Pour une réingénierie de l’État ontarien

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Publié 17/02/2012 par François Bergeron

Le rapport Drummond est une oeuvre monumentale qui pèche parfois par les mêmes excès qu’il cherche à corriger dans les services publics de l’Ontario: plusieurs de ses 362 recommandations se recoupent ou énoncent des évidences superflues en cherchant à tout couvrir. Mais cet exercice original était nécessaire, salutaire.

Dans un monde idéal, il aurait dû être mené par un parti politique qui n’aurait pas eu peur de dire la vérité à la population, par un grand journal ou un institut de recherche, ou encore par le vérificateur général ou le ministère des Finances de temps en temps.

Sachant parfaitement à qui il avait affaire en Don Drummond, économiste qui a été au service du ministère fédéral des Finances sous Paul Martin à une époque où il fallait juguler un endettement chronique – ce qui a été fait – le gouvernement McGuinty a trouvé là un excellent moyen de relancer le débat sur les finances publiques. Le rapport fournit un bon prétexte aux partis politiques – à commencer par le Parti libéral au pouvoir – de se débarrasser de vieux tabous et de considérer de nouvelles idées.

Tous les «nerds» de la politique, ce qui comprend beaucoup de journalistes, ont rêvé secrètement de décrocher un tel contrat: «nous pencher sur presque toutes les activités du gouvernement et réfléchir sérieusement à la façon d’améliorer son mode de fonctionnement».

La Grèc

Cette démarche est motivée par un constat inquiétant: les derniers budgets de l’Ontario reposent (délibérément, frauduleusement) sur des prévisions de croissances économiques beaucoup trop optimistes.

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Les revenus de taxes et d’impôts escomptés (actuellement de 108 milliards $) ne seront pas au rendez-vous. Et les «efforts» de réduction du déficit (actuellement de 16 milliards $) jusqu’à zéro en 2018 ne sont que des voeux pieux.

Si rien n’est fait, selon Don Drummond, le déficit, loin d’être éliminé, risque plutôt de doubler d’ici 2018, atteignant 30 milliards $. La dette de la province représenterait alors 50% du PIB (contre 35% à l’heure actuelle), un sommet historique qu’a déjà atteint aujourd’hui le Québec, l’exemple à ne pas imiter.

Bonne nouvelle: l’Ontario n’est pas encore dans la même ligue que la Grèce, dont la dette serait en voie de passer de 165 à 120% du PIB… en 2020… à condition que tous les plans de sauvetages européens fonctionnent!

Et, au moins, le gouvernement libéral de l’Ontario semble conscient du problème et continue d’affirmer vouloir sortir ses finances du rouge, contrairement à l’administration Obama aux États-Unis, qui vient de déposer un budget 2013 comprenant des déficits d’un trillion $ chaque année jusqu’en 2022 (sur des dépenses qui progresseraient de 3 à 6 trillions $).

Santé: 2,5% au lieu de 6,5

Depuis mercredi dernier, jour du dévoilement du rapport, les chiffres les plus cités sont les objectifs proposés par la Commission Drummond:
– une croissance annuelle des dépenses de santé (qui représentent 40% du budget provincial) de 2,5%, au lieu des 6,5% qu’on a connus au cours de la dernière décennie;
– 1% seulement de plus pour l’éducation élémentaire et secondaire;
– 1,5% pour l’éducation postsecondaire (sauf pour les programmes de formation qu’on veut développer);
–  0,5% pour les programmes sociaux;
– et pour tous les autres programmes, des réductions de 2,4%.

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C’est énorme – plus que sous Mike Harris, a-t-on remarqué – surtout pour la santé, où Drummond privilégie des réaménagements qui pourraient s’avérer coûteux, profitant notamment aux RLISS (réseaux locaux d’intégration des services de santé), une bureaucratie que le Parti progressiste-conservateur de Tim Hudak voulait (veut encore?) abolir.

Les deux tiers du Rapport Drummond traitent de notre système de santé, l’un des plus coûteux au monde… mais pas parmi les plus performants… quoique le meilleur au Canada.

On lit notamment que «ce n’est pas vraiment un système: ce que nous avons en Ontario, c’est une série de services incohérents qui fonctionnent isolément. L’Ontario doit intégrer les éléments disparates du système et réduire la bureaucratie qui empêche la prestation de services efficaces et efficients.»

Pas de coupures aveugle

Drummond propose un ambitieux (utopique?) virage «vers la promotion de la santé plutôt que le traitement des problèmes», un système «centré sur les patients plutôt que sur les hôpitaux», sur les soins à domicile et dans la communauté plutôt que dans les hôpitaux, une «coordination le long d’un vaste continuum de soins plutôt que travail en vase clos» ou en «silos», et de nouvelles façons de traiter «la petite minorité de patients ayant besoin de soins intensifs» (34% des coûts seraient attribuables à 1% de la population, 79% à 10%, ce qui, quand on y pense, n’est pas scandaleux: ça voudrait dire que 90% des Ontariens ne se portent pas si mal).

L’appui aux RLISS n’est pas la seule fleur faite aux Libéraux: Drummond se prononce contre les réductions générales ou aveugles des dépenses et contre les gels d’embauche ou les limites arbitraires de la taille de la fonction publique, deux possibilités évoquées par les PC au cours de la dernière campagne électorale.

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Jusqu’à maintenant, les grandes lignes et les recommandations du rapport Drummond sont assez bien reçues. Bien sûr, le démon sera dans les détails, comme on dit en latin, c’est-à-dire dans la façon dont ces «conseils» seront suivis ou non par le gouvernement.

On sait déjà que les Libéraux n’ont aucune intention de stopper l’implantation partout de la prématernelle à temps plein, dont Drummond juge les coûts «prohibitifs».

Du front tout le tour de la têt

On l’a compris, la modestie était incompatible avec la démarche de la Commission Drummond. «La réforme doit être de grande envergure et se faire rapidement», recommande-t-elle justement.

On est tout de même soufflé de lire: «le gouvernement devra mettre en oeuvre toutes les réformes que nous recommandons – ou à tout le moins des mesures financières raisonnables semblables – afin de limiter la croissance des dépenses de programmes de façon à parvenir à l’équilibre budgétaire d’ici 2017-2018. Le gouvernement ne doit pas choisir uniquement les réformes qui lui plaisent et laisser de côté celles qu’il juge inacceptables.»

Les commissaires reconnaissent que «le processus de restriction des dépenses sera couronné de succès uniquement si le public estime que les réformes sont justes». En effet, on vit en démocratie…

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Il ne faut surtout pas que le public croit qu’un certain nombre de programmes ont été ciblés injustement, préviennent-ils… même si on sait que c’est exactement ce que certains vont croire.

Le monde syndical a déjà commencé à maugréer, insinuant que la Commission Drummond exagère les difficultés financières de la province, qu’un ralentissement de la croissance des dépenses publiques aggraverait le chômage et la pauvreté, et que taxer davantage les «riches» ou les entreprises permettrait facilement de rééquilibrer le budget.

C’est un vieux refrain, celui-là même sur lequel dansent l’Ontario, le Québec et plusieurs pays d’Europe depuis des années, avec les résultats que l’on sait. Si la croissance des dépenses publiques «stimulait» l’économie, on roulerait tous sur l’or aujourd’hui!

Pour lire ou télécharger le rapport Drummond à partir du site du gouvernement de l’Ontario: www.fin.gov.on.ca/fr/reformcommission

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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