Pourriels et moutons

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Publié 15/07/2014 par François Bergeron

Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué?

Pour limiter les pourriels, il aurait suffi d’obliger tous ceux qui envoient des messages électroniques commerciaux à afficher visiblement un bouton «Désabonnez / Unsubscribe» fonctionnel. Vous cliquez dessus, mais on continue à vous envoyer des messages non sollicités? Vous transférez le message au CRTC qui, éventuellement, intimera le contrevenant à régler le problème sous peine d’amendes.

Déjà, les logiciels anti-spam font une bonne partie du travail, et je préfère décider moi-même de ce qui va à la poubelle. C’est une opération qui ne prend que quelques secondes et qui ne concerne d’ailleurs pas un si grand pourcentage des courriels que je reçois, contrairement à la statistique officielle voulant que ce soit la majorité des courriels en circulation («80%» selon le CRTC, entraînant «des coûts élevés pour les entreprises et les consommateurs»).

L’entrée en vigueur, le 1er juillet, de la nouvelle loi fédérale anti-pourriel a été précédée d’un barrage d’appels frénétiques – loin d’être terminé – à fournir votre consentement (et souvent vos coordonnées) pour recevoir les annonces ou nouvelles d’organisateurs d’événements comme le Théâtre français de Toronto ou Franco-Fête, d’agences communautaires comme le Centre francophone de Toronto ou Oasis Centre des femmes, d’institutions comme l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario ou le Consulat de France, et bien sûr de médias comme TFO ou le journal L’Express.

La nouvelle loi exige bien ce fameux bouton de désabonnement, ainsi que l’obligation pour l’expéditeur de messages électroniques commerciaux d’indiquer clairement son identité, adresse, téléphone – ce que la plupart des expéditeurs que je connais faisaient déjà.

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Si ça s’était arrêté là, on aurait applaudi. C’est l’obligation de demander un consentement explicite qui vient perturber un flux de communications parfaitement légitimes, appauvrir l’information et brimer la liberté d’expression de tous les Canadiens.

Aucune loi n’empêche la distribution de circulaires publicitaires dans votre boîte aux lettres ou à votre porte. Certaines personnes les consultent avec intérêt, d’autres les jettent tout de suite au recyclage, et la plupart des distributeurs respectent les indications demandant de ne pas laisser de circulaires. En quoi nos boîtes aux lettres électroniques sont-elles si différentes?

Ce n’est pas comme si on n’était pas habitué de voir de la publicité, dans nos médias et à l’extérieur sur des panneaux et affiches. Et que dire des appels téléphoniques offrant une croisière «gratuite», de nouvelles portes et fenêtre ou des conseils financiers?

«L’objectif général de la Loi canadienne anti-pourriel est d’encourager la croissance du commerce électronique en assurant la confiance dans le cybermarché», lit-on dans le site du CRTC. Or, elle représente plutôt un frein à ce commerce, un obstacle d’autant plus irritant qu’il est érigé par un gouvernement conservateur censé avoir un préjugé favorable à l’entreprendrait.

On découvre ici que la définition de «message commercial» est très vague, couvrant à peu près toutes les communications de masse, y compris les communiqués de presse envoyés aux médias – ce qui est absurde, car, par définition, les médias sont réceptifs à tous les communiqués. Dans le doute, des organismes qui ne savent pas s’ils sont touchés ou non par la loi choisissent de s’y conformer. De la part du gestionnaire redevable à un conseil d’administration, c’est la bonne décision. Collectivement, c’est un comportement de moutons.

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On plie l’échine devant une loi détestable, dont on n’avait pas prévu la portée, contre laquelle on n’avait pas protesté, adoptée à l’unanimité par nos élus au Parlement. C’est d’autant plus inexcusable que le projet de loi anti-pourriel faisait l’objet de débats parlementaires depuis 2004!

Rares sont les organismes qui se sont rebiffés en proclamant que leurs communications ne sont pas du pourriel. Ces braves risquent des millions de dollars d’amende, selon le texte de la loi, bien qu’on imagine mal un organisme communautaire ou culturel écoper d’autre chose qu’un avertissement… Encore faudrait-il que des gens se plaignent au CRTC de recevoir l’affiche d’un spectacle à l’Alliance française ou l’annonce d’une réunion au conseil scolaire!

Curieusement, je n’ai encore reçu aucune demande de consentement de vendeurs de Viagra, d’anti-dépresseurs et autres régimes amaigrissants, ni de tous ces héritiers d’anciens ministres du pétrole africains assassinés cherchant à transférer des millions de dollars via mon compte de banque. Ces «spammeurs» sont souvent basés à l’étranger, hors d’atteinte de la loi canadienne même si le gouvernement affirme le contraire.

Incidemment, la loi prétend aussi lutter contre l’envoi de virus informatiques – logiciels espions, programmes malveillants, zombies et autres menaces à nos réseaux – une activité qui était déjà illégale. Mais les criminels se sentent rarement concernés par la réglementation fédérale. Qui va vous demander la permission de vous envoyer un virus?

Exemption suave: la Loi ne s’applique pas aux «messages envoyés par ou pour le compte d’une organisation ou un parti politique ou un candidat à une charge publique élective si le principal objet du message est de demander des contributions».

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Renseignement

Le site du gouvernement sur la nouvelle loi

D’autres informations dans le site du CRTC

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Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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