Mariage, missiles, médias, marijuana…

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 12/04/2005 par François Bergeron

Le calcul de Stephen Harper

Plusieurs commentateurs se demandent pourquoi le chef conservateur Stephen Harper mène une bataille aussi acharnée contre le mariage homosexuel, alors que son parti a besoin de nouveaux électeurs en Ontario et au Québec où cette réforme serait moins controversée que dans l’Ouest. Il a notamment ciblé des communautés de néo-Canadiens traditionnellement acquises au Parti libéral mais hostiles au mariage gai.

Harper réussira sans doute à détacher quelques-uns de ces électeurs du Parti libéral. Mais pour la majorité des immigrants récents, le mariage homosexuel ne représente qu’une bizarrerie de plus de la société canadienne – dont les qualités et les avantages restent plus nombreux. Ce gain des gais et lesbiennes n’est pas une raison suffisante pour amener les minorités ethniques (parmi lesquelles on trouve bien sûr des homosexuels) à répudier les Libéraux, qui les ont toujours mieux traitées que les Conservateurs.

C’est aussi le sentiment de nombreux autres citoyens, ennuyés par le mariage gai ou par la promotion de l’homosexualité en général, mais pas au point de fonder leur intention de vote uniquement là-dessus.

Le calcul de Harper sera plus payant, dans l’électorat canadien en général, en confirmant son statut de politicien qui tient ses promesses. Au cours de la prochaine campagne, il ne sera pas accusé d’avoir trahi ses électeurs, alors que les Libéraux avaient voté en 1999 une résolution au Parlement pour le maintien de la définition traditionnelle du mariage, mais n’y ont pas donné suite devant les tribunaux.

Publicité

Harper pourra alors se faire le champion de causes plus importantes pour son parti et pour le pays. Mais il devra changer de disque. Quand la réforme de la loi sur le mariage sera votée malgré lui au Parlement et dans les assemblées législatives provinciales, il pourrait abandonner l’idée de revenir en arrière sur cette question. Il y a des précédents: lors de son récent congrès à Montréal, le Parti conservateur s’est interdit toute velléité de légiférer en matière d’avortement et a confirmé son appui au bilinguisme officiel.

NORAD et le bouclie

Évitant un débat au Parlement et au sein du Parti libéral, le gouvernement a dit non au projet américain de bouclier anti-missiles… quelques semaines après avoir confirmé au NORAD, le commandement américano-canadien de la défense aérienne, son rôle de détection des avions et des missiles ennemis. Même notre nouvel ambassadeur à Washington, Frank McKenna, qui venait d’observer que le Canada participait de facto à la défense anti-missiles, a été tenu à l’écart de cette décision contradictoire.

Ce sont les Américains, qui vont y consacrer des milliards de dollars, pas les Canadiens, à qui on ne demandait qu’un appui symbolique, qui devraient protester contre le projet anachronique de bouclier anti-missiles.

La Russie et la Chine ne rebasculeront pas dans le totalitarisme génocidaire. La Corée du Nord, l’Iran, le Pakistan, Cuba ne représenteront pas une menace sérieuse pour États-Unis au XXIe siècle.

Aucun groupe terroriste, même décidé à acquérir l’arme atomique ou nucléaire, ne se servira de fusées intercontinentales pour attaquer l’Amérique du Nord ou l’Europe. Un tel missile, qui fait cinq étages de hauteur et qui doit être guidé par des moyens très sophistiqués, est mille fois plus difficile et coûteux à fabriquer et à cacher que son ogive, c’est-à-dire la bombe elle-même. Al- Qaïda choisira plutôt l’avion et le bateau, voire la fabrication sur place et la livraison en camion!

Publicité

Cependant, le Canada a peut-être raté une occasion de contribuer à freiner la militarisation de l’espace et la course aux armements. En échange de notre accord pour que le NORAD ajoute à ses fonctions l’éventuelle destruction d’improbables missiles ennemis, nous aurions pu demander des garanties contre le déploiement d’armes dans l’espace et pour la poursuite des efforts internationaux de désarmement et de non-prolifération.

