Quand l’espoir passe par l’athéisme: le point de vue d’un jésuite égyptien

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Publié 27/07/2015 par Janine Messadié

Henri Boulad, jésuite égyptien et éminent spécialiste du catholicisme et de l’islamisme au Moyen-Orient, continue, à 84 ans, de s’interroger sur les thèmes existentiels qui taraudent l’humain depuis des millénaires, mais aussi sur la situation de l’Église actuelle; la montée de l’islamisme politique, du fanatisme aveugle et criminel; la condition des Chrétiens en Terre d’islam et les menaces qui pèsent sur l’Europe.

Observateur privilégié du Printemps arabe et de la Révolution égyptienne de 2011, il parcourt le monde pour apporter, dans ses conférences et entrevues, des clés de compréhension uniques sur la situation actuelle de notre monde de plus en plus complexe et en perte de repères.

Après Paris, Montréal, Ottawa, il sera à Toronto cette semaine pour partager ses observations et ses réflexions sur la montée de l’athéisme en Égypte, sur l’avenir de ce pays au lendemain de sa révolution/contre-révolution, ainsi que sur le sens de la foi chrétienne aujourd’hui. En entrevue à L’Express, s’exprimant avec générosité et passion, il partage quelques réflexions sur les thèmes qu’il abordera au centre culturel Beit Zatoun, les 29 et 31 juillet, à 19 heures, ainsi qu’à l’Alliance française de Toronto, le 30 juillet à 19 heures.

Athéisme et espoir

«La montée de l’athéisme en Égypte est un signe d’espoir. Il signifie que les gens commencent à réfléchir par eux-mêmes, à passer au crible de la critique leurs sociétés sclérosées.»

«Les premiers à le faire, ce sont les musulmans eux-mêmes: jeunes et moins jeunes, écrivains, penseurs, journalistes… Ces libéraux de tous bords refusent un Dieu inhumain, une religion qui écrase l’Homme… Nous ne sommes pas tant face à une guerre de religion qu’à un combat pour ou contre l’homme.»

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«La faiblesse de l’islamisme est de n’avoir d’autre réponse à toute opposition que la violence ou la sujétion aveugle à une charia figée depuis des siècles. On ne peut nier que l’islam est porteur d’authentiques valeurs: le sens de la prière, de la soumission à Dieu, de la communauté… Mais ces valeurs sont piégées par le côté fasciste d’une religion totalitaire.»

«La grande majorité des musulmans rejette cet islamisme radical… Grâce aux médias sociaux, les athées deviennent de plus en plus nombreux. Ils seraient en Égypte de l’ordre de deux à trois millions. L’État ne pourra jamais jeter en prison tant de monde.»

L’avenir de l’Égypte

«Malgré toutes les manipulations dont il est l’objet, le Printemps arabe demeure emblématique. Je crois qu’il est le signe d’un changement en profondeur – ce qui me rend optimiste… Mais sur le long terme. On ne peut rien contre la force de l’esprit, on ne peut indéfiniment aller contre la nature humaine, on ne peut impunément étouffer ce qu’il y a en l’homme de plus irréductible, de plus fondamental: la liberté, la dignité, la vérité…»

«Depuis plus de trente ans, j’appelle l’Occident à soutenir les aspirations des peuples à la liberté. Mais il refuse d’entendre et persiste à s’allier aux fondamentalismes les plus rétrogrades pour des raisons géostratégiques, politiques et économiques. Ce qu’il ambitionne c’est une mainmise sur notre Moyen-Orient regorgeant de pétrole et de gaz naturel.»

«La désinformation est générale et les médias travestissent la réalité, comme c’est le cas pour l’Irak, la Syrie, la Libye, l’Égypte… et tout le reste de la planète. Pas de paix tant que l’Occident poursuivra cette politique écœurante. S’il acceptait de se retirer, on arriverait sans doute à quelque chose.»

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«Tout cela est révoltant! Je n’arrêterais jamais de dénoncer la supercherie, le mensonge, l’injustice… Il faudrait que chacun et chacune s’engage à fond dans ce combat. Ma devise: ‘Changer le monde’. Je cherche par tous les moyens à la faire partager autour de moi. Se convaincre qu’un autre monde est possible. Il n’y a pas de destin, pas de fatalité.»

Le sens de la foi chrétienne

«La foi cherche à donner un sens ultime à ma vie et au monde. Mon existence n’est pas un hasard. Je suis voulu, désiré, aimé de toute éternité, j’entre dans la structure du cosmos. La foi c’est le sentiment que je suis tout pour Dieu et qu’il est tout pour moi…»

«Quand on perd le sens de Dieu, on perd le sens de l’Homme, on perd le sens tout court! La vraie foi est par nature vivante, jaillissante. Elle ne se saisit que de l’intérieur, ne s’éclaire et ne se justifie que dans un vécu quotidien. Il faut en quelque sorte sauter dedans. On trouve alors l’évidence recherchée dans l’expérience qu’on en fait.»

Parcours humaniste

Henri Boulad se situe dans la pure ligne de cet «humanisme chrétien» qui caractérise la spiritualité jésuite et celle de son fondateur, Ignace de Loyola.

Il est né en 1931 à Alexandrie, grande ville portuaire d’Égypte, joyau de l’Antiquité qui compte aujourd’hui quatre millions d’habitants. Il est issu d’une famille syrienne chrétienne catholique de rite grec-melkite byzantin catholique, originaire de Damas, qui s’est installée en Égypte en 1860.

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C’est à l’âge de 16 ans qu’Henri Boulad décide de consacrer sa vie à Dieu et aux autres. Il entre chez les Jésuites à l’âge de 19 ans. Dans les années 50, Il fait son noviciat au Liban, à Bikfaya, avant de poursuivre de grandes études au Liban, en France et aux États-Unis.

Il est diplômé en philosophie, théologie, en psychologie et aussi en dessin et en animation de jeunes. Disciple de Pascal, Teilhard de Chardin et Simone Weil, cet homme de cœur, d’ouverture et d’action, a consacré sa vie à l’éducation, l’enseignement, la transmission du savoir avec cette compréhension profonde du sens de la vie, de l’amour, de la foi, de la mort.

Le souci de venir en aide aux plus démunis et de rapprocher chrétiens et musulmans, l’a amené à assumer d’importantes responsabilités dans sa congrégation et dans diverses organisations caritatives et culturelles. Il a initié de nombreux projets humanitaires et été, entre autres, directeur de Caritas-Égypte et vice-président de Caritas-Internationalis pour l’Afrique et le Moyen-Orient.

En 2007, dans une lettre intitulée SOS pour l’Église d’aujourd’hui et adressée au Pape Benoît XVI, le père Boulad lançait un vibrant appel pour sauver l’Église. Cette lettre traduite dans plusieurs langues, se trouve sur internet. À lire, pour comprendre le combat de toute une vie de cet homme, dont la parole est riche de savoir et d’enseignements… ouvrant une voie qui, au-delà de l’espoir, mène jusqu’à l’espérance.

Auteur

  • Janine Messadié

    Communicatrice d'une grande polyvalence. 30 ans de journalisme et de présence sur les ondes de Radio-Canada et diverses stations privées de radio et de télévision du Québec et de l’Ontario français. Écrit depuis toujours...

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