Lendemains de veille

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Publié 24/11/2011 par François Bergeron

Le premier ministre libéral de l’Ontario, Dalton McGuinty, a mené en septembre une campagne électorale optimiste, presque jovialiste, malgré les nuages noirs qu’on voyait approcher de l’est (Europe) et du sud (États-Unis). Le 23 août, le gouvernement était même allé jusqu’à affirmer qu’il allait atteindre plus tôt que prévu les objectifs de son plan visant à équilibrer le budget.

Il s’est dédit cette semaine.

Mercredi 23 novembre, le ministre des Finances, Dwight Duncan, a confirmé ce que son homologue fédéral Jim Flaherty avait annoncé le 8 novembre: une croissance économique «plus lente que prévue» réduira de centaines de millions de dollars les revenus de plusieurs gouvernements au pays (1 milliard $ dans le cas du fédéral), forçant celui de l’Ontario à repousser à nouveau à 2018 l’heureux moment où il cesserait de s’endetter et où, présumément, il commencerait à dégager de petits surplus qui permettraient d’entreprendre de réduire le fardeau de la dette.

À condition, bien sûr, que la volonté politique et l’appui populaire à cette démarche soient toujours au rendez-vous… ou que nos économies n’aient pas explosé entre temps.

L’équipe conservatrice au pouvoir à Ottawa avait, elle aussi, pendant sa campagne en vue du scrutin du 2 mai, annoncé être en mesure d’équilibrer le budget fédéral en 2014 plutôt qu’en 2015. Une «erreur» (un mensonge?) qu’on vient de corriger en ces lendemains d’élections qui sont de véritables lendemains de veille.

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Les élections provinciales du 6 octobre ont retourné un gouvernement libéral minoritaire (53 députés à l’Assemblée législative, contre 37 Progressistes-Conservateurs et 17 Néo-Démocrates). C’est une «victoire» libérale puisque pendant plusieurs mois, jusqu’à la fin de l’été, les sondages favorisaient le parti de Tim Hudak.

Dans le discours du Trône, ce mardi 22 novembre, les Libéraux ontariens ont reconnu que les prochaines années ne seront pas faciles, en raison de «l’incertitude économique mondiale», désormais avérée et officielle, bouc émissaire de tous nos malheurs.

Car si nos élus aiment bien revendiquer un rôle dans nos succès, ils sont tout aussi prompts à se dissocier des échecs. Ils traitent les difficultés économiques comme des intempéries hors de leur contrôle, alors que leur imprévoyance et leurs politiques ne sont pas sans influence sur le cours des événements.

Citant Abraham Lincoln, l’administration McGuinty emploie un langage nouveau: «orageux présent», «montagne de difficultés», «moments très graves»… Et de suggérer, comme l’illustre président américain: «Notre situation est nouvelle. Il nous faut penser à neuf et agir à neuf.»

Or, ce discours inaugurant la première session de la 40e législature de la province de l’Ontario fait tout le contraire: il maintien le cap, il s’inspire exclusivement du programme électoral libéral, il défend le bilan des deux derniers mandats, et il pourfend les idées de l’opposition.

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Comme de coutume, le discours du Trône énumère les projets immédiats du gouvernement: réduction des frais de scolarité, construction de nouveaux campus, nouvelles infrastructures de transport en commun, aide à l’adaptation des logements aux personnes âgées et à leurs soins à domicile, programmes de formation professionnelle, protection des Grands Lacs, développement des énergies propres…

Mais le gouvernement y dresse aussi – c’est inhabituel – une liste d’actions qu’il promet de ne PAS entreprendre: rééquilibrer le budget avant 2018, couper ou privatiser dans la santé et l’éducation (les trois-quarts de l’activité du gouvernement provincial), effectuer des coupes généralisées dans l’appareil gouvernemental, geler les salaires dans la fonction publique. Il promet aussi de ne pas augmenter les impôts. Quand on additionne tout cela, il ne s’est pas laissé une grande marge de manoeuvre, alors qu’il se prétend à l’écoute d’idées nouvelles.

Le gouvernement promet d’ailleurs de rejeter «toute politique de discorde et de rancoeur» (?) et de faire «obstacle aux mesures qui empêcheraient les Ontariennes et Ontariens d’avancer, ensemble» (??). Avancer. Ensemble., c’était le titre du programme électoral libéral… La discorde, la rancoeur et les obstacles caractériseraient donc l’opposition? Venant d’un gouvernement minoritaire, c’est de la fanfaronnade.

Le gouvernement McGuinty s’est peinturé dans un coin, loin de toute porte de sortie de la récession (pardon: de la «période de croissance plus lente»), mais il compte sur la commission Drummond, Deus ex Machina, pour se dédouaner.

Le banquier Don Drummond, en effet, préside une Commission de réforme des services publics de l’Ontario créée par le gouvernement cette année. Dans sa mise à jour sur le rendement économique et financier de la province, Dwight Duncan indique qu’il faudra procéder à une «réforme fondamentale» du mode de prestation des services publics. Il dit s’attendre (et voilà sûrement une prédiction à laquelle on peut croire!) à ce que la Commission recommande de fixer l’objectif de croissance des dépenses du gouvernement à 1% par année jusqu’à ce le budget soit équilibré.

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Ce serait un effort louable par rapport à l’augmentation des dépenses publiques des dernières années, qui a toujours été supérieure à l’inflation et à la croissance du PIB… mais ce n’est pas exactement ce qu’on peut appeler «l’austérité».

Ça fait bien 30 ans, en Europe surtout, mais chez nous aussi, qu’on dénonce «l’austérité» des gouvernements qui osent, une année, augmenter leurs dépenses à un rythme un peu moins effréné que ne le souhaitent les syndiqués de la fonction publique et les bénéficiaires des interventions de l’État. De mémoire d’homme, aucun gouvernement occidental, pas une seule fois, n’a encore dépensé moins que l’année précédente, avec les conséquences qu’on connaît maintenant.

Le retour à une relative prospérité, en Ontario comme en Grèce, passe par un important réalignement de l’État, l’abandon de ses missions superflues au profit de ses missions essentielles, la simplification de la taxation et de la réglementation, la fin des garanties publiques de mauvaises dettes privées, l’arrêt des guerres et des aventures militaires ruineuses, le gel des salaires et des avantages des fonctionnaires jusqu’à ce qu’on rééquilibre les finances publiques. Ne souhaitons-nous pas affranchir nos démocraties de la tyrannie des banques?

Rassurez-vous (ou indignez-vous, comme dirait l’autre), ce n’est pas ce que nous réserve le gouvernement McGuinty, ni même le gouvernement Harper, peu enclins aux réformes «fondamentales» ou «radicales», et pour qui «l’austérité» n’a pas le même sens que pour les entreprises et les ménages.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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