Il y a cinq restaurants chinois, presque côte à côte, qui bordent le boulevard Niagara au centre-ville de Fort Érié, juste en face de Buffalo. Ces restaurants sont franchement excellents, leurs décors sont propres et élégants (certains ont une terrasse qui donne sur la rivière Niagara). Bref, les restaurants chinois de Fort Érié sont bien meilleurs que ceux de Buffalo, l’agglomération d’en face qui est pourtant 40 fois plus grosse (30 000 personnes vis-à-vis 1 200 000).
Comment est-ce possible? «La qualité de la cuisine chinoise est en grande partie basée sur la disponibilité et la variété des ingrédients et légumes frais chinois», explique à L’Express Jeff Chew, un des trois frères co-propriétaires de Happy Jack’s, le plus ancien des cinq restos chinois du boulevard Niagara. «Nos aliments proviennent de Toronto, qui est beaucoup plus proche que la ville de New York, d’où viennent les aliments des restos chinois de Buffalo», poursuit-il. Une bonne explication, qui n’explique pas tout. L’émulation et la compétition provoquées par une telle concentration de sino-restos sont aussi responsables d’une nourriture si bonne qu’elle attire beaucoup de gens prêts à traverser le pont de la Paix pour déguster les meilleurs mets chinois de la région.
Jusqu’au 11 septembre 2001, quelque 80 % des clients de ces restaurants étaient des Américains, attirés par des expériences culinaires introuvables à Buffalo, et par un taux de change qui les favorisait.
Ces dernières années, l’incroyable grappe de gastronomie chinoise de Fort Érié a été assiégée par les fluctuations des dollars canadien et américain, et surtout par le temps et les ennuis qu’impliquent une excursion transfrontalière depuis le 11 septembre 2001. « Beaucoup d’Américains venaient ici au lunch. Plus maintenant, personne ne vient plus ici des États-Unis à l’heure du midi», note Wendy Men, co-propriétaire de Ming Teh, un restaurant raffiné (malgré ses petits prix) dont l’ambiance relaxante est renforcée par une terrasse au bord de l’eau ombragée par un grand saule.
Ming Teh signifie valeurs morales remarquables. Et de pareilles valeurs ont été nécessaires pour survivre au double impact d’une frontière difficile à franchir et d’un dollar canadien fort. «Nous utilisons seulement des ingrédients de grande qualité, dit Wendy Men, par exemple nous cuisinons le milieu du filet de porc, et non les petits morceaux bon marché utilisés dans beaucoup de restaurants chinois.»