jour les pouces et, n’ayant rien à faire, ont décidé de s’attaquer à la féminisation. La réflexion a certes été plus approfondie.

Non, nous ne ferons peut-être pas la leçon à Môssieu Druon. Mais les dictionnaires sont en train de la lui faire. L’Académie s’empoussière. Les Larousse et Robert ont pris le dessus et sont devenus, ne lui en déplaise, les véritables gardiens de la langue française. Ici, on fonctionne autrement. On a peut-être un pittoresque parler d’origine poitevine (dont Môssieu Druon s’est même moqué en ondes, tentant maladroitement de l’imiter) mais on a su, du moins sur le problème de la féminisation, répondre à un réel besoin de société. On a su, je crois, alimenter notre langue.

Qu’il y ait une norme commune, des variantes régionales, des accents et des régionalismes, c’est ce qui fait qu’une langue existe.Autrement, ce serait tellement ennuyeux.

Auteur

  • Martin Francoeur

    Chroniqueur à l-express.ca sur la langue française. Éditorialiste au quotidien Le Nouvelliste de Trois-Rivières. Amateur de théâtre.

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