La perspective de l’élection d’un gouvernement conservateur le 23 janvier inquiète, à bon droit, les francophones hors Québec, pour qui la vision trudeauiste d’un Canada bilingue d’un océan à l’autre est taillée sur mesure (et reste la seule vision garantissant, à long terme, l’unité du pays). Le Parti conservateur actuel a renoncé à son passé réformiste et allianciste, mais plusieurs fondateurs de ces aventures francophobes, à commencer par Stephen Harper lui-même, sont encore aux commandes.
Il faut toutefois se souvenir que ce sont d’abord des politiques économiques comme la création de la TPS et un endettement excessif qui ont décidé des gens comme Harper, un économiste, à quitter le grand parti de Brian Mulroney qu’ils ne reconnaissaient plus comme étant réellement conservateur. Les élucubrations religieuses des Preston Manning et Stockwell Day, incompatibles avec un programme économique fondé sur la liberté d’entreprise et de commerce, n’ont servi qu’à brouiller le message.
De plus, les Libéraux de Jean Chrétien avaient réussi à convaincre un grand nombre de Canadiens-Anglais que l’activisme constitutionnel de Brian Mulroney avait ressuscité le séparatisme québécois. Encore aujourd’hui, Paul Martin brandit l’épouvantail d’une collaboration entre Conservateurs et Bloquistes pour une décentralisation qui mènerait au démembrement du pays. Malheureusement pour lui, c’est le maintien au pouvoir des Libéraux à Ottawa qui serait perçu au Québec comme une insulte et comme le symptôme d’une paralysie incurable du système fédéral.
L’élection d’un gouvernement conservateur, au contraire, indiquerait aux Québécois que le changement, le progrès, est possible. Contrairement à Paul Martin, Stephen Harper reconnaît l’existence d’un déséquilibre entre les revenus du gouvernement fédéral et les dépenses des provinces. Contrairement aux Libéraux (et aux Néo-Démocrates, encore plus centralisateurs), les Conservateurs ne veulent pas envahir les domaines de juridiction provinciale (municipalités, éducation, santé, etc.).
Mauvaise nouvelle pour Gilles Duceppe et André Boisclair: Stephen Harper risque de s’entendre à merveille avec le premier ministre québécois Jean Charest, un ancien chef conservateur fédéral. La volonté du nouveau gouvernement de réorganiser l’appareil d’État, la nouvelle «révolution tranquille» qui pourrait en résulter, risque de retarder la révolution souverainiste québécoise annoncée.