Prix du pétrole: enjeu politique ou réalité économique?

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Publié 26/08/2008 par Nirou Eftekhari

La hausse du prix du pétrole qui, début juillet, a failli atteindre la barre de 150 $ le baril avant de se replier, est considérée comme l’événement économique le plus important en 2008, tout comme la crise boursière provoquée par les prêts hypothécaires à risque (subprime) il y a presque un an. Cette flambée des prix du pétrole s’est produite à une période où l’économie mondiale est en proie à la récession et montre des signes de ralentissement.

Certains n’ont pas hésité à parler du 3e «choc pétrolier», après celui de 1974 qui a coïncidé avec le quadruplement du prix du baril à la suite de la 4e guerre israélo-arabe de Kippour ou celui de 1979-80 qui a suivi la révolution iranienne.

Comme lors de la crise économique généralisée des pays industriels importateurs de pétrole en 1974-76, certains n’hésitent pas à attribuer la responsabilité de la stagflation en cours aux tensions politiques au Moyen-Orient qui seraient à l’origine de la forte hausse du prix du pétrole, à la fois source d’énergie et matière première stratégique. À l’appui de cette thèse, ils évoquent les propos incendiaires du président de la République islamique d’Iran à l’encontre d’Israël et sa menace de fermer le détroit d’Hormuz d’où transitent près de 40 % du pétrole consommé dans le monde en cas d’agression contre son programme nucléaire.

Qu’en est-il au juste? Le prix du pétrole est-il une donnée dont l’évolution reflète uniquement la conjoncture politique dans les pays exportateurs qui pour la plupart se trouvent dans des régions connues pour être très instables? Cette idée trouve une première justification dans le fait que les augmentations historiques du prix du pétrole se sont produites lors des crises politiques aiguës dans les pays exportateurs.

Par ailleurs, depuis l’apparition de l’industrie pétrolière internationale (IPI), la formation des prix des hydrocarbures porte l’empreinte des rapports de force conflictuels de ceux qui participent à ses activités, c’est-à-dire essentiellement les États exportateurs qui détiennent la propriété des gisements, les grandes compagnies pétrolières internationales dont les activités depuis l’exploration jusqu’à la distribution à la pompe sont fortement intégrées et finalement les États des pays importateurs qui prélèvent d’importants impôts sur les produits raffinés.

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La formation des prix des hydrocarbures, telle que nous l’enseigne l’histoire de l’IPI, a depuis toujours été une fonction des intérêts divergents poursuivis par ces trois prétendants au partage des revenus pétroliers, appelés également rente pétrolière, qui grosso modo peuvent se définir comme une différence positive entre le coût de production d’un baril de pétrole et son prix de valorisation sous forme de carburant ou combustible destinés au consommateur final.

Si jusqu’au début des années 70, les grandes compagnies pétrolières s’appropriaient une part importante de cette rente en raison de leur savoir-faire technologique, avec le mouvement des nationalisations dans plusieurs pays exportateurs, les États de ces pays ont pu améliorer leur part dans la répartition des revenus tirés du pétrole. En même temps, le regroupement des principaux pays exportateurs au sein de l’OPEP (organisation des pays exportateurs de pétrole) leur a permis de renforcer leur position dans la fixation mondiale du prix du baril.

Quant aux États des pays importateurs, ils se sont depuis toujours taillé une part de lion dans la répartition de la rente pétrolière. Ils exercent en effet une ponction élevée sur les prix des produits raffinés sous forme de taxes diverses. À titre d’exemple, selon les statistiques officielles canadiennes, de 20 (Whitehorse) à 40 % (Québec) du prix de l’essence consistent en taxes fédérales, provinciales et municipales au 1er janvier 2008. Dans d’autres pays consommateurs, la fiscalité pétrolière est même bien plus importante. En France, la TIPP (taxe intérieure sur les produits pétroliers) constitue 60 % du prix de l’essence et la fiscalité pétrolière est la 4e source des recettes de l’État français. Au Sénégal, en 2007, les recettes tirées du pétrole ont représenté 34,5 % des revenus fiscaux.

Même si la part relative des grandes compagnies dans le partage des revenus pétroliers a baissé, à chaque hausse du prix du baril elles s’en donnent à cœur joie pour empocher des profits faramineux. À titre d’exemple, ExxonMobil qui produit 3 % du pétrole consommé dans le mode a annoncé des gains de 11,68 milliards $ au deuxième trimestre de cette année. Elle est en tête de la liste des firmes ayant dégagé des profits annuels les plus élevés pendant les six trimestres où les firmes américaines ont historiquement produit le plus de profit.

De ce qui précède, il serait pourtant naïf de conclure que les prix des hydrocarbures ne constituent qu’un enjeu politique, le reflet des tensions existantes au sein de l’IPI, et qu’ils seraient ainsi déconnectés des réalités économiques, c’est-à-dire, essentiellement des coûts de production.

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En dépit de l’évolution contrastée du prix nominal du pétrole depuis l’apparition de l’IPI il y a plus d’un siècle, la structure des coûts s’est toujours imposée à long terme et cette réalité se fait sentir aujourd’hui plus que jamais.

Si jusqu’au début des années 70, les gisements successifs découverts dans le monde se caractérisaient par des coûts d’extraction décroissants, notamment dans la région du golfe Persique qui recèle près de 60 % des réserves prouvées mondiales, on assiste depuis à un renversement de la tendance.

Pour satisfaire à une demande mondiale toujours croissante, il a fallu exploiter des gisements dont les coûts de production sont de plus en plus élevés. Il en a, par exemple, été ainsi du pétrole de la mer du Nord et de l’Alaska, du pétrole off-shore et des fonds des océans, du pétrole dit non conventionnel tiré des schistes et sables bitumineux dont est très riche le Canada, du pétrole des régions polaires bientôt, etc.

Les efforts de prospections des deux dernières décennies n’ont permis de découvrir qu’un seul gisement de grande taille, situé au Kazakhstan, en bordure de la mer Caspienne. Cependant, son exploitation a été reportée et retardée en raison d’une révision régulièrement à la hausse des coûts de production.

Face à une demande croissante soutenue par la soif de consommation des économies dites émergentes, telles que l’Inde et la Chine, l’offre mondiale du pétrole semble marquer le pas et montrer des signes d’essoufflement. Ce décalage explique d’ailleurs la grande volatilité du marché qui au moindre incident porte le prix du baril à des sommets sans précédent. Il en a, par exemple, été ainsi lors du cyclone Katerina dans le Golfe du Mexique et au Texas en été 2005, des sabotages des installations pétrolières par des rebelles au Nigeria en avril de cette année et depuis la menace de bombardement des facilités nucléaires en Iran.

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Au total, les conflits pour le partage des revenus issus du pétrole, comme l’arbre qui cache la forêt, ont pendant longtemps masqué la réalité de l’IPI, en particulier l’évolution des coûts. Ce phénomène n’a été rendu possible que parce que le Moyen-Orient, là où ces derniers sont exceptionnellement bas, a joué un rôle crucial dans l’approvisionnement pétrolier mondial. Les efforts de diversification des sources d’approvisionnement, de développement des énergies alternatives au pétrole et les préoccupations écologiques liées à l’utilisation des énergies d’origine fossile fournissent l’occasion d’une désillusion, peut-être douloureuse, mais inévitable.

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