Le Québec se cherche

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Publié 17/11/2010 par François Bergeron

Jean Charest n’a jamais été aussi impopulaire. Chef du Parti libéral du Québec depuis 1998, premier ministre depuis 2003, les petits et les gros problèmes s’accumulent: des allégations de corruption font régulièrement les manchettes; le gouvernement est incapable d’équilibrer son budget malgré un niveau de taxation punitif; les cols bleus de Montréal sont plus souvent en grève qu’au travail; décider où construire un hôpital ou une autoroute prend des années; demander à une immigrante de retirer son voile dans un cours de formation nécessite des démarches extraordinaires; le système de santé est une source inépuisable d’histoires d’horreur; trop de jeunes décrochent de l’école… où ils n’apprennent plus rien de toute façon…

Bon, on exagère. Si on compare le Québec à d’autres juridictions nord-américaines ou européennes, ça ne va pas si mal: l’Ontario aussi est dans le rouge; les États-Unis traversent une crise sociale plus profonde (et sont dans le rouge eux aussi); dans certains pays européens c’est carrément une crise d’identité (et ils sont encore plus dans le rouge).

Mais normalement, l’actuelle chef du Parti québécois, Pauline Marois (battue de justesse en 2008), devrait profiter du mécontentement et trôner au sommet des sondages. Or, c’est loin d’être le cas, et au lieu de se serrer les coudes et de jeter les bases de leur prochaine administration, les péquistes s’entredéchirent sur la place publique.

Le Canada anglais ne faisant rien pour se faire remarquer, les deux-tiers des Québécois ne veulent pas d’un troisième référendum sur la souveraineté, la raison d’être du PQ. À gauche, des jeunes contestent déjà le leadership de Mme Marois. À droite, deux anciens ministres menacent de lancer un nouveau parti politique, qui pourrait s’appeler Force Québec, inspiré du manifeste Pour un Québec lucide de l’ex-premier ministre Lucien Bouchard.

L’Action démocratique du Québec, le parti nationaliste conservateur rural qui a connu son heure de gloire en 2007 en faisant élire 41 députés à l’Assemblée nationale, s’est effondrée, perdant 34 sièges en 2008. Deux chefs et plusieurs défections plus tard, on s’interroge sérieusement sur son avenir.

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Développement intéressant: près de 500 personnes ont fondé récemment le Réseau Liberté-Québec, un mouvement (pas un parti politique) «voué à promouvoir des idéaux de liberté et de responsabilité individuelle au Québec».

La principale animatrice du Réseau, Joanne Marcotte, est l’auteure d’un film documentaire, L’Illusion tranquille, qui remet en question un certain nombre de dogmes tenaces dans la société québécoise moderne issue de la Révolution tranquille.

L’un des malentendus qu’on cherche à dissiper vient de ce que le Parti libéral de Jean Charest, qui ne fait rien pour réduire la taille de l’État, porte pourtant encore ce nom associé à «liberté» et est classé à «droite» sur l’échiquier politique. Si on situe la liberté à droite et la dictature à gauche, comme on le devrait, le PLQ, presqu’aussi étatiste que le PQ, s’éloignerait rarement du centre, centre-gauche.

Se sentant visés (avec raison) par cette volonté, de plus en plus ouverte et articulée, de mettre fin à leur influence débilitante et leurs privilèges anachroniques, plusieurs syndicats et groupes soi-disant «progressistes» ont créé l’Alliance sociale (essentiellement une adresse web destinée à produire des communiqués de presse) afin de «contrer le discours de droite de plus en plus présent sur la scène publique».

Pour ça, il y a avait déjà ces syndicats et cette pléthore de groupes de défense des pauvres et des opprimés, en plus des Conseil du développement social et autres refuges pour sociologues en mal de visibilité, sans oublier le parti communiste Québec solidaire d’Amir Khadir et Françoise David, cités plus souvent qu’à leur tour dans tous les médias. Apparemment, ce n’était pas suffisant…

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Le grand débat opposant le Réseau et l’Alliance concerne la «pensée dominante», à renverser, dans la société québécoise: socialiste selon le Réseau, libérale ou «néo-libérale» selon l’Alliance. Ce débat fait rage aussi au Canada anglais, les milieux conservateurs jugeant que la classe «bavarde» (journalistes, artistes et intellectuels) est majoritairement hostile à leurs idées, tandis que les libéraux (au sens anglophone perverti du terme) considèrent qu’ils n’arrivent pas à faire passer leur message à travers le filtre des grands médias privés.

Aucune des deux suppositions n’est totalement infondée. La gauche, même quand elle n’est pas au pouvoir, exerce une très grande influence sur nos gouvernements en raison du caractère démagogique de ses projets protectionnistes ou de réglementation, qui font appel aux émotions et lui permettent de mobiliser les foules.

C’est la gauche qui parle fort; la droite est inconfortable avec la notion même de «parler fort». D’où les déficits de nos gouvernements «conservateur» à Ottawa ou «libéral» à Québec, qui ont peur ou qui ne savent pas comment promouvoir l’idée, pourtant simple à comprendre et à accepter, qu’on ne devrait pas refiler à nos enfants la facture de nos excès.

Par contre, la presse écrite étant le lieu de la pensée réfléchie, les directeurs et les chroniqueurs les plus en vue des grands journaux du pays penchent à droite (le Toronto Star et Le Devoir étant les exceptions qui confirment la règle). Et les commentateurs iconoclastes, bêtes noires des défenseurs de la rectitude politique socialisante, ne sont pas sous-représentés à la radio privée.

La notoriété et l’influence des penseurs libertariens restent toutefois limitées, la plupart des gens ne suivant pas les débats politiques au jour le jour et s’informant surtout à la télévision. C’est pour ça que les suspects habituels ont crié au meurtre, cette année, quand Quebecor a proposé de transformer Sun TV en chaîne d’affaires publiques. Des idées subversives risqueraient alors de sortir les pages du Maclean’s, du National Post ou des Sun pour toucher un nouveau public, habitué jusque-là à la pensée unique radio-canadienne ou à la prudente neutralité des autres chaînes.

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De plus, même si un régime valorisant les libertés individuelles est plus compatible avec la nature humaine qu’un système dirigiste (parce que nous sommes des individus), les gens ne le réalisent souvent qu’après en avoir été privés. Or, si on subit bel et bien une érosion de nos libertés d’expression, de mouvement et de commerce, on est encore loin de vivre sous un régime totalitaire.

Ce que la gauche québécoise – comme la gauche un peu partout dans le monde occidental – a le plus de mal à digérer, c’est que ce soit la droite aujourd’hui qui incarne le désir de «changement» de la population face à la médiocrité de nos bureaucraties scolaires, médicales, municipales, policières et autres, considérant ce qu’elles nous coûtent.

Même nos partis politiques sont devenus des machines électorales sans âme, puisque c’est à l’extérieur (Réseau Liberté-Québec au lieu du Parti libéral ou de l’ADQ, Alliance sociale au lieu du PQ ou de Québec solidaire, médias électroniques et écrits toujours plus ouverts aux opinions) qu’on cherche à relancer les vrais débats.

Bienvenue, donc, au Réseau Liberté-Québec!

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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