Les ingrédients d’un projet international réussi

Oeuvrer outre-mer

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 04/09/2012 par Annik Chalifour

Il y a deux semaines, L’Express publiait deux articles liés au retour de 17 enseignants franco-ontariens qui ont donné un séminaire pédagogique du 30 juillet au 10 août auprès de leurs pairs haïtiens, dans le cadre du projet du Groupe de travail en appui à Haïti (GTAH). Voici les témoignages de l’équipe d’encadrement du GTAH portant sur la réalisation du projet à Port-au-Prince, deux ans et huit mois après le séisme.

L’équipe comprenait deux coordonnateurs pédagogiques, Marie Carmel Jean-Jacques et Jhonel Morvan et deux coordonnateurs de la logistique, Alexandre Beaudin et Gabriel Osson, membres du ministère de l’Éducation (MÉO).

Les coordonnateurs et 17 enseignants-formateurs ont tous œuvré bénévolement au sein de ce projet de coopération internationale axé sur le renforcement des capacités des enseignants haïtiens.

Le GTAH fut d’abord créé par un petit groupe de bénévoles du MÉO suite au séisme, dans le but d’amasser des fonds destinés à appuyer des projets d’aide à Haïti. Rapidement l’idée de participer concrètement aux efforts de reconstruction du pays, notamment en matière d’éducation, a germé.

Connaître le contexte scolaire haïtien

«Le séisme a sévèrement touché le système scolaire haïtien qui était déjà fragile. Les effets du désastre sont encore ressentis aux niveaux politique, pédagogique, et des immobilisations», a commenté Jhonel Morvan, agent d’éducation au MÉO, d’origine haïtienne, et ancien enseignant à Haïti.

Publicité

«Du point de vue politique, bien que le plan du gouvernement haïtien vise à assurer que l’éducation soit gratuite pour un grand nombre d’enfants d’âge scolaire et qu’on observe certains progrès dans ce sens, il reste encore beaucoup à faire.»

Sur le plan pédagogique, les examens officiels d’état ont toujours préséance et l’enseignement magistral domine; le perfectionnement professionnel des enseignants reste limité, a-t-il ajouté.

«En ce qui a trait aux immobilisations, plusieurs écoles ont été partiellement ou complètement reconstruites. Par contre un grand nombre d’élèves fréquentent encore des écoles à ciel ouvert ou relocalisées dans des édifices délabrés.»

Identifier les besoins sur le terrain

«C’est au cours de mes discussions avec des responsables en éducation, dont sœur Rosenelle Lagredelle, coordonnatrice des écoles des sœurs de l’Immaculée Conception, que j’ai pu constater les besoins des enseignants haïtiens, lors de mon séjour à Haïti en décembre 2011», d’expliquer Marie Carmel Jean-Jacques, agente d’éducation au MÉO, originaire d’Haïti.

«Les enseignants haïtiens ne misent pas suffisamment sur la compréhension de texte, la littératie critique, l’usage de stratégies appropriées pour aider les élèves à atteindre un niveau d’efficacité adéquat en lecture et en écriture.»

Publicité

«Par ailleurs, beaucoup d’écoles haïtiennes n’ont pas de laboratoires, ce qui signifie que les élèves ne font aucune expérience scientifique ni ne sont exposés à faire de la manipulation, en sciences ou en mathématiques.»

«Les méthodes d’enseignement ayant évolué, nous avons voulu faire bénéficier nos collègues haïtiens des nouvelles stratégies d’apprentissage, de notre expertise franco-ontarienne, et ce, tout en favorisant l’utilisation des produits de leur environnement.»

Collaborer avec un partenaire local

Ayant fait ses études élémentaires chez les sœurs de l’Immaculée Conception, Marie Carmel Jean-Jacques connaissait sœur Rosenelle Lagredelle depuis son adolescence.

«En 2007, lorsque sœur Lagredelle est venue faire sa maîtrise en éducation à l’Université de Montréal, je l’ai invitée à visiter le FARE (programme de formation professionnelle des enseignants franco-ontariens). De là est née l’idée de donner de la formation à des enseignants à Haïti.»

Suite au tremblement de terre, Mme Jean-Jacques ayant entendu parler du GTAH, a proposé au groupe de faire le projet de formation en partenariat avec les sœurs de l’Immaculée Conception.»

Publicité

Les sœurs se sont avérées être des partenaires idéales pour ce projet d’éducation à Port-au-Prince, où les participants ont bénéficié des nouveaux locaux de leur Institut de formation récemment reconstruit suite au séisme.

«Le succès du projet est dû en grande partie à la collaboration efficace de sœur Lagredelle et ses collègues, tant sur les plans pédagogique, du recrutement des apprenants haïtiens que du soutien logistique», ont affirmé les coordonnateurs du GTAH.

