À Toronto, la scène pourrait sembler familière, voire même d’une affligeante banalité. Un mercure qui, défiant toute logique, frise les dessous de zéro, des flocons qui recouvrent les édifices publics d’une fine pellicule de neige, un froid humide qui s’engouffre sous les vêtements et glace les os. En somme, rien de très nouveau sous la silhouette de la tour CN.
Seulement, lorsque le même scénario se reproduit à Paris, en plein mois de décembre, quelques centimètres de poudre blanche suffisent à transformer la Ville Lumière en une ville fantôme. Les pas des rares badauds décidés à braver ces températures frileuses résonnent dans les ruelles pavées du Quartier latin.
«Quelques traces de neige et voilà, les Français ne veulent plus sortir de chez eux», maugrée, mi-sérieux, mi-blagueur, le Torontois Brian Spence, propriétaire d’Abbey Bookshop, une petite librairie canadienne de quelque 50 m2 nichée entre deux portes, dans un ancien immeuble, rue de la Parcheminerie, derrière l’église Saint-Séverin.
Installé depuis 1989 dans le Quartier latin, Brian Spence connaît bien la clientèle qui fréquente sa librairie. Un pied à Toronto où il revient deux fois par an et l’autre à Paris où il vit présentement, ce Canadien anglais amoureux de la France et du Moyen-Âge a un jour décidé de concrétiser son rêve. Il est venu vivre de l’autre coté de l’Atlantique pour y poursuivre une thèse sur la littérature médiévale. En même temps, il a ouvert une librairie. C’était il y a de 16 ans. Depuis, Brian Spence n’a toujours pas achevé sa thèse, mais a réussi, bon an mal an, à maintenir en vie sa petite librairie, un exploit dont il n’est pas peu fier.
Mais, au fait, les Français s’intéressent-ils vraiment à la littérature canadienne? «Vous ne commencez pas par les questions les plus faciles», rétorque-t-il, tout de go, prenant soin de faire une pause, avant de se lancer… Et il est vrai que la question, simple en apparence, porte à réflexion en soulevant de multiples enjeux. D’abord parce qu’on parle distinctement de littérature canadienne anglophone, ce qu’on appelle ici la «Can Lit», et de littérature canadienne d’expression française, terme bien large qui englobe les œuvres des auteurs québécois, acadiens, et éventuellement, franco-ontariens. Les deux ont leurs propres thèmes, aspects et langages qui s’excluent mutuellement.