Psychologie 101

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Publié 20/02/2014 par François Bergeron

Qu’ont en commun Vladimir Poutine, Pauline Marois, François Hollande, Rob Ford, Stephen Harper?

Poutine interdit les manifestations gaies, Marois veut bannir les signes religieux de la fonction publique, Hollande censure le comédien Dieudonné, Ford boycotte le Toronto Star, Harper veut continuer de réprimer la prostitution et la drogue. Dans tous ces cas, leurs calculs politiques semblent minimiser ou faire fi de notions élémentaires de psychologie.

C’est bien connu: ce qui est interdit est souvent plus «cool» que ce qui est permis. Des propos et des comportements qu’une collectivité préférerait limiter peuvent être plus tenaces ou contagieux lorsque les autorités prennent des mesures exceptionnelles pour s’y opposer.

Inversement, l’acceptation ou la tolérance de la majorité, qui ouvrent la voie aux victoires politiques et juridiques des minorités, calment le jeu au point où, chez nous, les campagnes contre le racisme, l’homophobie et le sexisme ne défoncent plus que des portes ouvertes.

Les Franco-Ontariens en savent quelque chose. Après avoir obtenu, de haute lutte, des tribunaux, des écoles et toute une panoplie de services publics en français, le défi est maintenant de nous souvenir de nous en servir.

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Russi

Malheureusement, dans l’immédiat, l’interventionnisme musclé profite souvent au dirigeant politique.

Poutine reste populaire, même si on peut douter de la qualité de la démocratie et de l’indépendance des médias en Russie. La révolution en Ukraine – pays qui est à bien des égards le berceau de la société russe moderne – représente d’ailleurs une menace pour son propre régime, car elle pourrait inspirer de nombreux Russes qui attendent eux aussi leur «printemps».

La Russie n’est pas le seul pays à réagir à l’affirmation de ses homosexuels, encouragés par les nouvelles de l’Occident, en tentant d’interdire leur prosélytisme. Des dizaines d’autres pays ont adopté des lois similaires ou conservent des mesures encore plus sévères.

Le gouvernement russe s’attaque aussi à l’expression artistique blasphématoire des Pussy Riot, comme à l’excentricité en général, au nom de la moralité. Mais c’est un combat d’arrière-garde, en Russie et ailleurs, qu’une prochaine génération de dirigeants, au diapason d’une société qui va évoluer, finira par abandonner.

Québe

Plus des deux-tiers des Québécois approuvent la Charte de la laïcité. Des sondages favorables incitent Marois à déclencher des élections au printemps pour enfin décrocher une majorité à l’Assemblée nationale du Québec.

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L’opposition libérale, qui a perdu sa seule députée musulmane, pro-laïcité, est en déroute, et le PQ semble avoir récupéré les nationalistes de la CAQ. Les louvoiements du parti communiste Québec solidaire sur la Charte ne lui ont rien rapporté. Et le feu vert à l’exploration pétrolière sur l’île d’Anticosti dissipe des doutes qu’on pouvait entretenir sur l’intérêt du PQ envers la croissance économique.

Pourtant, aussi justifiée soit-elle du point de vue de l’affirmation de la modernité de la société québécoise, de l’égalité homme-femme et de l’intégration des immigrants, la prohibition des signes religieux dans la fonction publique en fera des symboles de résistance au pouvoir et d’affirmation culturelle dans les milieux où on y tient, notamment chez des jeunes qui les auraient probablement abandonnés plus rapidement sous un régime de laisser-faire.

Aurait-on pu s’y prendre autrement? Plutôt qu’une Charte avec un grand C, juste adopter quelques ajouts au code vestimentaire des fonctionnaires, qui ne peuvent déjà pas porter n’importe quoi n’importe où? La révolte des «ostentatoires» aurait été de courte durée… mais le gain politique aurait été moins impressionnant pour le PQ.

Canad

Harper est critiqué pour une foule de petites choses (son style de gestion impérial, sa dévotion ridicule à la monarchie, les appels électoraux frauduleux, les dépenses des sénateurs), mais pas pour les plus importantes (les finances publiques, l’économie).

La majorité des Canadiens ne s’opposeraient pas à la libéralisation de la prostitution (recommandée par la Cour suprême) et de la marijuana (prônée par Justin Trudeau), mais peu en font une priorité.

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Cela dit, contrairement à ce que suggèrent les Conservateurs, la prise de position du chef libéral pour la décriminalisation de la marijuana n’est pas une gaffe politique ou une erreur de jugement.

Le Colorado vient de légaliser l’usage et le commerce du «pot». Dans nombre de juridictions, la police n’intervient plus que contre les gros trafiquants. C’est dans l’air du temps et, surtout, c’est une saine évolution: la «guerre» contre la drogue est perdue et coûte trop cher; c’est un problème de santé interpellant médecins et psychologues, pas une affaire de police et de tribunaux.

Justin Trudeau aurait déçu un plus grand nombre de Canadiens (jeunes) en adoptant la ligne dure traditionnelle qu’en choisissant de la défier. C’est plutôt Thomas Mulcair, le chef du NPD, qui est d’ailleurs le plus âgé des trois chefs, qui a échappé le ballon dans ce dossier.

Du côté de la prostitution, le gouvernement conservateur a un an pour répondre au dernier jugement de la Cour suprême invalidant nos lois contre la sollicitation, les maisons closes et le proxénétisme. Ici aussi, le gouvernement conservateur chercherait une échappatoire, une loi contre les clients des prostituées par exemple, mais cela non plus ne passerait pas le test constitutionnel.

Toront

Rob Ford est un cas à part, un conservateur qui fume du crack, dont les frasques et les mensonges ne répondent à aucun calcul politique, étant plutôt les manifestations d’une psyché primitive incontrôlée.

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Je l’ai déjà écrit: un journal ne peut rêver de meilleure publicité que d’être mis à l’Index par le maire comme l’a été le Toronto Star. C’est l’animosité de Rob Ford envers l’intelligentsia médiatique et culturelle torontoise – en fait, envers tous ceux et celles qui le contredisent – qui a incité les chefs des grands journaux (et la police?) à enquêter sur ses moindres faits et gestes et à fouiller son passé.

En octobre prochain, la réélection ou la défaite de Rob Ford en dira moins long sur l’intelligence et la psychologie de l’individu que sur celles des Torontois.

* * *
Dans la même veine:
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Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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