Obama: c’est mal parti

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 15/01/2009 par François Bergeron

Ce 20 janvier 2009, Barack Obama devient le 44e Président des États-Unis. C’est la fête, l’allégresse même dans certains milieux, qui trouve des échos enthousiastes chez nous et aux quatre coins de la planète. Son assermentation nous donnera une nouvelle occasion d’admirer sa prodigieuse éloquence. On est conscient d’assister à une renaissance américaine qui survient, paradoxalement, en pleine crise économique qui limitera forcément l’action de la nouvelle administration.

Jamais un nouveau chef de l’exécutif n’a suscité d’aussi grandes attentes, souvent irréalistes car le locataire de la Maison Blanche ne peut pas (ne doit pas) tout faire. D’aucuns croient que l’élection d’Obama est un miracle. Ce qui serait réellement miraculeux, c’est qu’il parvienne à réaliser ne serait-ce que quelques-unes de ses promesses: ramener la paix là où ses prédécesseurs ont semé la guerre, commencer à rééquilibrer l’économie, réorienter son pays dans la voie du modernisme…

Mais c’est mal parti.

Témoignant le 13 janvier devant le comité sénatorial chargé d’entériner sa nomination au poste de Secrétaire d’État (ministre des Affaires extérieures), Hillary Clinton a rejeté d’avance tout dialogue avec des représentants du Hamas, le mouvement politique/religieux/militaire en guerre contre Israël dans la bande de Gaza.

En campagne électorale, Barack Obama s’était pourtant distingué de ses adversaires en affirmant que les États-Unis devaient parler avec ses ennemis: l’Iran, la Syrie, le Hezbollah, le Hamas, les Talibans, et ailleurs la Corée du Nord, la Russie, Cuba…  Ça tombe sous le sens: c’est avec ses ennemis qu’il faut discuter pour régler les conflits.

Publicité

Le Hamas a remporté les dernières élections législatives palestiniennes au début de 2006, puis s’est emparé du pouvoir à Gaza… événements auquel Israël a réagi en resserrant son blocus du petit territoire déjà très pauvre… étranglement auquel le Hamas réplique par des tirs de roquettes…

Même si son action a marginalisé le Président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas et stoppé les démarches devant mener à la création d’un État palestinien, le Hamas s’est imposé comme un interlocuteur incontournable. N’en déplaise à Hillary Clinton, il est futile de tenter de faire dépendre la participation du Hamas au dialogue de conditions qui représentent justement ce qu’on veut finir par obtenir de lui: la reconnaissance d’Israël, la renonciation à la violence, etc.

Au mieux, le Hamas participera à un règlement durable de la question palestinienne. Au pire, son refus de participer ou ses exigences extravagantes exposeront sa duplicité et, s’il reprend la lutte armée, justifieront sa criminalisation.

Un tel dénouement pourrait survenir sous la présidence de Barack Obama, si bien sûr celui-ci se fie à son idée originale contre l’avis de sa Secrétaire d’État. Le Président-élu affirmait récemment qu’il s’occupera du conflit israélo-palestinien dès son entrée en fonction. Cette situation particulière est grave et urgente, on en convient, mais on a vraiment très hâte que les Américains décrochent de leur obsession ruineuse pour le sort d’Israël et du Moyen-Orient. On attend donc ce «changement» promis par Barack Obama, c’est-à-dire ici une vision plus large des défis mondiaux.

En même temps, les Américains doivent s’occuper davantage d’eux-mêmes, de leur économie et de leur société qu’ils ont négligées. La crise financière force cette introspection. Entre autres, elle fournit aux Américains l’occasion de réduire la taille impériale de leurs forces armées et leur implication un peu trop directe dans les affaires des autres continents.

Publicité

Malheureusement, Barack Obama n’a pas signalé qu’il a l’intention de profiter de la crise pour faire ce nettoyage. Au contraire, il déclarait récemment envisager la poursuite de la politique financière de son prédécesseur en accumulant des déficits d’un trillion de dollars par année «pendant les années à venir» afin de protéger des millions d’emplois dans les secteurs en difficulté – ce qui inclut presque tous les secteurs à en juger par la liste des réclamations, parfois surréalistes, qui s’allonge.

Ces déficits (celui de 2008 aussi, sous George W. Bush, dépassera le trillion de dollars) feraient passer la dette accumulée, d’une dizaine de trillions à l’heure actuelle, à une quinzaine de trillions à la fin du premier mandat d’Obama. Quinze trillions, c’est le «poids» de l’économie américaine, le PIB. L’une des mesures de la santé financière d’une nation est le rapport entre sa dette et son PIB (qui est aussi, quelque part, sa capacité de la rembourser): ce rapport sera bientôt de 100%!

Comment concevoir qu’un tel endettement – qui se trouve précisément à la source de la crise actuelle: on jette de l’huile sur le feu – ne finira pas par dévaluer le dollar, réduire la marge de manoeuvre du gouvernement, accroître sa dépendance envers ses créanciers étrangers, générer de l’hyperinflation, et créer une instabilité encore plus débilitante en retardant les nécessaires corrections du système économique et financier?

Donc on dépensera pour «stimuler», «relancer» ou même «réanimer» l’économie… Souhaitons au moins que Barack Obama – et bien sûr le Congrès démocrate qui vote les lois et les budgets, de même que les gouvernements des 50 états et des villes, qui n’ont pas disparu – dépensent «mieux» que l’administration précédente, c’est-à-dire plus judicieusement et avec le maximum d’impacts positifs: moins pour la bureaucratie et les prisons mais plus pour l’éducation et l’innovation, par exemple. Souhaitons que ses réductions de taxes et d’impôts, s’il y en a, soient mieux ciblées, valorisent la production plutôt que la spéculation. Souhaitons même qu’on trouvera utile un jour d’encourager l’épargne plutôt que la (sur)consommation. Mais, on l’a dit, c’est mal parti…

Est-ce mal parti aussi pour le modernisme? Obama remplacera-t-il les évangélistes républicains par des prêcheurs démocrates? Lui-même tient parfois un discours messianique… Il n’a jamais formellement répudié l’invasion de la politique par la religion qui caractérise tant de nations sous-développées mais qui, parmi les démocraties industrialisées, singularise les États-Unis.

Publicité

La démarche scientifique ou l’analyse rationnelle remplaceront-elles définitivement l’interprétation de la Bible ou les doctrines religieuses dans le choix des juges et la conception des programmes d’assistance sociale, dans l’importance accordée à la protection de l’environnement et dans la conduite de la politique étrangère? Ce 20 janvier, le nouveau Président jure de protéger la Constitution américaine, dont l’esprit et la lettre prescrivent la séparation de l’Église et de l’État. Nous chantons «Yes, We Can» nous aussi.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur