Passeports s’il vous plaît!

Système d'identification sécuritaire à la frontière

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Publié 25/04/2006 par Marta Dolecki

Le Canada partage avec les États-Unis une frontière commune étendue sur plusieurs milliers de kilomètres. Mais depuis quelque temps, ceux qui vivent des échanges et déplacements entre les deux pays ne savent plus sur quel pied danser. Passeport ou pas? La nouvelle loi demandant aux citoyens canadiens et américains de se conformer à des règles de sécurité accrues sera-t-elle adoptée comme telle ou pas?

On parle simultanément de passeport, de nouvelle carte d’identité, ou encore d’autres alternatives viables, sans savoir quelle forme finale prendra la nouvelle loi américaine, plus connue sous le nom de «Western Hemisphere Travel Initiative».

À compter du 1er janvier 2008, Les États-Unis exigeront des voyageurs qui traversent la frontière canado-américaine de présenter soit un passeport, soit un autre document de sécurité personnalisé. Cette nouvelle loi américaine s’appliquera dès la fin de cette année aux points d’entrée aériens et maritimes.

Les signaux envoyés jusqu’ici par Ottawa en guise de réponse restent essentiellement confus. Ce qui amène certains à se demander si le Canada ne joue pas la carte de la duplicité dans ses rapports avec les États-Unis, ou encore, s’il ne se retrouve pas confiné dans un coin, soumis au bon vouloir de l’administration Bush et forcé d’accepter, à contre-cœur, ses prises de positions.

Lorsque le ministre canadien des Affaires étrangères, Peter MacKay, s’est entretenu avec son homologue américaine, Condoleezza Rice, au milieu du mois d’avril, cette dernière n’a pas dérogé d’un hiatus sur les exigences de la nouvelle loi, parlant soit, de passeport, soit de nouvelle carte de sécurité nationale.

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Puis, la semaine dernière, lors de sa rencontre avec le Secrétaire américain de la sécurité intérieure, le ministre de la Sécurité publique, Stockwell Day, a affirmé qu’il pouvait y avoir d’autres options aux passeports ou encore à la nouvelle carte de sécurité nationale. «Le simple fait que les États-Unis font quelque chose ne signifie pas que le Canada fera pareil automatiquement», avait-il alors déclaré.

Se trouver des alliés parmi les Américains

Quoi qu’il en soit, l’industrie touristique canadienne retient son souffle, attendant la décision finale pour pouvoir se conformer aux nouvelles directives. Les touristes américains dépensent chaque année 1, 6 milliards $ au Canada. Seulement, aux États-Unis, seulement 25 % de cette même population possède un passeport en règle, ce qui, si la loi américaine est appliquée, obligerait ces mêmes personnes à faire l’acquisition d’un nouveau document. Et rien ne garantit qu’elles en aient l’envie, ni le temps ou encore l’argent.

Pour la seule province de l’Ontario,  la mise en place des nouvelles exigences de sécurité à la frontière signifierait une perte de quelque 7, 7 millions de visiteurs américains équivalant à des pertes de 1, 8 billion de dollars canadiens pour l’industrie touristique, selon les estimations de la Commission canadienne du tourisme. Face à ces pertes massives vient donc se poser la question de savoir comment réduire ou, du moins, minimiser les dégâts.

Dans le dossier des passeports, il s’agit de se faire des alliés plutôt que de tenir tête de façon directe aux Américains, avance le politologue Stéphane Roussel. C’est tout l’art de la «diplomatie tranquille», savoir «comment persuader les Américains sur leur propre terrain, plutôt que de les affronter», explique ce professeur au département de science politique de l’UQAM, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en politique étrangère.

«Ce qu’il faut, c’est convaincre les sénateurs, les membres du Congrès américain qui sont en train de revoir le statut de loi qu’elle n’est pas bonne, qu’elle pose de graves problèmes, que cela va avoir un impact non seulement sur l’industrie du tourisme, mais également sur le plan commercial, fait valoir le professeur. C’est toute la question des alliés qu’on peut trouver aux États-Unis, les États frontaliers par exemple, mais aussi tous ceux qui ont intérêt à ce que la situation actuelle demeure comme telle», ajoute-t-il.

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Ce dernier croit que la tentative de trouver des alliés parmi les États américains passe par la dissipation de certains mythes associant la frontière canadienne à une véritable passoire.