Établir une approche pédagogique pertinente

«Nous avons convenu que les formations mettraient l’emphase sur des stratégies d’enseignement, la littératie critique, la sensibilisation à l’approche environnementale dans toutes les matières visées, en français, mathématiques, en sciences, et à la petite enfance», a détaillé Mme Jean-Jacques. Une formation en leadership a été ajoutée pour les directions d’école.

Il fallait aussi penser aux enseignants canadiens qui ne connaissaient pas la culture haïtienne et qui enseigneraient à des adultes. «On a misé sur les principes andragogiques dont, entre autres, l’apprentissage des adultes.»

«Les participants devaient apprendre à être actifs dans le processus de leur formation, faire des choix en fonction de leurs besoins; parce qu’on sait que les adultes apprennent lorsqu’ils en ressentent le besoin», selon Mme Jean-Jacques.

Publicité

Le GTAH a remis une clé USB à tous les participants ainsi qu’au Directeur de la Formation et du Perfectionnement, contenant toutes les formations du séminaire.

Sélectionner des formateurs compétents

L’équipe de coordination du GTAH a développé un dossier d’application incluant un formulaire élaboré à partir d’une grille de sélection. «45 candidatures ont été reçues», a cité Jhonel Morvan.

«Chaque dossier a été évalué par deux personnes, généralement des anciennes directions d’écoles, des agents d’éducation, des conseillers principaux au MÉO.»

Les critères de sélection incluaient de l’expérience à l’international; en leadership dans le système d’éducation en langue française de l’Ontario; dans l’enseignement de la matière à transmettre; et la compréhension des pratiques andragogiques.

Les 17 formateurs recrutés à travers les conseils scolaires, le MÉO et le Centre franco-ontarien des ressources pédagogiques, se sont engagés à participer aux rencontres et sessions de formations pré-départ.

Publicité

«Ces rencontres ont porté sur les différences langagières et culturelles, le système d’éducation et les programmes cadres haïtiens, le jumelage des formateurs et la préparation respective de leur cours», a détaillé M. Morvan.

S’entourer de logisticiens hors pair

«On s’est assuré de prendre des assurances complémentaires au cas où il y aurait des urgences. En faisant attention à ce qu’on mange ou boit et où est-ce qu’on le fait, on s’évite des problèmes», selon Alexandre Beaudin, coordonnateur de la logistique avec Gabriel Osson, tous deux conseillers au MÉO.

«Côté sécurité, on ne s’est jamais senti menacé ni inquiet. On s’était donné comme consigne de faire toutes nos sorties ensemble. On a jugé bon de planifier les excursions avant de partir du Canada, ce qui nous a évité de courir à la dernière minute sur place.»

«Les questions relatives au transport journalier étaient réglées avant notre arrivée. Tout s’est déroulé sans anicroche et les gens ont su rapidement s’adapter aux changements qu’on a dû faire.»

Le groupe était hébergé et nourri par l’ONG internationale Healing Hands for Haïti, selon les recommandations de la journaliste torontoise Catherine Porter, ayant effectué de nombreux reportages à Haïti.

Publicité

Les grands défis et succès

«Coordonner un groupe de 22 personnes n’est pas chose facile; on voulait que tous les membres du groupe soient satisfaits, tout en devant répondre à leurs questions qui fusaient de tous les côtés», a témoigné Gabriel Osson.

«Trouver nos repères afin d’effectuer les achats et les photocopies du matériel pédagogique fut un défi dans les premiers jours. Tout prenait du temps, il a fallu exercer notre patience et composer avec la chaleur et le trafic incessant.»

«Nous sommes heureux et fiers d’avoir pu amener et ramener sains et saufs les formateurs de l’Ontario malgré des petits pépins côté transport aérien, et d’avoir pu former près de 150 enseignants pendant deux semaines», ont clamé les coordonnateurs.

«Le plus grand succès, ce sera de voir comment, à long terme, ce séminaire apportera des changements dans la façon d’enseigner, de sorte que les élèves haïtiens qui vont se retrouver dans les classes des enseignants qui ont reçu cette formation, puissent développer davantage leur pensée critique.»

Conseils selon le GTAH

Voyager avec un petit groupe. Plus facile côté logistique.

Publicité

Identifier un partenaire local qui connaît bien les réalités du terrain.

Dialoguer avec les interlocuteurs locaux afin d’assurer une bonne compréhension mutuelle.

Bien planifier, mais aussi être prêt à réorienter nos façons de faire sur une base journalière.

Impliquer les acteurs gouvernementaux très tôt dans le processus.

Aborder la formation du point de vue des acteurs locaux, selon leurs besoins.

Publicité

Établir un budget qui alloue des fonds pour les frais imprévus.

On pouvait suivre le projet sur ontariohaiti2012.wordpress.com

Auteur

  • Annik Chalifour

    Chroniqueuse et journaliste à l-express.ca depuis 2008. Plusieurs reportages réalisés en Haïti sur le tourisme solidaire en appui à l’économie locale durable. Plus de 20 ans d'œuvre humanitaire. Formation de juriste.

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur