Les excuses officielles divisent les générations

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Publié 11/01/2016 par François Bergeron

Des jeunes Franco-Ontariens lèvent le nez sur la demande d’excuses officielles du gouvernement de l’Ontario pour le Règlement 17.

L’accueil généralement positif qui a été réservé, dans le milieu associatif, dans les médias et même au gouvernement, à la demande formulée en décembre par le député libéral de Sudbury, Glenn Thibeault, masquerait un malaise chez certains jeunes.

Serge Miville, doctorant en histoire à l’Université York et chroniqueur à l’émission/blogue #ONfr de TFO, a mis le feu aux poudres le 13 décembre en écrivant que des excuses officielles pour la mesure infamante, qui a interdit l’enseignement en français dans les écoles de la province de 1912 à 1927, sont «sans fondement».

Ce tort fait aux francophones ne se compare pas, selon lui, à celui qui a été fait aux Premières Nations dans les pensionnats religieux (voire depuis le début de la colonisation) ou aux citoyens d’origine japonaise internés dans des camps pendant la Deuxième Guerre mondiale. Le gouvernement fédéral s’est excusé solennellement pour ces épisodes malheureux de notre histoire: en 1988 envers les Japonais et en 2008 envers les Autochtones.

En 2003, le gouvernement du Canada a adopté une Proclamation royale dans laquelle il est affirmé que la reine Élizabeth II reconnaît les torts qui ont été causés au peuple acadien lors de la brutale Déportation de 1755. Pour certains, toutefois, cette Proclamation n’est pas aussi forte que des excuses officielles.

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L’expulsion des Acadiens par l’armée britannique a fait des centaines de morts, un événement autrement plus tragique que la mesure administrative ontarienne contre les écoles francaises, qui a été très inégalement appliquée et qui a souvent pu être contrecarrée à l’époque.

Le texte du jeune chroniqueur/historien a fait bondir des (vieux) blogueurs comme Pierre Allard, ex-éditorialiste du Droit d’Ottawa (journal fondé en 1913 justement pour combattre le Règlement 17), qui se dit «estomaqué» de la comparaison (dans l’article de Serge Miville) entre l’interdiction du français à travers la province et celle de l’allemand à Waterloo.

«Nous avions été habitués au fil des décennies à ce genre de comparaison venant des provinces de l’Ouest, où les anglophones ne voyaient pas pourquoi les Canadiens français devraient être considérés autrement que les Ukrainiens ou quelques autres minorités issues de l’immigration.»

Selon Pierre Allard, Serge Miville ignore ou sous-estime «la hargne orangiste, anti-catholique et anti-francophone, qui s’abattait sur l’ensemble de la francophonie à l’ouest de la rivière des Outaouais depuis le 19e siècle».

«Sans le Règlement 17», poursuit-il, «la culture française ne serait peut-être pas aujourd’hui à l’agonie dans certains coins de la province, et sérieusement malmenée un peu partout.»

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Le Droit

Le journal Le Droit appui d’ailleurs la demande d’excuses officielles. «L’initiative est louable et pourrait agir comme un baume sur les plaies morales de milliers de Franco-ontariens qui ont été trahis par leur gouvernement en 1912, et par tous ceux qui ont suivi avec des décisions qui, si elles n’étaient pas aussi intolérantes, mettaient les bâtons dans les roues de la communauté francophone», écrit l’éditorialiste Pierre Jury.

Celui-ci souhaite que de telles excuses – que le gouvernement semble disposé à exprimer, a laissé entendre la première ministre Kathleen Wynne – soient accompagnées de nouvelles mesures de relance et de développement de la communauté franco-ontarienne.

«Des excuses sont de mises pour ce règlement odieux», soutient aussi le chroniqueur juridique de L’Express, Gérard Lévesque. «Et les parlementaires doivent se concerter pour adopter des mesures concrètes qui protègent les générations à venir de la répétition de tels désastres.»

En fin d’année 2015, la députée libérale d’Orléans, Marie-France Lalonde, a déclaré à L’Express qu’elle regrettait de ne pas avoir eu cette idée avant son collègue Glenn Thibeault. «Quelle belle initiative de la part de Glenn», a renchéri la ministre des Affaires francophones, Madeleine Meilleur, en entrevue à une radio d’Ottawa.

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À Queen’s Park, seul le député néo-démocrate de Timmins, Gilles Bisson, a eu l’air de cracher dans la soupe en disant que la demande d’excuses officielles «fait beaucoup de bruit pour rien», le Règlement 17 ayant été abandonné il y a plus de 70 ans.

Sa collègue de Nickel Belt, France Gélinas, a corrigé le tir en affirmant à Radio-Canada que «oui, c’est une bonne idée, mais regardons au présent et au futur; juste s’attarder sur le passé serait un bien beau petit pas».

La proposition portée par Glenn Thibeault mijotait à l’ACFO du Grand Sudbury. Elle a été endossée par le lobby politique de tous les Franco-Ontariens, l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario. Son président Gilles Vaillancourt a notamment déclaré que «cette résolution fermera la porte sur un chapitre noir dans l’histoire franco-ontarienne. L’impact du Règlement 17 a été lourd de conséquences pour notre communauté puisque des générations de jeunes ont été perdues et assimilées.»

Victimes

D’autres dirigeants, qui préfèrent rester anonymes, affirment toutefois à L’Express que «l’AFO ne peut pas ne pas appuyer une telle demande d’excuses», mais que ça ne fait pas l’unanimité des membres, surtout chez les plus jeunes.

L’un de ces dirigeants craint même que des excuses officielles «viendraient défaire une certaine confiance et fierté franco-ontariennes qui n’étaient pas basées sur la victimisation et les vieilles rancunes».

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La FESFO (Fédération de la jeunesse franco-ontarienne) n’a pas pris de position officielle sur cet enjeu. «Les membres de notre conseil trouvent que c’est une proposition intéressante de la part du député Thibeault», indique la porte-parole Caroline Gélineault. «Par contre, il est essentiel que ceci ce traduise en des actions concrètes qui profiteront à la communauté franco-ontarienne.»

Elle mentionne les «grandes lacunes en ce qui a trait à l’accès à l’éducation postsecondaire en français à travers la province et particulièrement dans le Centre-Sud-Ouest».

Même son de cloche du côté du RÉFO, le Regroupement étudiant franço-ontarien. «La création d’une nouvelle université de langue française serait une bonne façon d’ajouter du concret à ces excuses officielles», déclare la coprésidente Geneviève Borris.

«Les retards causés par le Règlement 17 ne sont pas complètement rattrapés», dit-elle à L’Express, même «s’il est vrai qu’aujourd’hui, les Franco-Ontariennes et les Franco-Ontariens se sont remis de cet épisode et ont mis en place un système d’éducation de langue française de classe mondiale.»

«Des excuses officielles reconnaîtraient à quel point nos ancêtres ont dû lutter contre cette politique qui ne reconnaissait pas l’apport des Canadiens français à la construction de l’Ontario.»

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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