Les Français ont voté «utile»

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Publié 24/04/2007 par François Bergeron

Je confesse tout de suite que la dernière fois que j’ai suivi attentivement une campagne électorale française, c’est en 1974, quand Valéry Giscard d’Estaing a été élu Président. J’ai décroché en 1981 quand il a été battu par le dinosaure socialiste François Mitterrand.

Je suis donc loin d’être un expert de la scène politique française, encore moins des Français, dont je comprends rarement les sentiments et les actions. Mais à entendre les débats et les altercations entre spécialistes reconnus de la politique française sur les plateaux de télévision en fin de semaine dernière, je me sens presqu’autorisé à ajouter mon commentaire.

Comme François Bayrou aujourd’hui, Giscard proposait une alternative centriste à la division de la France entre la gauche et la droite traditionnelles. Bayrou a été ministre de l’Éducation sous Chirac avant de rejoindre l’opposition. Giscard était ministre des Finances sous Pompidou. Le parti de Bayrou, l’UDF (Union pour la démocratie française), vient d’une association de petits partis réformateurs, dont celui de Giscard (les Républicains indépendants). Le plus célèbre porte-parole de l’UDF a été Raymond Barre, Premier ministre sous Giscard.

Là s’arrête cependant la comparaison. En 1974, Giscard faisait face à deux vétérans de la gauche et de la droite, le socialiste François Mitterrand et le gaulliste Jacques Chaban-Delmas. Il représentait une nouvelle génération de politiciens. En 2007, c’est Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal qui incarnent un telle évolution de l’image, de la substance et de la clientèle. Entre les deux, Bayrou représentait paradoxalement l’alternative la moins risquée, la plus «conservatrice» au sens propre du terme.

Les résultats du premier tour de ces présidentielles sont éloquents: malgré un meilleur score que celui de Jacques Chirac en 2002, où une myriade de petits candidats avaient saigné les plus gros et permis à l’ultra-nationaliste Jean-Marie Le Pen de devancer le socialiste Lionel Jospin, Bayrou n’a pas percé au centre comme l’avait fait Giscard. Au contraire, dans ce scrutin marqué par une forte participation, Sarkozy a su rallier presque le tiers des Français autour de son programme activiste, et Royal a convaincu son électorat, le quart des Français, de voter «utile».

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L’envers de cette médaille, pour la candidate socialiste, c’est que les communistes, trotskystes, verts et autres altermondialistes n’ont recueilli ensemble que 10% du vote pouvant se reporter sur elle au second tour. Qui plus est, cet appui automatique de la gauche totalitaire est un baiser de Judas susceptible d’effrayer les électeurs progressistes libéraux, bien plus nombreux.

Mathématiquement, «si la tendance se maintient» comme dirait notre Bernard Derome, Sarkozy devrait réussir à attirer la plupart des partisans de Bayrou (18%), de Le Pen (10%), du croisé Philippe de Villiers (2%) et du lobbyiste des chasseurs et des pêcheurs (1%). Sarkozy devrait l’emporter au second tour avec une majorité plus confortable que celle de Giscard sur Mitterrand en 1974.

Les discours de fin de soirée électorale, ce 22 avril, étaient de nature à désorienter l’observateur étranger qui, comme moi, n’a suivi cette campagne que distraitement.

Nicolas Sarkozy a surtout signalé sa préoccupation pour les plus démunis, les sans voix, les laissés pour compte, les chômeurs, les handicapés, voire les veuves et les orphelins. Un discours misérabiliste sans doute destiné à faire valoir son humanisme et à rassurer des électeurs – surtout des électrices? – qui auraient peur de son caractère colérique ou de son programme de «valorisation du travail» (lire: de dégraissage de l’État et de dynamisation de l’économie).

Inversement, Ségolène Royal, vêtue de blanc sur fond blanc, a prononcé une allocution gaullienne sur un ton robotique censé correspondre à la dignité de la fonction présidentielle, égrainant les platitudes socialistes censées passer pour les valeurs suprêmes de la République. Que sont devenus, à gauche, les grands orateurs qui réussissaient, en pleine Guerre froide, à faire voter la moitié des Français pour le dangereux «Programme commun»?

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Comme on s’y attendait, François Bayrou, lui, a promis de poursuivre sur sa lancée et de continuer d’animer un mouvement centriste influent. Si ce n’était de l’animosité personnelle qui semble séparer les deux hommes, Bayrou pourrait jouer un rôle important dans le nouveau régime Sarkozy qui sera élu le 6 mai. Cela ne sera vraisemblablement pas le cas, même si l’UMP (Union pour la majorité présidentlelle, le parti de Sarkozy) reste ouverte aux alliances avec d’autres personnalités de l’UDF.

Le Front national, les Verts et les communistes n’ont pu que constater leur déclin – inexorable? on parle toujours trop vite – qu’ils attribuent bien sûr à la fausse représentation des plus grosses machines politiques. Le reste du pays devrait juger salutaire cette marginalisation de ces dictateurs de poche et autres moustachus de carnaval.

La France est un grand pays dont les succès sont bien plus nombreux que les échecs. Mais ce n’est pas ce qu’on entend de sa classe politique, à gauche comme à droite, pour qui le moindre problème est un scandale et dont les slogans visent toujours trop haut («gouverner autrement», «changer la vie»…). Le nouveau Président, son Gouvernement et l’Assemblée nationale devront bien sûr relever des défis de taille: la crise des banlieues qui est celle de l’intégration des enfants des immigrants, le fardeau fiscal et bureaucratique qui paralyse l’entreprenariat et la mobilité sociale, la relance de l’Union européenne.

On voit mal où «Ségo» trouverait l’audace ou la marge de manoeuvre lui permettant d’innover face à ces problèmes dont la gauche, historiquement, est largement responsable, et qui exigent justement un regard neuf, une nouvelle approche. Tandis qu’avec «Sarko», «tout devient possible»? Sûrement pas tout, mais le jeu en vaut la chandelle.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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