• Selon l’humoriste Al Franken, animateur de radio et analyste parfois sérieux de l’actualité, George W. Bush a été réélu tout simplement parce qu’un grand nombre d’Américains croient à des choses qui ne sont pas vraies. Par exemple, que Saddam Hussein était complice des attentats du 11 septembre 2001, ou qu’il possédait des armes nucléaires qu’il s’apprêtait à fournir à des terroristes ou à utiliser lui-même. En réalité, un grand nombre d’Américains mieux informés ont aussi voté pour Bush, malgré le fiasco irakien, pour d’autres raisons: John Kerry n’avait pas de plan de sortie d’Irak lui non plus, il n’a convaincu personne de la supériorité de son programme économique, il ne faisait pas obstacle au mariage homosexuel, etc.
• De Michael Moore à Jon Stewart, en passant par David Letterman et l’équipe de Saturday Night Live, les humoristes américains sont en train de supplanter les «vrais» journalistes de CBS, ABC, CNN, etc. L’humour est souvent un excellent baromètre de l’opinion publique. C’est aussi un moyen de résistance à l’autorité illégitime et injuste, une soupape de la colère populaire, qui a connu son heure de gloire en Europe de l’Est communiste. Jusqu’à tout récemment, les meilleurs humoristes américains étaient ceux qui dénonçaient la rectitude politique, le gaspillage des fonds publics et les scandales de moeurs démocrates. Aujourd’hui, ce sont les critiques de la guerre, de la religion et des politiques républicaines qui font rire, ce qui annonce un retour du balancier politique.
• À parcourir le courrier des lecteurs du dernier numéro d’Atlantic Monthly (l’une des meilleures publications au monde), on réalise qu’un grand nombre d’Américains pensent, comme leur président, que les terroristes les détestent pour ce qu’ils «sont» (riches, libres, etc.), plutôt que pour ce qu’ils «font» (humilier les Palestiniens, envahir l’Irak, etc.). Selon la Maison Blanche, il serait futile de tenter de raisonner avec ces monstres ou d’essayer de comprendre leurs griefs, car leurs motivations seraient irrationnelles. On n’aurait le choix qu’entre l’abandon de notre mode de vie ou la destruction de l’ennemi. Réagissant à un reportage publié le mois précédent sur les conséquences d’erreurs américaines sur la scène internationale, ces lecteurs américains nient donc que leurs actions puissent avoir des conséquences!
• L’énormité des mensonges qui ont sous-tendu la guerre en Irak incite des historiens – professionnels et amateurs – à revisiter les justifications officielles d’autres événements passés et présent, de la Guerre froide à la Guerre au terrorisme, en passant par le Vietnam, le Chili, l’assassinat des Kennedy et le décès de Yasser Arafat. Comme pour la monnaie, la fausse information chasse la bonne: l’Europe de l’Est, où la propagande officielle dominait l’information, a longtemps été une terre fertile en rumeurs et théories de conspiration de toutes sortes (parfois vraies), comme le monde arabe aujourd’hui qui vit sous diverses dictatures. Or chez nous aussi, la thèse suivant laquelle le terrorisme islamiste est une invention américano-israélienne servant à perpétuer le complexe militaro-industriel apparaît de plus en plus crédible. Nos démocraties et nos médias ne sont peut-être plus ce qu’ils étaient…
• Le fiasco irakien a au moins permis de discréditer la théorie du «papier à mouches» selon laquelle l’occupation américaine allait attirer les terroristes à un même endroit, permettant ainsi de les éliminer. On voit bien qu’il n’y a pas un nombre fixe de terroristes qui diminuerait à mesure qu’on en tue en Irak. Au contraire, l’intervention américaine a stimulé le recrutement de combattants un peu partout dans le monde, augmentant l’insécurité et l’instabilité. Le président du Pakistan, Pervez Musharraf, exposait cette situation pour la énième fois au cours d’une récente entrevue avec la télévision américaine. «L’invasion de l’Irak était donc une erreur?», a demandé le journaliste. «Évidemnent», a répondu Musharraf, qui est un allié de la Maison blanche dans la «guerre au terrorisme» malgré la forte popularité d’Oussama ben Laden dans son pays. Malheureusement, les mises en garde des alliés des États-Unis – Musharraf, le roi Abdallah de Jordanie, le président Hosni Moubarak d’Égypte – trouvent peu d’écho dans l’opinion publique américaine… comme d’ailleurs les mises en garde des amis canadiens, britanniques, français, allemands, etc.