Face à la paranoïa américaine, que nous aurions pu chercher à exploiter, avons-nous baissé les bras trop tôt? Surtout qu’un comité d’experts, piloté par l’ancien ministre John Manley, vient de proposer la création d’un périmètre nord-américain de sécurité (Canada, États-Unis, Mexique) impliquant une intégration et une gestion tripartite de la défense, de l’immigration et du commerce.

Au lieu d’être le partenaire que les États-Unis devraient chercher à satisfaire pour conserver le NORAD et pour ériger cette zone de sécurité, nous sommes peut-être devenus celui dont ils devront se débarrasser ou qu’ils devront bousculer pour avoir l’impression de prendre toutes les mesures pour se protéger.

Cinquième colonn

Il est indéniable qu’une participation canadienne au bouclier antimissiles, même symbolique, suscitait l’opposition d’une grande majorité des Canadiens. Le Bloc québécois et le NPD étaient intraitables là-dessus. Les Libéraux étaient divisés: Paul Martin auraient souhaité accomoder les Américains, mais pas au prix d’une révolte de ses députés et de reculs électoraux au Québec et en Ontario. Même les Conservateurs gardent le profil bas dans ce dossier, acceptant simplement d’en rediscuter avec Washington.

Les critiques canadiennes de la décision du gouvernement Martin de ne pas participer à ce projet si cher à l’administration Bush sont venues des médias. Les éditoriaux non signés des plus grands quotidiens canadiens-anglais, de même que plusieurs de leurs commentateurs vedettes, ont dénoncé l’incohérence du gouvernement – qui dit oui au NORAD mais pas au bouclier qui en est le prolongement logique – et ce, au moment où on demande aux Américains de rouvrir leur marché à notre boeuf et notre bois d’oeuvre.

Publicité

Les grands médias canadiensanglais (le Globe and Mail appartient à BCE, Bell, qui possède aussi CTV, tandis que le National Post est l’organe de la famille Asper, également propriétaire du réseau Global) seraient donc plus à «droite» que la majorité des Canadiens sur les questions de défense et de politique étrangère.

Ce n’est pas toujours le cas: dans le dossier du mariage gai, par exemple, leurs éditoriaux ont été largement favorables à la réforme et, en cela, à «gauche» de leurs lecteurs.

Consommation sans commerce

Cette tendance des médias canadiens-anglais à partager les obsessions israélo-sécuritaires de la Maison Blanche s’est aussi manifestée par l’extraordinaire couverture accordée à la mort de quatre jeunes policiers fédéraux qui tentaient de récupérer le véhicule d’un criminel sur sa ferme en Alberta le 3 mars.

Pendant une semaine, on a eu droit à des cortèges d’uniformes rouges et des manchettes appelant à la tolérance zéro contre la marijuana. Car l’assassin, a-t-on faussement annoncé au début, défendait la trentaine de plants de pot trouvés dans sa grange…

Heureusement, cela n’a pas empêché les Libéraux, réunis en congrès à Ottawa, d’adopter une résolution pour la décriminalisation de la marijuana. Malheureusement, le gouvernement va s’embourber dans ce dossier en décriminalisant la possession de très petites quantités de drogue, mais en en criminalisant davantage la culture et le commerce!

Publicité

Et de quoi Paul Martin a-t-il le plus peur? Pas de la réaction des médias, presqu’unanimes depuis longtemps à dire que la drogue est un problème de santé et non l’affaire de la justice. Pas d’un ressac populaire: tout le monde sait que le tabac et l’alcool sont plus dangereux que les hallucinogènes. Pas du lobby des policiers, qui finiront par trouver plus valorisant de traquer de vrais criminels qui font de vraies victimes.

Non: le gouvernement a surtout peur des Américains, qui croient toujours mener une «guerre contre la drogue», aussi efficace que leur «guerre contre le terrorisme», et qui risquent de paniquer et de fermer la frontière pour empêcher la marijuana canadienne de passer! Cette crainte est fondée: l’administration Bush a déjà pris des décisions irrationnelles lourdes de conséquences, et continue de proférer des inepties dont on doit tenir compte lorsqu’on vit à côté et que 80% de nos exportations en dépendent.

Il faudrait peut-être songer à diversifier…

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur