Je doute fort que Michael Jerome Browne soit opportuniste au point d’avoir planifié le lancement de This Beautiful Mess pour coïncider avec l’engouement de l’Amérique pour Barack Obama (et la promesse qu’il représente), mais il faut reconnaître que son timing est impeccable. En effet, tandis que nos voisins du Sud nous font miroiter la possibilité de mettre fin à leurs éternels clivages (raciaux et autres), Browne rapplique avec un album qui nous renvoie à cette curieuse période de l’histoire musicale américaine – les années 60 – où la rencontre entre les cultures musicales noires et blanches allait accoucher de cette redoutable invention : la soul.
En bon historien des musiques traditionnelles d’Amérique du Nord, Michael Jerome Browne, un natif de l’Indiana qui habite depuis son enfance à Montréal, connaît bien les curieuses origines d’un tel miracle. « Dans les années 60, une certaine ouverture d’esprit a permis à Booker T. & the MG’s – deux noirs et deux blancs – de devenir le groupe d’accompagnement #1 de la musique Soul de Memphis, et aux musiciens majoritairement blancs de Muscle Shoals, en Alabama, d’accompagner toutes les grandes vedettes de la soul.»
Ce trafic d’influences, comme le rappelle Browne, n’opérait pas à sens unique. « Une série de chanteurs soul ont été influencés par le country : Ray Charles, Solomon Burke, James Carr, Arthur Alexander, Candi Staton, Percy Sledge… Beaucoup de ces gens ont grandi en écoutant le Grand Ole Opry. Et de l’autre côté, il y a ces chanteurs qu’on considère country, comme Charlie Rich, qui ont été fortement influencés par le rhythm & blues. Ce n’était pas la première fois que les deux groupes s’influençaient musicalement – ça, ça remonte très loin – mais les styles se confondaient et les musiciens jouaient ensemble dans des situations qui auraient été impossibles auparavant. »
L’assassinat de Martin Luther King, Jr. à Memphis en 1968, allait tempérer l’enthousiasme des musiciens noirs pour ce genre de collaboration, tandis que le funk emboitait le pas, revendiquant un afrocentrisme plus exclusif. Si certains artistes comme Ray Charles, Solomon Burke ou Willie Nelson maintenaient le dialogue, les deux courants ont divergé, tandis que les médias et l’industrie musicale, soucieux de cerner et d’exploiter des créneaux distincts, a fait le reste. «Je crois qu’aujourd’hui, les définitions commerciales de «country» et «R&B» sont trop éloignées pour se rejoindre», de souligner Browne.
Ça ne l’a pas empêché de recréer avec succès l’alchimie de cette époque bénie, en rassemblant une poignée de musiciens légendaires issus des deux côtés de l’équation, dont le redoutable organiste montréalais Ken Pearson (qui avait accompagné Janis Joplin sur l’album Pearl), et le virtuose torontois du pedal steel, Burke Carroll.
Mais pour Michael Jerome Browne, qui maîtrise une foule d’idiomes traditionnels de l’Amérique (cajun, blues, musiques des Appalaches), un tel projet était l’occasion de pousser sa voix – la soul et le country sont des genres musicaux axés sur les nuances de l’interprétation – mais aussi de s’affirmer comme compositeur. «J’ai déja fait des interprétations dans ce style dans le passé, mais ce qui est vraiment nouveau c’est le nombre de chansons originales, où il faut vraiment créer. C’est un élargissement de ma vision musicale.»