Pas de «printemps arabe» chez nous, merci

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Publié 09/06/2011 par François Bergeron

Depuis le succès relatif, cet hiver, de la révolte populaire en Tunisie, qui a inspiré des actions semblables en Égypte, au Yémen, en Libye, en Syrie et dans quelques autres pays arabes, avec des résultats encore peu probants, il se trouve des gens, chez nous, pour rêver d’une telle révolution et scander, eux aussi, dans la rue ou dans des lettres aux journaux, «Harper dégage!»

Le 3 juin, lors de la lecture du Discours du Trône au Parlement, Brigette DePape, une diplômée de l’Université d’Ottawa âgée de 21 ans, a profité de sa fonction de page du Sénat pour manifester silencieusement son opposition au gouvernement, au milieu des députés et sénateurs, en tenant une pancarte rouge en forme de panneau d’arrêt sur lequel elle avait simplement écrit «Stop Harper!».

La photo a fait le tour du monde et suscité plus de commentaires que le Discours du Trône lui-même qui, il est vrai, ne contenait aucune surprise après une campagne électorale où tout avait déjà été exposé et débattu.

Dans le Toronto Star de jeudi, Brigette DePape explique qu’elle «sentait qu’elle avait une responsabilité d’utiliser son poste pour s’opposer à un gouvernement dont les valeurs vont à l’encontre de celles de la majorité des Canadiens». Le système électoral est «brisé», justifie-t-elle, puisqu’on se retrouve avec un gouvernement contre lequel ont voté 60% des Canadiens.

Stop! 40% des Canadiens ont voté pour les Conservateurs, 30% pour le NPD, 20% pour les Libéraux… 70% des Canadiens ont-ils donc voté «contre» le NPD? 96% «contre» les Verts? Notre système électoral pourrait certainement être amélioré, par exemple en prévoyant un second tour, voire un second choix sur le bulletin de vote, mais rien ne permet d’affirmer que les Conservateurs n’auraient pas alors recueilli une majorité de voix. Si le Parti libéral avait disparu avant le 2 mai, il est tout à fait possible que les Conservateurs aient recueilli 50% des suffrages, contre 40% pour le NPD.

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L’ex-page, originaire de Winnipeg, a maintenant un site web par lequel elle propose de financer «des organisations et individus engagés dans l’action directe créative non-violente contre l’agenda du gouvernement Harper». Agenda qu’elle résume par: «armement militaire, pollution de l’environnement, dégradation du système de santé et coupes dans les programmes sociaux et les emplois du secteur public»…

Stop! Les «valeurs canadiennes» s’apparentent-elles nécessairement aux valeurs de la gauche – étatisme débridé, réglementation débilitante, fardeau fiscal punitif, découragement de l’entreprenariat, appauvrissement général, gaspillage des fonds publics dans des projets écolo-communautaires utopiques, démocratie directe totalitaire – ou, plus prosaïquement, au programme du NPD? Pourquoi les libertés et les responsabilités personnelles, qu’évoquent plus souvent les Conservateurs et qui sont les moteurs de la prospérité, ne feraient-elles pas autant partie des valeurs canadiennes?

Brigette DePape, qui serait pourtant à l’aise au sein du NPD, semble rejeter l’action politique traditionnelle. «La politique ne devrait pas être laissée aux politiciens, et la démocratie ce n’est pas seulement voter tous les quatre ans», croit-elle. «La démocratie c’est s’assurer, dans l’engagement et la résistance tous les jours, que la vision que nous avons pour notre société est reflétée dans le processus décisionnel de notre gouvernement.»

C’est le «printemps arabe» qui l’a inspirée, raconte-t-elle, notamment la vidéo d’une Égyptienne de 26 ans appelant les gens à se rassembler sur la place Tahrir. Elle se dit «honorée» d’avoir reçu des messages de jeunes comme elle «disant que nous avons besoin non seulement d’un ‘printemps arabe’ mais bien d’un ‘printemps mondial’ qui fait appel au pouvoir du peuple pour combattre les problèmes qui existent dans chaque pays»…

Stop! Loin d’être rafraîchissante ou énergisante, une telle naïveté est plutôt affligeante et surtout loin d’être originale, considérant ce qui s’enseigne apparemment dans nos universités, ce qu’on lit et entend régulièrement dans les médias, dans les manifestations et dans toutes nos campagnes électorales.

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Que la «désobéissance civile» de Brigette DePape ait bafoué le «décorum» du Parlement, c’est là une considération très secondaire. Son geste, tout non-violent soit-il, est profondément arrogant en prétendant représenter la volonté et les valeurs de la majorité de la population canadienne, alors que celle-ci vient d’élire ce gouvernement Harper tant décrié.

Si Jack Layton avait été élu premier ministre, qu’aurait pensé Brigette DePape d’un «Stop Layton!» brandi par un de ses jeunes collègues inquiet de la dérive du Canada vers la dictature?

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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