On risque de créer une économie de «Tanguy»

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 31/01/2012 par François Bergeron

Vous vous souvenez de Tanguy (le film), ce garçon de 28 ans que ses parents n’arrivent pas à convaincre de quitter le nid familial et voler de ses propres ailes? Si rien n’est fait pour modifier le «contrat social» de façon à réduire l’endettement de nos gouvernements qui plombent nos économies, nous risquons de voir nos enfants rester indéfiniment à la maison.

C’est la plus saisissante des corrélations présentées mardi dernier au Club canadien de Toronto par l’économiste et stratège en chef de la Banque nationale, Stéfane Marion, qui se livrait à son exercice annuel de prévisions économiques.

Le Club canadien pouvait difficilement trouver mieux: dans son édition de fin d’année, le magazine Bloomberg Markets a identifié Stéfane Marion comme le meilleur prévisionniste canadien!

Si M. Marion ne nous apprend rien en nous disant que la zone euro est en péril et que l’économie américaine n’est pas sortie du bois, en revanche il illustre la situation de nombreux commentaires pertinents et de graphiques édifiants – dont celui associant la faillite probable de certains pays au nombre de jeunes hommes habitant encore chez leurs parents.

En Grèce, pour prendre l’exemple le plus extrême, ce pays dont la «probabilité implicite de défaut souverain» est de 100% (c’est-à-dire qu’on est certain que la Grèce ne pourra pas rembourser ses dettes) est aussi le pays où plus de 60% des hommes de 18 à 34 ans habitent encore chez leurs parents.

Publicité

On retrouve aussi un grand nombre de «Tanguy» au Portugal, en Italie, en Irlande et en Espagne: les quatre autres pays européens qui donnent le plus de sueurs froides à leurs créanciers.

Programmes sociaux

Ce pourcentage malsain de «Tanguy» est évidemment un symptôme des difficultés économiques que connaissent ces pays, caractérisés aussi par un chômage élevé chez les jeunes (plus de 40% chez les 15 à 24 ans en Espagne, autour de 30% en Grèce, en Irlande et en Italie).

Autre coïncidence qui n’en est pas une: ce sont souvent ces pays qui offrent les programmes sociaux les plus généreux, quoiqu’à respectivement 28% et 25%, la France et l’Allemagne consacrent un plus grand pourcentage de leur PIB aux programmes sociaux que l’Italie (24%), le Portugal (22%), l’Espagne (21%) et la Grèce (21%). L’exception ici est l’Irlande à 16%, comme le Canada.

La Grèce, l’Espagne, l’Italie, le Portugal et la France – dans cet ordre – offrent aussi les systèmes de retraite les plus généreux, garantissant plus de 50% (près de 100% dans le cas de la Grèce) de leur ancien salaire aux retraités… qui le deviennent parfois dès l’âge de 55 ans!

Le défi, ici, selon M. Marion, est «d’indexer les pensions au vieillissement de la population», c’est-à-dire de réduire les montants payés chaque année si on veut continuer de les payer aussi longtemps.

Publicité

Dettes souveraines

Signe des temps: dans la salle de l’hôtel Royal York adjacente à celle du Club canadien où s’exprimait Stéfane Marion mardi dernier, le premier ministre de l’Ontario, Dalton McGuinty, s’adressait au Canadian Club pour confirmer, justement, la volonté de son gouvernement de prendre des mesures pour ralentir le rythme de croissance de ses dépenses afin d’équilibrer le budget provincial, comme prévu, en 2018.

«Tous les pays dont la dette dépasse 80% du PIB sont surveillés de près par les marchés financiers», indique Stéfane Marion. Cela inclut la Grèce (165%), le Japon (131%), le Portugal (101%), l’Italie (100%) et la France (81%).

Dans ce tableau conservateur (car d’autres méthodes de calcul tiennent compte de futures obligations et donnent des dettes souveraines plus élevées), la dette canadienne, tous paliers de gouvernement confondus, ne représente que 35% de notre PIB.

M. Marion s’empresse de disculper les banques «too big to fail» de toute responsabilité dans cette sale affaire, insinuant qu’elles sont victimes de l’étourderie des gouvernements qui ont vécu trop longtemps au-dessus de leurs moyens.

Une grande partie des fameuses dettes souveraines est en effet détenue par les banques nationales ou celles des voisins.

Publicité

Les banques britanniques et italiennes, notamment, détiennent une forte proportion de dettes souveraines (elles ont surtout prêté à leur propre gouvernement), alors que les banques canadiennes et américaines sont les moins exposées aux défauts de paiement des États.

«On nous a assuré pendant des années que les dettes souveraines étaient garanties, et soudain ce n’est plus le cas», déplore-t-il.

Emploi et logement

En 2012, selon Stéfane Marion, la croissance économique mondiale pourrait s’établir à 3%. Malheureusement pour nous, cela sera surtout le fait des pays «émergents», principalement asiatiques, dont la production industrielle dépasse maintenant celles de l’Europe et des États-Unis combinées.

Un fort taux de chômage (autour de 9%) persiste aux États-Unis, où le pourcentage des gens qui sont sans emploi depuis 6 mois a beaucoup augmenté. Par contre, souligne M. Marion, les nouveaux emplois créés sont souvent meilleurs que ces dernières années.

Il note également avec satisfaction que le PIB américain a repassé son niveau antérieur à la récession de 2008, et que les ménages remboursent leurs dettes, contrairement aux Canadiens qui continuent de s’endetter.

Publicité

Depuis 2006, le prix des logements a baissé aux États-Unis mais il a continué d’augmenter au Canada.

C’est d’ailleurs aussi depuis 2006 que le pourcentage de ménages propriétaires de leur logement est plus élevé au Canada que chez nos voisins du Sud. On remarque aussi que, pour la première fois dans l’histoire américaine, il est aujourd’hui plus dispendieux de payer un loyer qu’une hypothèque.

L’immobilier résidentiel reposerait toutefois sur des bases solides, au Canada et aux États-Unis, grâce à une certaine croissance (de 3 à 4%) de la population des 20 à 44 ans, alors que ce groupe démographique décline (de 6 à 8%) dans des pays comme la Grèce, le Japon, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie.

Incertitude politique

À surveiller: une foule d’exemptions «temporaires» de taxes et d’impôts, adoptées aux États-Unis dans la foulée de la crise de 2008, devraient prendre fin bientôt – en pleine année électorale! – ce qui risque de ralentir la reprise économique.

Pour Stéfane Marion – et peut-être pour un grand nombre de «prévisionnistes» et d’observateurs intéressés comme lui – la plus grande incertitude n’est pas économique mais bien politique: «les politiciens trouveront-ils le courage d’assainir les finances publiques et de résister aux tentations protectionnistes?»

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur