Louise Mushikiwabo porte en elle les conflits de la Francophonie

17e Sommet de l’OIF

Bado
Carricature de Bado au sujet de Louise Mushikiwabo, la nouvelle secrétaire générale de l'Organisation internationale de la francophonie. Elle entrera en fonction le 1er janvier 2019.
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Publié 22/10/2018 par Jean-Pierre Dubé

Les tensions autour du remplacement de la Canadienne Michaëlle Jean au poste de secrétaire générale de l’OIF par la Rwandaise Louise Mushikiwabo ont monopolisé l’attention, les 11 et 12 octobre. Au lendemain du 17e Sommet de cette organisation francophone, des questions demeurent sur la gouvernance du Rwanda, contesté pour ses choix linguistiques et ses violations des droits humains.

Le Sommet biennal tenu en Arménie a été marqué par d’importants changements politiques et un resserrement du programme à 18 thématiques. La déclaration finale du Sommet comprend 73 énoncés.

L’OIF, une ONU bis

Mais l’OIF n’est pas une girouette, selon le politicologue Christophe Traisnel de l’Université de Moncton.

«C’est le changement dans la continuité qui caractérise l’Organisation depuis ses origines. C’est une énorme machine! Certains disent que la Francophonie devient de plus en plus une ONU bis ou une auberge espagnole où n’importe qui peut entrer.»

Sommet OIF
La délégation des communautés de la francophonie canadienne au Sommet d’Erevan accueillie par la ministre fédérale Mélanie Joly (au centre) : Carol Jolin (Assemblée de la francophonie de l’Ontario), Lily Crist (Alliance des femmes), Jean Johnson (Fédération des communautés francophones et acadiennes), Lynn Brouillette (Association des collèges et des universités), Sue Duguay (Fédération de la jeunesse) et Louise Imbeault (Société nationale de l’Acadie). (Photo: gouvernement du Canada).

Les enjeux d’économie et de sécurité chers à Michaëlle Jean devront rivaliser avec les priorités de Louise Mushikiwabo. Mais le Rwanda de la future secrétaire générale est-il un modèle à suivre ?

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Le président du Rwanda avait menacé de quitter l’OIF

Au mieux, le Rwanda est un pays francophile. En 2009, il a changé la langue d’enseignement obligatoire du français à l’anglais et joint les rangs du Commonwealth britannique. Son président Paul Kagame avait alors menacé de quitter l’OIF.

L’élection de la ministre Mushikiwabo est l’œuvre du président français. Selon Emmanuel Macron, la direction doit revenir à l’Afrique, le continent où la langue française demeure la plus implantée, regroupant la moitié des 54 États membres.

OIF Election
Louise Mushikiwabo, la nouvelle secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie.

«La langue est un enjeu profondément transversal, explique Christophe Traisnel. Quand on parle de langue, on parle de politique linguistique–le noyau dur–mais aussi de culture, de nouvelles technologies et de diversité culturelle.»

Investir le camp du plurilinguisme

Le politicologue se réjouit d’un discours très ouvert de l’OIF en la matière. «Ce serait très mal vu que l’Organisation ne s’intéresse finalement qu’à l’avenir du français. On vit dans une planète globalisée et la plupart des pays de la Francophonie sont plurilingues.»

Ces pays se joindraient à l’organisme à condition qu’il ne défende pas le français exclusivement. «Il est nécessaire d’investir le camp du plurilinguisme et du multiculturalisme à l’échelle planétaire et que ce ne soit pas un combat d’arrière-garde.»

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Droits humains bafoués?

Des inquiétudes sur la légitimité du Rwanda comme leader fusent aussi sur la question des droits humains. Les opposants y sont persécutés par le régime d’un président habilité à régner jusqu’en 2036.

Voici la conclusion d’Amnistie internationale sur le Rwanda pour 2017-2018 : «La répression exercée contre les opposants politiques se poursuit, marquée par de graves cas de restrictions aux libertés d’expression, d’association, d’homicides illégaux et de nombreuses disparitions non élucidées.»

Selon le professeur de l’École des hautes études publiques, le clivage politique vécu par la Francophonie rappelle d’autres rassemblements régionaux. «C’est difficile pour l’Union européenne de défendre la démocratie avec des membres aussi différents que la Hongrie, la Pologne, le Royaume-Uni et l’Italie, qui vient d’élire un gouvernement populiste.»

Pluralité politique des pays de l’OIF

L’OIF est aussi confrontée à ces tiraillements, explique le politicologue. «Le club compte des régimes très autoritaires, d’autres en transition démocratique et des vieilles démocraties» comme la France, la Belgique et le Canada.

L’Organisation respecte la pluralité politique, dit-il : «au lieu d’exclure, il faut inclure tous les régimes dans l’espoir d’une démocratisation éventuelle».

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La diversité serait une contribution de Michaëlle Jean, liée à son passé canadien et haïtien. «Il faut être très diplomate. Il y a des discriminations basées sur le sexe, les préférences sexuelles et la couleur de la peau qui ne sont pas défendues par toute la francophonie. De l’exclusion traverse tous les pays.»

Michaëlle Jean.
Michaëlle Jean, désormais ancienne secrétaire générale de l’OIF.

Christophe Traisnel reconnaît la complexité de l’OIF : «Il y a l’idée que la Francophonie serait une forme de néo-colonialisme et tout le contraire. Cette opposition revient à chaque Sommet. Ce n’est pas un sujet neutre et c’est l’atout majeur de la Francophonie: ses débats la font exister de plus en plus.»

Tunisie en 2020: le fleuron du Printemps arabe

Ce tiraillement se voit dans l’élection de plus en plus politique et critiquée au secrétariat général, «encore plus radicale cette fois-ci».

L’OIF se tourne vers Tunis pour le 18e Sommet en 2020, un choix symbolique, estime le professeur. La Tunisie serait le fleuron du Printemps arabe grâce à son passage à la démocratie.

«Ce choix est une façon de souligner que ce n’est pas un modèle de l’extérieur, mais une démocratie à la tunisienne. Il a fallu un très grand courage pour mettre en place ce régime.»

Auteur

  • Jean-Pierre Dubé

    Journaliste à Francopresse, le média d’information numérique au service des identités multiples de la francophonie canadienne, qui gère son propre réseau de journalistes et travaille de concert avec le réseau de l'Association de la presse francophone.

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