Quand «conservateur» devient synonyme de «progressiste»

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Publié 17/01/2006 par François Bergeron

La perspective de l’élection d’un gouvernement conservateur le 23 janvier inquiète, à bon droit, les francophones hors Québec, pour qui la vision trudeauiste d’un Canada bilingue d’un océan à l’autre est taillée sur mesure (et reste la seule vision garantissant, à long terme, l’unité du pays). Le Parti conservateur actuel a renoncé à son passé réformiste et allianciste, mais plusieurs fondateurs de ces aventures francophobes, à commencer par Stephen Harper lui-même, sont encore aux commandes.

Il faut toutefois se souvenir que ce sont d’abord des politiques économiques comme la création de la TPS et un endettement excessif qui ont décidé des gens comme Harper, un économiste, à quitter le grand parti de Brian Mulroney qu’ils ne reconnaissaient plus comme étant réellement conservateur. Les élucubrations religieuses des Preston Manning et Stockwell Day, incompatibles avec un programme économique fondé sur la liberté d’entreprise et de commerce, n’ont servi qu’à brouiller le message.

De plus, les Libéraux de Jean Chrétien avaient réussi à convaincre un grand nombre de Canadiens-Anglais que l’activisme constitutionnel de Brian Mulroney avait ressuscité le séparatisme québécois. Encore aujourd’hui, Paul Martin brandit l’épouvantail d’une collaboration entre Conservateurs et Bloquistes pour une décentralisation qui mènerait au démembrement du pays. Malheureusement pour lui, c’est le maintien au pouvoir des Libéraux à Ottawa qui serait perçu au Québec comme une insulte et comme le symptôme d’une paralysie incurable du système fédéral.

L’élection d’un gouvernement conservateur, au contraire, indiquerait aux Québécois que le changement, le progrès, est possible. Contrairement à Paul Martin, Stephen Harper reconnaît l’existence d’un déséquilibre entre les revenus du gouvernement fédéral et les dépenses des provinces. Contrairement aux Libéraux (et aux Néo-Démocrates, encore plus centralisateurs), les Conservateurs ne veulent pas envahir les domaines de juridiction provinciale (municipalités, éducation, santé, etc.).

Mauvaise nouvelle pour Gilles Duceppe et André Boisclair: Stephen Harper risque de s’entendre à merveille avec le premier ministre québécois Jean Charest, un ancien chef conservateur fédéral. La volonté du nouveau gouvernement de réorganiser l’appareil d’État, la nouvelle «révolution tranquille» qui pourrait en résulter, risque de retarder la révolution souverainiste québécoise annoncée.

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La clause nonobstan

Dans un geste désespéré, Paul Martin a proposé, lors du dernier débat des chefs, de retirer au gouvernement fédéral l’usage de la clause permettant de soustraire une loi de l’application de la Charte canadienne des droits et libertés. Le gouvernement fédéral n’a jamais utilisé cette disposition de la Constitution. Le Québec exempte systématiquement ses lois linguistiques de l’application de la Charte fédérale.

Stephen Harper a promis de ne pas utiliser la clause dérogatoire contre la reconnaissance des mariages homosexuels par la Cour suprême, mais il s’est dit satisfait de l’équilibre actuel entre le pouvoir des tribunaux de corriger ou d’invalider des lois, et le pouvoir décisionnel ultime des élus au Parlement. C’est d’ailleurs là une différence salutaire entre le Canada et les États-Unis, où les verdicts de la Cour suprême sont sans appel.

Kyot

Lors d’un congrès des Nations unies à Montréal en décembre, notre ministre de l’Environnement Stéphane Dion a réussi à relancer l’effort international visant à diminuer la contribution humaine (transport, industrie, urbanisation) au réchauffement de la planète, dont les conséquences annoncées vont de la fonte des glaciers à la désertification des zones tempérées, en passant par l’augmentation des ouragans.

Cet exploit n’a pas trouvé le retentissement politique escompté par les Libéraux. Soulignons que l’argumentation soutenant le Protocole de Kyoto est loin de faire l’unanimité dans les milieux scientifiques. L’action entreprise à l’échelle internationale est compliquée, sporadique et dispendieuse. De plus, le bilan des émissions de gaz à effet de serre du Canada, signataire de Kyoto, est pire que celui des États-Unis, qui n’ont pas ratifié le traité!

Stephen Harper, dont on doit au moins admirer ici la franchise et le courage face à un lobby environnementaliste strident, s’est prononcé contre Kyoto. Il promet plutôt de s’attaquer à la «vraie» pollution.

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L’Ira

Si Stephen Harper avait été premier ministre en 2003, le Canada aurait participé, aux côtés de la Grande-Bretagne et de l’Australie, à l’invasion américaine de l’Irak.

Le chef conservateur conteste aujourd’hui cette interprétation des propos qu’il avait tenus au Parlement et aux médias à l’époque.

