Les démocraties incohérentes

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Publié 11/08/2004 par François Bergeron

Les Espagnols étaient massivement opposés à la guerre en Irak. Toutefois, jusqu’aux attentats meurtriers du 11 mars à Madrid, ils se préparaient à réélire le gouvernement pro-américain du successeur de José Maria Aznar, crédité d’une bonne gestion de l’économie.

C’est la réaction du parti au pouvoir à ces actes de terrorisme, qu’il attribuait aux séparatistes basques malgré l’accumulation des preuves contre les islamistes, qui aurait convaincu les Espagnols de voter trois jours plus tard contre ce mensonge, le dernier d’une longue série après les justifications officielles de l’invasion de Irak.

En Italie, le gouvernement Berlusconi a lui aussi appuyé les États-Unis sur la question de l’Irak, contre le voeu d’une très grande majorité de la population. Néanmoins, il n’est pas exclu que le gouvernement soit réélu cet automne. Et si l’opposition socialo-pacifiste réussissait à s’organiser et à remporter ces élections, on assure que ce sera en raison de l’économie et des questions domestiques, pas à cause de la guerre.

Les Français, eux aussi, étaient massivement opposés à toute la politique américaine au Moyen-Orient. Cette fois, leur gouvernement était au rendez-vous. Cela n’a pas empêché l’équipe Chirac- Raffarin de subir de lourdes pertes au profit des Socialistes (également opposés à la guerre) lors des dernières élections cantonnales.

La prise de position quasi-héroïque de la France (avec la Russie, l’Allemagne, le Canada et d’autres) contre la volonté américaine n’a donc pas profité au parti au pouvoir lors de ces élections. Même l’adoption de la fameuse loi réaffirmant la laïcité de la République, qui jouit d’un très large appui des Français, n’a pas semblé aider le gouvernement. Apparemment, les Français ne sont jamais contents!

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En Allemagne, le chancelier Gerhard Schroeder est lui aussi sur la voie de sortie, après avoir été réélu de justesse en 2002 grâce, croyait-on, à sa vive opposition aux projets américains au Moyen-Orient. La grogne des Allemands face aux inévitables réformes des régimes de pensions et d’aide sociale a rapidement repris sa place dominante dans le débat politique.

En Grande-Bretagne, c’est au sein du Parti Travailliste du premier ministre Tony Blair, qui a suivi le président américain George W. Bush en Irak, que s’est activée la plus forte opposition à la guerre. Le Parti Conservateur est pro-américain et aurait pris la même décision d’aller en Irak.

Jusqu’à ce que l’ancien ministre Robin Cook réussisse à renverser Tony Blair, ou jusqu’à ce que ce dernier, rongé par la honte, se décide à partir, l’électeur pacifiste britannique reste coïncé.

Au Canada, le chef conservateur Stephen Harper avait fustigé l’admirable décision du premier ministre libéral Jean Chrétien de ne pas participer à l’invasion de l’Irak. Aujourd’hui, il affirme que son appui aux Américains n’aurait été que moral, pas militaire: un petit mensonge de plus au dossier.

Il y a fort à parier que si Harper avait admis son erreur et s’était excusé, en promettant d’être plus vigilant à l’avenir, son parti aurait remporté un plus grand nombre de sièges aux élections du 28 juin dernier.

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Qui sait ce que Paul Martin, qui s’est confié le dossier du rapprochement canado-américain, aurait fait à la place de Jean Chrétien? Résolument pacifiste, le Nouveau parti démocratique (NPD) aurait dû profiter de cette incertitude, mais il n’a gagné en 2004 qu’une poignée de votes de plus qu’en 2000.

C’est le scandale des commandites et d’autres problèmes de gestion (mais surtout d’image, Paul Martin restant un personnage vague et mou) qui ont affaibli les Libéraux et profité surtout au Bloc Québécois. Le Bloc est pacifiste et socialiste, comme le NPD, mais c’est la promotion de la souveraineté et des intérêts du Québec qui demeure sa raison d’être et qui mobilise ses électeurs.

Aux États-Unis, enfin, les intentions de vote seraient encore partagées à égalité entre le président Bush et son adversaire John Kerry, soit exactement la situation où on se trouvait en 2000 avec Al Gore, comme s’il ne s’était rien passé entre temps!

Malgré l’enlisement des Américains et de la coalition des menteurs en Irak, leur complicité dans les menées périlleuses d’Ariel Sharon, l’expansion de la nébuleuse terroriste et le succès des mouvements anti-occidentaux, les témoignages accablants sur l’insouciance des dirigeants et l’incompétence des agences de renseignements avant le 11 septembre 2001, la dégradation des libertés civiles et les déficits records encourrus par la lutte tous azimuts contre un ennemi invisible, la multiplications des fausses alertes destinées à entretenir la paranoïa… la moitié des Américains pensent donc que l’administration actuelle répond adéquatement à leurs besoins en matière de sécurité et joue un rôle positif dans le monde!

Que conclure de ces exemples d’apparente incohérence des électorats occidentaux?
Que les questions de guerre et de paix importent peu à la majorité des électeurs, préoccupés uniquement par leurs finances personnelles et les problèmes locaux?
Que seul un événement catastrophique, comme un attentat spectaculaire, une panne majeure ou une crise de santé publique, permet de prendre conscience, pendant quelques jours, d’enjeux plus globaux?
Que les problèmes du Tiers-Monde sont intraitables?
Que face à des peuples primitifs ou à des régimes rétrogrades, on n’ait pas d’autres choix que l’isolation ou la répression?
Que les questions de sécurité brouillent les débats traditionnels entre progressistes et conservateurs, entre libéraux et socialistes, entre démocrates et dictateurs?

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Ou, au contraire, que les électeurs sont devenus sophistiqués et votent en fonction d’une foule de critères dont la complexité échappe parfois aux élus et aux médias?

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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