Manley s’inquiète surtout de la réputation du Canada

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Publié 28/01/2008 par François Bergeron

À toutes les tribunes la semaine dernière, l’ancien ministre et candidat au leadership libéral John Manley a demandé aux Canadiens de lire son rapport sur la mission militaire canadienne en Afghanistan. On peut accéder au document d’une quarantaine de pages (le double avec les cartes et les annexes) à www.independent-panel-independant.ca/pdf/Afghan_Report_web_f.pdf

Le «Groupe d’experts indépendant sur le rôle futur du Canada en Afghanistan» – soit John Manley, Derek Burney, Pamela Wallin, Paul Tellier et Jake Epp, experts de quoi au juste? – avait été mandaté l’automne dernier par le Premier ministre Stephen Harper pour examiner, entre autres, le retrait prévu du contingent de combat canadien de Kandahar en février 2009.

Les Conservateurs ont déjà indiqué que le Parlement tranchera la question. On sait qu’ils aimeraient prolonger la mission de combat. C’est ce que recommande ce rapport en qualifiant de purement «arbitraire» la date de février 2009, en regard de la situation chaotique qui règne dans ce pays de 32 millions d’habitants (comme le Canada!), l’un des plus pauvres de la planète à cause des guerres qui le secouent depuis un siècle.

«Il serait illusoire de vouloir fixer une date d’échéance à ce moment-ci», note sobrement M. Manley. Celui-ci attache une condition au prolongement de la mission: l’ajout d’au moins 1000 soldats de l’OTAN et la fourniture d’hélicoptères et d’avions téléguidées de reconnaissance.

Jusqu’à tout récemment, les Libéraux et le Bloc québécois prônaient la fin du rôle de combat mais le maintien de l’assistance à la formation de l’armée et de la police afghanes, et bien sûr de l’aide au développement. Le NPD est le seul parti qui a réagi immédiatement au rapport Manley, en réaffirmant sa position pour un retrait immédiat des troupes canadiennes d’Afghanistan. On vient d’entamer une troisième année sous un gouvernement minoritaire conservateur; 2008 sera vraisemblement une année électorale et le rôle du Canada en Afghanistan sera un enjeu important de la campagne.

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La lecture du rapport Manley est déconcertante. On y affiche un certain optimisme pour l’avenir de l’Afghanistan malgré la liste interminable des «défis» à relever: de la corruption des fonctionnaires au trafic de la drogue en passant par les rivalités tribales, la résurgence des Talibans et les débordements au Pakistan. «La sécurité s’est détériorée de façon générale dans le Sud et l’Est de l’Afghanistan», reconnaît-on. Mais au paragraphe suivant, on soutient que la «stratégie de libération, de protection et d’aide au développement» de la FIAS (la force de l’ONU, commandée par l’OTAN) «produit de très bons résultats»…

Le comité a interviewé une foule d’experts (?), en plus de rencontrer nos soldats sur le terrain et les autorités afghanes, mais il continue de présenter le conflit comme mettant aux prises, «d’un côté, un gouvernement démocratiquement élu, et de l’autre, des insurgés fanatiques et brutaux». Il se souvient aussi de leur «régime islamiste radical pouvant faire preuve d’une violence hors du commun»…

«Les Talibans sont des ordures», disait notre général Rick Hillier aux médias l’an dernier. C’est du langage de cour d’école correspondant à une vision simpliste, que le rapport Manley n’a pas dépassée.

Le président Hamid Karzaï, que nous (les Occidentaux) avons installé à Kaboul, est sans doute bien intentionné, mais il n’est dans les faits que «maire» de Kaboul, et encore uniquement grâce à la protection militaire américaine. Le gouvernement précédent des Talibans ne contrôlait lui aussi qu’une partie du pays (d’où, fort probablement, son impuissance à livrer Osama ben Laden aux Américains après le 11 septembre 2001). Qualifier l’Afghanistan de démocratie est absurde. C’est un objectif, un idéal, mais cela ne pourra devenir réalité que lorsqu’on réussira à persuader les Talibans, la faction la plus importante du groupe ethnique le plus important (les Pashtous), de se joindre au gouvernement et de partager le pouvoir avec les autres communautés du pays.

La démocratie fonctionne dans les pays occidentaux parce que les électeurs savent que l’élection du parti X aujourd’hui n’empêchera pas l’élection du parti Y demain. Dans les démocraties plus récentes – naissante dans le cas de l’Afghanistan – l’élection d’un parti suscite régulièrement la révolte des adversaires, surtout quand l’État contrôle des pans entiers de l’économie. On voit ça au Kenya présentement. L’avènement de la démocratie, telle qu’on la conçoit chez nous, devrait passer dans ces pays par le partage du pouvoir au sein d’un gouvernement d’union nationale, a fortiori quand les formations politiques représentent davantage des groupes ethniques que des projets de société différents.

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Caricaturer les Talibans en monstres sanguinaires est improductif. D’abord, ils ne sont pas beaucoup plus islamistes que les autres. Un journaliste afghan ne vient-il pas d’être condamné à mort par un tribunal du régime actuel pour blasphème? L’an dernier c’était un pauvre type qui s’était converti au christianisme. Et Manley qui recommande de «respecter la culture locale»!

Deuxièmement, on considérait ces «combattants de la liberté» comme nos «alliés» quand ils résistaient à l’occupation soviétique de 1979 à 1989.

Mais surtout, le président Karzaï, comme son voisin Pervez Musharraf, nous exhorte à négocier avec les Talibans pour ramener la paix et un semblant d’ordre en Afghanistan et dans le nord du Pakistan.

Le rapport Manley indique que le Canada devrait faciliter «le difficile processus de réconciliation», mais il y met de nombreuses conditions, notamment des procès contre les anciens dirigeants. Ce sont les Afghans, pas les Canadiens, qui devraient définir les modalités de leur réconciliation.

L’OTAN fait le pari qu’elle réussira en quelques années (cinq, dix, quinze?) à former une armée afghane loyale aux institutions. Tant que les tribus afghanes ne seront pas toutes ramenées autour de la même table politique, cela tient de la fanfaronnade. L’armée afghane serait présentement composée de 47 000 soldats (un rapport de un à un avec les soldats de l’OTAN!) et devrait en compter 70 000 en 2010.

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Le panel Manley recommande une meilleure coordination des efforts politico-militaires, notamment par la nomination d’un haut responsable civil de l’ONU; des «démarches énergiques» auprès des pays voisins de l’Afghanistan, surtout le Pakistan; la lutte contre la corruption et une accélération de la formation des forces de sécurité afghanes. Ce sont là des voeux pieux, trop faciles, qui ne démontrent pas une très bonne compréhension de la réalité sur le terrain, voire du rôle du Canada dans le monde.

Or ce rôle du Canada, et surtout sa réputation et son influence au sein de l’ONU et de l’OTAN, c’est la véritable préoccupation du groupe Manley (et du gouvernement?). Que vont penser nos alliés si nous les abandonnons à Kandahar? Cette considération transpire de chaque page du rapport, qui va jusqu’à évoquer l’affront aux familles des militaires canadiens qui ont perdu la vie dans cette mission en cas de désengagement prématuré. Comme si on ne peut imaginer d’autre honneur que celui de persister dans l’erreur.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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