Marie Chouinard vit et respire la danse

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Publié 01/03/2006 par Marta Dolecki

Tel un artisan travaillant la pierre, la chorégraphe montréalaise Marie Chouinard scuplte les corps à la recherche d’une vérité éternelle et immuable.

À Toronto, installée sur le canapé d’une chambre d’hôtel, elle remplit la pièce d’une énergie peu commune. Son corps est bien positionné, entièrement engagé dans l’espace, tandis que l’expression de son visage et sa gestuelle viennent trahir son excitation, alors même qu’elle évoque sa nouvelle création. Résolument urbaine dans son tailleur court, sa jupe rehaussée d’une porte-clef en queue de renard; elle a le visage pâle, les yeux d’un bleu perçant, et de longs cheveux roux qui lui tombent librement sur ses épaules.

Prêtresse de‑la danse, le corps est sa demeure

Souvent qualifiée de «sorcière du mouvement», ou encore de «grande prêtresse de la danse contemporaine québécoise», Marie Chouinard a passé plus de 27 ans à inventer des mouvements qui tentent de capturer l’ineffable, l’indicible, les impulsions primitives du corps humain. Son œuvre entière est portée par cette grande liberté qui la pousse à toujours vouloir explorer de nouveaux langages scéniques.

Fascinée par le corps qu’elle considère comme un temple, une bible précieuse, elle donne vie à des créations qui tentent de démontrer comment l’esprit peut s’exprimer à travers la chair humaine. La chorégraphe montréalaise est une artiste complète qui aime à suivre ses coups de cœur. Un mot, une impression, une musique entendue dans un walkman, peuvent venir déclencher chez elle le processus de création.

Cette fois, Marie Chouinard confesse avoir été séduite par la mu-sique et la voix du compositeur torontois Glenn Gould. Quoi de mieux, s’est-elle dit, que de traduire cette voix unique aux rythmes et aux intonations étranges par la puissante beauté des corps humains et de la danse. Les Variations Golberg de Jean-Sébastien Bach, que Gould avaient enregistré à New York en 1982 viennent donner leur nom au spectacle de danse intitulé Body Remix/Goldberg Variations.

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Pour Marie Chouinard, le corps, tout comme certaines voix humaines – il faut se rappeler des monologues que Glenn Gould menait à bâtons rompus lors de ses entrevues – ont une âme, un souffle, une rythmique propre qui, dans les deux cas, viennent traduire l’intelligence de l’émetteur.

La danse des corps reproduit l’intelligence de la voix

Tout au long du spectacle Body Remix/Goldberg Variations, les mouvements des danseurs, leur respiration saccadée, viennent reproduire cette rythmique de la parole, à la fois prolixe et inspirée.

«Nous n’avons pas utilisé la musique originale des Variations Golberg, mais une musique remixée, déconstruite qui a été ensuite reconstruite, fait valoir en entrevue Marie Chouinard. En même temps, on a joué avec la voix de l’artiste. Quand Glenn Gould parle, sa voix monte, puis retombe. Il y a toute cette rythmique dans la communication qui représente pour moi un signe d’intelligence, un peu à l’image de Bach dont l’intelligence était mathématique, absolument extraordinaire», s’exclame la chorégraphe avec enthousiasme.

Du temps de son vivant, le simple fait de travailler avec Glenn Gould pouvait représenter des heures de montage et d’enregistrement sur bande magnétique. Le compositeur peaufinait, retravaillait ses morceaux encore et toujours. «Je me suis dit que c’était complètement dans l’esprit de ce que j’essaie de faire, moi qui suis en train de travailler sur le corps», affirme Marie Chouinard à cet égard. C’est alors que le spectacle a commencé à prendre forme dans son esprit.

Ovationné lors de sa grande première à la Biennale de Venise en juin dernier, Body Remix/Goldberg Variations sera présenté à Toronto le 3 novembre prochain au Centre Hummingbird. Mélangeant le classique et le radical, le spectacle de la compagnie Marie Chouinard vient explorer l’idée d’une nouvelle géométrie du corps.

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Sur scène, on voit apparaître des danseurs qui se déplacent à l’aide de béquilles, de barres horizontales et de prothèses. Leur corps est recouvert de simples bandeaux qui ressemblent à des pansements. Tous ces instruments qui, traditionnellement, altèrent la liberté de mouvement, deviennent sur scène des extensions de l’être.

«J’avais envie de travailler avec les danseurs sur un corps augmenté, allongé, avec ces cannes, ces béquilles, ces objets qui viennent prolonger le corps avec des objets métalliques qui sont en général des empêchements de bouger, mais, qui dans le présent spectacle, fonctionnent comme des augmentations de possibilité de bouger, explique Marie Chouinard. C’est comme si tous ces instruments devenaient tout à coup le signe d’une nouvelle rééquilibration mathématique, d’une nouvelle géomé-trie du corps qui permet d’explorer les choses autre-ment.»

Les danseurs comme des instruments de musique

Au service de cette nouvelle géométrie des corps, une troupe de danseurs qui, selon la chorégraphe, fonctionnent «comme des instruments de musique faisant résonner le corps dans sa beauté propre», précise-t-elle.

Comme toujours, la chorégraphie chez Chouinard se caractérise par la rigueur de son articulation, son sens de l’épuration, son traitement quasi-mathématique de l’espace permettant au classique comme au moderne de coexister sur scène sans le moindre problème. C’est ainsi qu’une danseuse, un pied sur une pointe, l’autre posé par terre, déambule sur les planches du Centre Hummingbird. Clin d’œil à l’héritage laissé par la danse classique? «C’est vrai, reconnaît Marie Chouinard. Avec des éléments comme la barre, les tutus, les pointes, j’avais envie de rendre hommage à la musique de Jean-Sébastien Bach», précise-t-elle.

Parce qu’elle-même a été danseuse soliste pendant 15 ans, Marie Chouinard comprend mieux que quiconque sa troupe de danseurs. Ils sont présentement une dizaine à composer la Com-pagnie Marie Chouinard, fondée en 1990. «Quand je les vois danser, je les aime. Je prends beaucoup de notes sur leurs performances sur scène, mais c’est par passion. J’ai envie de communiquer la chose la plus juste pour ce passage-là, leur dire quelle était mon intention», dit-elle dans un souffle.

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Longtemps considérée comme l’enfant terrible de la danse contemporaine, Marie Chouinard semble s’être assagie avec l’âge. De ses jeunes années de danseuse soliste, le public gardera en mémoire l’une de ses prestations, Marie Chien Noir, en 1982, connue pour sa longue scène de masturbation. D’autres ont précédé, où on l’a notamment vu, vê-tue d’une robe blanche, uriner dans un sceau d’eau.

Cependant ce temps-là semble révolu, comme résorbé dans une création qui regarde toujours de l’avant, à l’affût de la moindre idée. Ce constat d’un assagissement progressif semble être confirmé par les écrits de la presse internationale. «Finies les images de révolte des premières années, les hauts-de-cœur et l’urine devant le public», écrivait à son propos une critique du New York Times.

En revanche, la passion de Marie Chouinard pour l’art ainsi que sa vibrante énergie demeurent, elles, bien vivantes et intactes. «Je vais puiser la vitalité chez les artistes qui sont des génies. Ce qui m’intéresse dans l’art, c’est de trouver où est-ce qu’il y a un génie, un créateur, quelqu’un qui va me reconstruire dans l’instant», conclut l’ex-danseuse.

Body Remix/ Goldberg Variations, présenté le 3 novembre au Centre Hum-mingbird, 1 rue Front Est. Prix des billets: de 35 à 49 $. Pour plus d’information: billetterie, tél: 416-872-2262 ou www.hummingbirdcentre.ca

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