«Est-ce qu’on peut convaincre les Américains que le Canada n’est pas un endroit dangereux et que des mesures comme celles des passeports n’augmenteraient pas de façon significative la sécurité à la frontière? C’est là tout l’enjeu, souligne Stéphane Roussel. La frontière est facile à passer, certes, mais de là à croire que le Canada est un refuge pour les ennemis des États-Unis, ça relève plus du mythe que de la réalité. Cependant, comme chacun le sait, les mythes sont en général très difficiles à dissiper.»

Réactions du gouvernement ontarien

Le gouvernement de l’Ontario pense qu’Ottawa et Washington devraient revoir la décision demandant aux citoyens canadiens et américains de se munir de passeports à la frontière.

Le ministre ontarien du Tourisme, Jim Bradley, mise pour cela sur une coopération accrue avec les États américains frontaliers, dans l’espoir, toujours, de faire pencher la balance en faveur de solutions alternatives.

«Il est faux de dire que les États-Unis ne peuvent pas changer d’avis dans le dossier des passeports, affirme-t-il en entrevue. Ce n’est pas ici une bataille qui oppose les intérêts d’un pays à ceux d’un autre. C’est une lutte pour faire comprendre à ceux qui se trouvent d’un côté et de l’autre de la frontière les impacts énormes que pourrait avoir cette mesure. Il y a beaucoup de membres du Congrès américain qui siègent à la tête de villes frontalières. Ils sont opposés à la loi américaine dans sa forme actuelle et ont le pouvoir de faire pencher la balance en faveur d’une solution alternative», croit le ministre.

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Selon Jim Bradley, le nouveau système d’identification sécuritaire pour les voyageurs est plus à même d’affecter les touristes américains qui planifient un voyage de dernière minute au Canada.

«Par exemple, une personne qui, en fin de semaine, se dit qu’elle voudrait bien passer le week-end à Toronto, aller voir The Lord of the Rings ou encore un match de hockey, va avoir tendance à annuler sa visite si elle et toute sa famille n’ont pas de passeport. On l’a bien vu pendant la période du SRAS, à chaque fois que les Américains sentent qu’il est difficile de traverser la frontière, ils préfèrent rester chez eux.»

Pendant ce temps-là, chez Marcel’s…

Loin de la sphère politique et des alliances visant à faire pencher la balance du pouvoir d’un côté comme de l’autre, le restaurant de Roberto Perron, implanté dans le quartier des théâtres, sur la rue King à Toronto, vit au rythme des clients qui viennent goûter à sa cuisine provençale, dans la plus pure tradition française.

Parmi eux se retrouvent des touristes américains. Ces derniers composent 20% de la clientèle de chez Marcel’s. Roberto Perron affirme qu’il peut leur servir jusqu’à 80 repas par jour, pendant les périodes particulièrement achalandées.

Il évoque ensuite les coûts financiers allant de pair avec l’acquisition de nouveaux passeports. On parle de 87 $ par adulte de 16 ans et plus, 37 $ par enfant entre 3 et 15 ans – ce qui, pour une famille de deux adultes, et trois enfants en bas age, revient à plus de 300 $ par foyer.

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Faisant appel à son sens logique, le gérant de chez Marcel’s ne pense pas qu’une famille de cinq ira dépenser plusieurs centaines de dollars simplement pour se rendre dans la Ville Reine, si attirante soit-elle. «Les Américains vont tout simplement décider d’aller ailleurs», affirme M. Perron qui affirme que la loi qui requiert les citoyens des deux cotés de la frontière de se doter de passeports pourrait lui faire perdre de 3 à 4 % de sa clientèle américaine.

«C’est stupide, mais que voulez-vous, c’est comme le prix de l’essence, on finit par s’y habituer et l’on trouve de nouvelles façons de faire», lance-t-il, philosophe.

Reste finalement maintenant à savoir si une telle mesure était vraiment nécessaire à la frontière canado-américaine. «Cette poursuite d’une sécurité absolue me paraît une mesure très vague, presque impossible à réaliser, vient conclure Stéphane Roussel. On a vraiment un cas ici où l’augmentation, la croissance des mesures de sécurité se fait au détriment des libertés de passer et des libertés de circulation.»

Voire, au détriment de libertés individuelles en créant des États, de villes, des sociétés de plus en plus sous surveillance?

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