Manifestations tamoules: le multiculturalisme canadien transmet un message ambigu

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Publié 02/06/2009 par Nirou Eftekhari

L’efficacité des grandes manifestations organisées et conduites par la communauté tamoule à Toronto, notamment le blocage de l’autoroute Gardiner, au mois de mai parallèlement au développement et à l’intensification de la guerre civile au Sri Lanka, a permis d’attirer l’attention des Canadiens et du monde entier sur la tragédie d’un peuple qui vit sur une île située à l’autre bout du globe.

Devant le sérieux de ces mobilisations, plusieurs personnalités politiques au Canada, notamment le premier ministre de l’Ontario, Dalton McGuinty, ont dû exprimer leur compréhension pour les membres de cette communauté tout en signalant que, quelle que soit la gravité de la situation au Sri Lanka ou ailleurs dans le monde, il est inacceptable d’entraver les lois canadiennes ou de transformer le sol canadien en théâtre d’affrontement interethnique.

Ces manifestations n’étaient pas seulement le fait des Tamouls adultes qui avaient connu l’horreur des violences dans leur pays natal avant de venir ou de se réfugier au Canada, mais également des enfants issus de la seconde génération qui ont grandi ici et qui n’ont pas connu très probablement d’autres pays que le Canada. Selon les témoignages des corps policiers, la présence des enfants posait un sérieux problème de sécurité lors du blocage de l’autoroute.

Dès lors on ne peut manquer de se poser cette question qui nous vient inévitablement à l’esprit: les Tamouls comme les membres d’autres communautés ethniques qui ont choisi le Canada comme pays adoptif ont-ils à l’égard de ce dernier le même attachement qu’ils peuvent ressentir et manifester pour leur peuple, pays ou culture d’origine?

Il ne s’agit pas ici de critiquer directement ou indirectement la communauté tamoule pour les manifestations récentes à Toronto. Il est de notre devoir à tous de dénoncer les souffrances humaines où qu’elles soient et de faire preuve de solidarité avec ceux qui en sont les victimes.

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Il s’agit plutôt de s’interroger sur les émotions et les motivations les plus profondes des immigrants, qui peuvent se transmettre de génération en génération et rendre ainsi problématique leur intégration dans la société d’accueil.

Phénomène mondia

Comme on sait, le Canada est un des rares pays au monde qui accueille encore chaque année un si grand nombre d’immigrants sur son sol. L’immigration internationale est devenue par ailleurs un phénomène mondial d’une grande ampleur: un habitant sur 35 de la planète y a recours.

Quelles que soient les raisons qui ont poussé l’immigrant à quitter son pays ou sa terre natale, telles que la misère économique, les persécutions politiques ou religieuses, la guerre civile, etc., sa prise de conscience de la langue, des coutumes et traditions du pays d’accueil n’est pas forcément synonyme de son adhésion aux valeurs de ce dernier.

Double vi

Ce qui caractérise souvent l’attitude de l’immigrant envers son pays adoptif, c’est cette espèce de fracture entre son être physique venu ici et son imaginaire resté à l’étranger. Il mène ainsi une double vie parce qu’il est incapable d’oublier son passé qui est déconnecté de son présent. Comment d’ailleurs oublier? Nous sommes tous prisonniers de la mémoire.

Pour survivre et prospérer, l’immigrant participe à la logique et à la finalité de la nouvelle société, sans y croire nécessairement, mais il ne renonce pas pour autant aux aspirations et motivations qui lui ont donné son premier sens d’identité et d’appartenance, sous peine de se sentir coupable, lâche, traître et infidèle ou de sombrer dans un sentiment d’impuissance et d’absurdité.

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Il peut donner l’apparence d’une personne bien adaptée à la réalité d’ici tout en obéissant en silence aux codes moraux et éthiques d’ailleurs.

Le Canada, terre de transition

Le multiculturalisme au Canada reconnaît apparemment cette complexité de l’intégration des immigrants à la société d’accueil et offre à ces derniers des programmes qui leur donnent un sens de fierté pour leur langue et leur culture d’origine afin d’éviter que cette intégration ne se transforme en une expérience traumatisante.

Cependant, cette politique transmet un message ambigu aux enfants des immigrants qui grandissent ici et qui par solidarité avec leurs parents peuvent idéaliser leur pays ou culture à l’étranger et ne considérer le Canada que comme une terre de transition choisie pour des raisons de convenance matérielle.

Par ailleurs, en favorisant les aspects les plus folkloriques et superficiels des cultures étrangères, le multiculturalisme ignore les conséquences pratiques qui découlent de l’attachement des immigrants à leurs valeurs et traditions. Des conséquences qui peuvent prendre ici l’ampleur d’un débordement lors des crises politiques aigues à l’étranger.

Valeurs matérialiste

Garantir la justice sociale est certainement un moyen plus efficace d’assurer l’intégration des immigrants qui considèrent encore la couleur de leur peau, la consonance de leurs noms, leur accent ou les difficultés insurmontables qu’ils rencontrent pour faire valoir leurs expériences et diplômes obtenus à l’étranger, comme principales barrières à leur insertion socio-économique.

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Comment reprocher aux immigrants de se replier sur leur culture d’origine, quand le pays d’accueil ne leur offre très souvent que l’image des sélections barbares et des valeurs matérialistes?

Au fond, les grandes manifestations de la communauté tamoule à Toronto étaient peut-être autant une réaction à la brutalité de la répression et des violences au Sri Lanka que le reflet de l’impasse du multiculturalisme ici au Canada.

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