Un acte de contrition aurait été préférable (on attend toujours celui de Tony Blair), mais les dénégations actuelles de Harper montrent qu’il reconnaît que les Américains se sont fourvoyés en Irak… ou à tout le moins qu’il s’incline devant l’opinion de la grande majorité des Canadiens là-dessus.

Le pass?

Stephen Harper était un intellectuel et un activiste avant d’être un politicien. On a le droit de le questionner sur ce qu’il a dit ou écrit il y a longtemps, mais lui aussi a le droit d’évoluer, de raffiner sa pensée et même parfois de changer d’idées. C’est aux actes qu’on devrait juger son gouvernement.

Apathie ou colère

C’était la première fois qu’une campagne électorale fédérale était déclenchée au début de décembre, en vue d’un scrutin fin janvier. Ce fut l’une des plus longues campagnes, interrompue par les fêtes de Noël et du Jour de l’An. Les candidats, les médias et les électeurs ont dû s’adapter. Plusieurs s’en sont plaints, entre autres parce qu’on devra affronter le froid et la neige pour aller voter, comme si l’hiver était un phénomène exceptionnel au Canada. Comme si nos activités en cette saison étaient incompatibles avec la réflexion sur les enjeux politiques.

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Libéraux et Néo-Démocrates ont cherché à faire porter aux Conservateurs et aux Bloquistes l’odieux de la tenue de ces élections «anticipées», un an et demie seulement après celles qui ont produit le gouvernement minoritaire actuel, comme si on devait réévaluer nos dirigeants le moins souvent possible.

Lors du premier débat des chefs en français, à un citoyen qui souhaitait un recours collectif contre les politiciens qui ne tiennent pas leurs promesses ou qui posent des gestes répréhensibles, Gilles Duceppe a répondu qu’un recours collectif existe déjà: «ça s’appelle une élection». Ce n’est pas un inconvénient ou une mauvaise habitude: c’est l’un des meilleurs moyens de nous doter d’un gouvernement représentatif du plus grand nombre. Ce n’est pas nécessairement une garantie de compétence et d’honnêteté, mais l’alternative est pire, comme on a pu le constater maintes fois dans le passé ou encore aujourd’hui dans plusieurs pays.

Cela dit, le tiers des Canadiens ne se sont pas intéressés à la campagne électorale et ne voteront pas le 23 janvier prochain. C’est là le symptôme d’une grave crise de confiance, selon certains commentateurs. Je trouverais honteux, moi aussi, qu’une majorité de la population reste chez elle ou trouve mieux à faire que d’aller voter un jour d’élections nationales. Par contre, c’est déjà le cas depuis longtemps aux élections municipales, et personne ne blâme une société dysfonctionnelle.

On comprend que la gestion de l’aqueduc, des ordures et des parcs ne passionnent pas tout le monde. L’administration de la police serait également perçue comme un dossier «technique», échappant aux idéologies. Seuls les citoyens intéressés et informés – une minorité de zélés – choisiraient de se prononcer sur ces questions. Notre vie politique nationale (et provinciale) est donc peut-être en train de se «municipaliser». La santé et l’éducation, la défense et l’environnement, voire les politiques économique et sociales, appartiendraient déjà aux experts et aux professionnels, offrant peu de prise aux citoyens «ordinaires» généralistes pouvant rêver de grands changements.

L’apathie politique est aussi le fait d’une société relativement prospère, dont les problèmes, «mineurs» par rapport à ceux d’Haïti ou de l’Irak, ne justifient pas toujours le déplacement vers le bureau de scrutin. Une très forte participation électorale est plus souvent observée en réaction à une crise ou au sortir d’une dictature. Notre démocratie serait victime de son succès, quoi!

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La proportion d’abstentionnistes serait plus élevée chez les jeunes que chez les vieux. Cela augure mal pour l’avenir, prédit-on encore. Pourtant, quand on y pense, il serait encore plus bizarre que les vieux, plus expérimentés, mieux informés, ayant notamment vécu plusieurs campagnes électorales et connu plusieurs gouvernements, votent en moins grand nombre que les jeunes. C’est là qu’on pourrait parler de «décrochage».

Compte tenu de la complexité croissante des sociétés modernes, il est normal que les jeunes ne comprennent pas tout, tout de suite, et ne se précipitent pas aux bureaux de scrutin dès la première occasion. Comparés aux générations précédentes, ils tardent simplement à «s’accrocher», mais ils le font éventuellement. Par ailleurs, il vaut peut-être mieux que les citoyens (jeunes et vieux) qui se sentent moins aptes à faire le bon choix politique laissent cette décision à ceux qui ont pris la peine de réfléchir aux enjeux et d’examiner le programme des candidats.

On a aussi dénoncé la tenue de ces élections «inutiles» en prédisant un résultat quasi-identique à celles de juin 2004: un gouvernement libéral minoritaire soutenu par le NPD, les conservateurs formant l’opposition officielle et le Bloc dominant le Québec. Cet argument ne tient plus la route: un vent de changement souffle sur le pays.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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