Moins de compassion s.v.p.

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Publié 17/07/2007 par François Bergeron

Le fondateur de Médecins sans frontières, Bernard Kouchner, aujourd’hui ministre des Affaires étrangères dans le nouveau gouvernement français, a été l’un des grands promoteurs de l’interventionnisme des pays civilisés dans les régions où sévissent des crises humanitaires.

Cette idée (française?), inimaginable pendant la Guerre Froide, a connu son heure de gloire à l’approche de l’an 2000. La communauté internationale a eu honte de son immobilisme pendant le génocide rwandais de 1994. C’est ce sentiment, entre autres, qui a motivé l’OTAN à se porter à la défense des Kosovars menacés d’extermination par les Serbes en 1999.

Depuis un an ou deux, les massacres et les déplacements de populations au Darfour (Soudan) placent cette région en tête de la liste des candidates à une intervention étrangère, qui prendrait ici la forme d’une interposition de casques bleus africains ou occidentaux entre les milices pro-gouvernementales et les rebelles locaux.

Idéalement, de telles missions seraient bien accueillies par les gouvernements qui auraient perdu le contrôle de la situation dans une province sinistrée. Mais comme ces gouvernements sont souvent les plus grands coupables de la crise – c’était le cas au Rwanda et en Serbie et c’est le cas aujourd’hui au Soudan – ils s’opposent à toute intervention étrangère au nom du respect de leur souveraineté.

Par ailleurs, certaines nations où peuvent encore se produire de sérieux dérapages, comme la Chine et la Russie (qui jouissent d’un droit de véto au Conseil de sécurité des Nations unies), sont tout simplement trop puissantes pour qu’on puisse envisager d’y envoyer qui que ce soit sans leur autorisation.

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Mais surtout, la dernière grande intervention occidentale (américaine) au Moyen-Orient, l’invasion de l’Irak en 2003, a complètement discrédité le concept de l’intervention humanitaire. Ce fiasco inqualifiable a ravivé chez nous l’intérêt pour l’isolationnisme, l’indifférence et la fermeture face à la sauvagerie qui peut caractériser les rapports entre les peuples en Afrique et en Asie.

Sunnites et Chiites en Irak? Nordistes et Talibans en Afghanistan? Nationalistes et Hezbollah au Liban? Hamas et Fatah en Palestine? Laissez-les s’entretuer! On ne s’est jamais intéressé à la misère du Congo ou à l’anarchie de la Somalie, tout comme on a oublié les Tchétchènes ou les étudiants de la Place Tienanmen; pourquoi s’acharnerait-on à vouloir pacifier, démocratiser et libéraliser le Moyen-Orient?

Car, à entendre le président George W. Bush, l’occupation de l’Irak, ruineuse à tous points de vue, est une mission humanitaire. N’ayant trouvé en Irak aucune arme de destruction massive, encore moins de lien avec les responsables des attentats du 11 septembre 2001, les Américains ont continué de justifier le renversement du régime de Saddam Hussein par l’utilité de promouvoir la démocratie et les libertés occidentales dans cette région du monde.

Cet objectif très secondaire à l’origine – toujours désirable en théorie, mais qui ne mérite jamais à lui seul une telle mobilisation militaire, sinon on attaquerait aussi Cuba, le Bélarus, la Corée du Nord et plusieurs autres pays; on serait toujours en guerre! – est devenu la motivation officielle, frauduleuse, de l’action américaine en l’Irak.

C’est aussi par compassion que le Canada envoie des soldats en Afghanistan: pour former des policiers impartiaux, bâtir des écoles de filles et détourner la culture du pavot de l’héroïne vers les médicaments…

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Paradoxalement, quand des élections sont organisées dans les territoires palestiniens et que le Hamas est élu, Washington et ses alliés (à commencer par Ottawa dans ce cas précis) sabotent l’action du nouveau gouvernement. Les États-Unis dénoncent la menace représentée par les dictatures en Syrie et en Iran, mais louent le rôle modérateur de dictatures du même acabit en Égypte et en Arabie Saoudite. Cette contradiction flagrante affaiblit ce qui reste d’opposition pro-occidentale en Syrie et en Iran, et enflamme l’importante opposition anti-occidentale en Égypte et en Arabie Saoudite où des islamistes radicaux seraient sans doute élus si on y organisait des élections libres… tout comme ils s’imposeraient en Irak et reprendraient le pouvoir en Afghanistan après le départ des Américains et de l’OTAN.

Selon nos gouvernements (du moins ceux du monde anglophone: Washington, Ottawa, Londres, Camberra, mais peut-être aussi Paris depuis les dernières élections?), ce serait là un plus grand malheur pour ces populations que le 
chaos actuel. En réalité, c’est peut-être l’expérience du joug islamiste, sans interférence étrangère, qui constituerait à moyen terme la meilleure inoculation contre cet obscurantisme débilitant.

L’intervention américaine en l’Irak a jeté de l’huile sur le feu, exacerbant les conflits entre Israël et ses voisins, encourageant l’islamisme rétrograde du Maghreb au Pakistan jusqu’en Indonésie, et facilitant le recrutement de terroristes anti-occidentaux partout dans le monde, y compris dans nos communautés d’immigrants. Il est absurde de prétendre qu’un retrait américain d’Irak (mieux, de tout le Moyen-Orient) empirerait la situation.

Laissez plutôt ces populations vivre sous des régimes islamistes, prier cinq fois par jour, voiler leurs femmes, interdire la musique, si c’est ce qu’ils veulent. Leurs enfants souhaiteront peut-être autre chose…

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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