Plusieurs faiseurs de roi mais pas de couronnement

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Publié 24/10/2006 par François Bergeron

Michael Ignatieff a passé la plus grande partie de sa vie professionnelle à l’extérieur du Canada, enseignant dans les plus grandes universités. Il avait approuvé l’invasion américaine de l’Irak, a fortiori la mission canadienne en Afghanistan, bien qu’il condamne aujourd’hui «l’incompétence» des Américains. Le bombardement israélien de Cana, au Liban, «ne l’a pas empêché pas de dormir»… Oups! non, c’est plutôt un «crime de guerre»… Il reconnaîtrait le Québec comme une «nation» dans la Constitution canadienne, ce qui n’empêcherait pas le Canada de rester le «pays» des Québécois… Son français est presqu’aussi bon que celui de Bob Rae.

Bob Rae a été Premier ministre de l’Ontario pendant quatre années turbulentes et ruineuses dont il aurait tiré des leçons (lesquelles? mystère). Il était contre l’invasion de l’Irak mais pour la mission canadienne en Afghanistan. Son appui à Israël est aussi indéfectible que celui du Premier ministre Stephen Harper; c’est même en partie pour cela qu’il s’est éloigné du NPD, bien que ce n’est que cette année qu’il a acheté sa carte de membre du Parti Libéral. Ce n’est pas lui qui rouvrira le débat constitutionnel. Son anglais est presqu’aussi bon que celui d’Ignatieff!

Stéphane Dion est le Libéral loyal et loyaliste par excellence. Il a été l’architecte de la «loi sur la clarté» et de l’attitude qu’on a appelée le «plan B» contre le séparatisme québécois, concocté après le référendum de 1995 que les fédéralistes ont failli perdre parce qu’ils n’avaient pas de «plan A» (ils n’en ont toujours pas). Il s’est recyclé – passez-moi le jeu de mots – en environnementaliste et se présente comme le plus «vert» des candidats libéraux.

Gerard Kennedy a été ministre de l’Éducation de l’Ontario. Ce n’est pas rien, mais avant cela, son cv était plutôt mince: son père a été député libéral dans l’Ouest du pays; lui a géré une banque alimentaire avant de se lancer en politique ontarienne. Il est encore jeune. On ne lui connaît aucun ennemi. Il n’a jamais commis de gaffe politique majeure. Son français est aussi approximatif que l’anglais de Stéphane Dion.

Les quatre principaux candidats à la direction du Parti Libéral du Canada ont donc chacun certains handicaps face au Premier ministre Harper, que l’un d’eux aura à affronter lors d’élections générales dès l’hiver ou le printemps prochain. Le chef conservateur est loin d’être parfait lui-même, mais son action au gouvernement a éclipsé son passé controversé, et ses politiques – de la réduction de la TPS à la promotion de l’intervention en Afghanistan, en passant par les réticences face au mariage gai et au Protocole de Kyoto – ont au moins le mérite d’être clairement conservatrices. Et son français, déjà correct, continue de s’améliorer.

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La course à la direction du Parti Libéral a attiré onze candidats. Il n’en reste plus que huit, et ce nombre pourrait, devrait, aurait dû déjà diminuer d’ici le congrès de décembre. Frank McKenna, l’ex-Premier ministre du Nouveau-Brunswick, qui aurait tout de suite été considéré comme le meneur, s’est désisté dès le début. C’est d’ailleurs ce qui avait ouvert les vannes: autrement, on aurait pu assister à un autre couronnement, avec les dangers que cela comporte.

Vedette de hockey, avocat, écrivain, ex-ministre fédéral du Développement social, Ken Dryden aurait pu aller beaucoup plus loin s’il avait été bilingue. Qu’une telle personnalité ne soit pas arrivée à surmonter un tel obstacle devrait dissuader à l’avenir toute candidature unilingue à la direction d’un parti qui se prétend «national». Autre déception: la seule femme encore en lice, l’avocate bilingue Martha Hall Findlay, arrivera en derrière place, soit derrière Joe Volpe et Scott Brison! Sa campagne était pourtant originale, honnête et pas moins intelligente que celle des plus gros canons.

Par contre, les Libéraux peuvent remercier leur bonne étoile que la transfuge conservatrice Belinda Stronach, véritable Paris Hilton de la scène politique canadienne, ait eu la décence de ne pas participer à cette course. D’autres illuminés moins talentueux ont cédé à leurs démons intérieurs.

Ignatieff mènerait au premier tour, mais qui se ralliera à lui au second et au troisième? L’ancien professeur recruté par Paul Martin comme député d’Etobicoke devait être l’un des piliers de son gouvernement, voire son successeur. La victoire conservatrice du 23 janvier dernier a précipité les événements.

Le nouvel establishement du parti, discrédité par cette défaite, est largement dans le camp d’Ignatieff. L’ancien establishment, les amis de Jean Chrétien, discrédité par le scandale des commandites, gravite autour de Bob Rae. Les Libéraux aiment les intellectuels qui peuvent dire tout et son contraire: venant des politiciens plus traditionnels, c’est de l’incohérence; venant des rois-philosophes, c’est de la sagesse…

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Rae volerait peut-être des votes au NPD mais il en perdrait davantage aux Conservateurs, quoi qu’en dise un récent sondage surréaliste qui donne aussi les Libéraux sans chef à égalité avec les Conservateurs du Premier ministre.

Dion serait plus coriace pour les Conservateurs, mais les Libéraux – qui succombent facilement aux modes et aux images – le réaliseront trop tard.

Kennedy a beaucoup d’appuis en Ontario (très peu au Québec), susceptibles de migrer vers Ignatieff au second tour… à moins que ce soient les délégués déçus d’Ignatieff qui passent chez Kennedy. Les votes de Dion (respectables au Québec et mieux répartis à travers le pays) seront plus difficiles à gagner pour Ignatieff. Rae pourrait donc en profiter… à moins que ce soit lui qui finisse par se désister en faveur de Dion!

On l’a dit et on s’en réjouit: ce ne sera pas un couronnement.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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