Le Québec est une nation?

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Publié 06/11/2006 par François Bergeron

Au sens sociologique universel du terme, les Canadiens-Français de souche –  a fortiori les Québécois francophones, majoritaires sur leur territoire – forment une nation, un peuple, une société distincte, voire une ethnie, presqu’une race! Il y a un siècle, on parlait de la «race» canadienne-française. On appelait l’Assemblée «nationale» du Québec (le parlement provincial) le «salon de la race».

Les Canadiens-Anglais originaires des îles britanniques ont évidemment forgé eux-aussi une «nation» dans ce pays. Et bien sûr les Autochtones, dont les communautés dispersées ont constitué dans le passé autant de «nations» distinctes sur le continent, et qui s’appellent encore eux-mêmes les «premières nations». D’où les concepts des «peuples fondateurs», des «solitudes», etc., basés sur des réalités historiques indéniables.

Mais pourquoi serait-il nécessaire ou même seulement souhaitable d’inscrire ces particularismes dans la Constitution canadienne, comme le suggèrent le candidat libéral Michael Ignatieff et plusieurs fédéralistes québécois, dont l’ex-astronaute Marc Garneau et l’éditorialiste en chef de La Presse André Pratte? Il faudrait sans doute aussi y qualifier l’apport des immigrants des autres pays européens, asiatiques, africains, déjà aussi nombreux que les Canadiens-Français de souche. Et que dire de tous les citoyens issus de générations de mariages mixtes?

Le Canada encore inféodé à la Couronne britannique et dont le bilinguisme officiel est noyé dans le multiculturalisme n’est pas un pays normal, encore moins une nation, malgré son siège aux Nations-Unies. C’est une société, forcément. Distincte de multiples façons, dont de nombreux succès et un fonctionnement relativement harmonieux.

Mais un Canada débarrassé de la monarchie britannique, résolument bilingue et qui intégrerait ses immigrants dans sa culture, ferait davantage la fierté de tous ses citoyens et serait donc en mesure de susciter chez eux un «nationalisme» puissant, mobilisateur, tourné vers l’avenir et le progrès plutôt que sur les jérémiades du passé.

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À l’heure actuelle, la plupart des Canadiens se satisfont d’être vaguement différents des Américains (que restera-t-il de cette différence quand les États-Unis auront un régime public d’assurance-maladie et auront quitté l’Irak?). Les immigrants sont invités à conserver leurs coutumes, y compris les plus barbares. La moitié des Québécois n’adhèrent au Canada que par crainte de difficultés économiques en cas de séparation. L’autre moitié a déjà fait une croix sur ce pays bizarre dont les gens ne parlent pas leur langue, n’écoutent pas leur musique, ne voient pas leur cinéma, ne lisent pas leur littérature. Ce n’est pas fort comme patriotisme canadien!

Je suis d’accord avec Michael Ignatieff, Marc Garneau, André Pratte et compagnie sur un point important: ne jamais retoucher à la Constitution ou ne rien tenter pour réconcilier francophones et anglophones à une même vision du même pays mènera un jour à la séparation. En 2015, prétend le chef péquiste André Boisclair, qui devrait s’inspirer des Témoins de Jéhovah et cesser d’annoncer une date pour la fin du monde, qu’on finit toujours par dépasser.

Avec l’Accord du lac Meech, Brian Mulroney avait eu l’audace de croire que la Constitution canadienne était un document dynamique, amendable, et il avait eu le mérite d’essayer d’y faire apposer la signature, encore manquante, du Québec. Il s’est heurté à la mesquinerie des premiers ministres du Canada anglais et à la maladresse de Robert Bourassa (qui est revenu sur sa promesse d’imposer le français sans interdire l’anglais dans l’affichage commercial en pleine période de ratification de Meech). C’est le Canada qui a échoué, pas Mulroney.

Pierre Elliott-Trudeau s’était opposé à l’inclusion d’une description du Québec en tant que «société distincte» dans la Constitution, mais certainement pas à l’idée de moderniser nos institutions politiques, comme l’insinuent aujourd’hui ses admirateurs. Au contraire, rappelons que c’est Trudeau qui a «rappatrié» de Westminster la Constitution canadienne, pour la modifier et y ajouter la Charte des droits et libertés. C’est aussi lui qui avait fait adopter la Loi sur les langues officielles – et qui avait averti: «Le Canada sera bilingue ou il ne sera pas». Avant lui, c’est un autre Libéral, Pearson, qui a remplacé le drapeau colonial par un vrai drapeau canadien.

Il n’est donc pas vain ou insensé de vouloir réformer la Constitution canadienne, comme le prétendent les adversaires de Michael Ignatieff. Mais le faire pour y qualifier le Québec de «nation» – un terme beaucoup plus lourd de conséquences que «société distincte» –  est une erreur.

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D’abord, on l’a dit, ce n’est pas le Québec, l’État, la juridiction, mais bien les Québécois francophones, et en fait les Canadiens-Français de toutes les provinces, qui forment une «nation».

Ensuite, si cette reconnaissance officielle restait symbolique, si elle ne se traduisait pas par des pouvoirs additionnels ou une interprétation différente au Québec des lois et des droits censés s’appliquer partout au Canada, elle ne servirait qu’à aliéner davantage les Québécois. Si, au contraire, le terme altérait le cadre politico-juridique, c’est le reste du Canada qui serait furieux.

Enfin, ce débat stérile empêche ou retarde indûment des débats plus importants sur la réforme des institutions, sur les vrais symboles que sont la monarchie (à éliminer) et le bilinguisme (à promouvoir), et bien sûr sur la gouvernance du pays: l’économie, l’environnement, la santé, l’éducation, la sécurité, etc.

Pire, cette infatuation de certains Libéraux pour la reconnaissance officielle de la «nation» québécoise – notamment chez des gens comme Ignatieff et Garneau qui ont eu un choc en découvrant le Québec moderne – vient de leur abdication face au dynamisme de ce Québec inassimilable au Canada actuel… Ils devraient plutôt chercher à assimiler le Canada au Québec! Les fédéralistes de tout le pays devraient s’inspirer du nationalisme québécois pour susciter un nationalisme canadien qui pourrait le remplacer, c’est-à-dire pour créer un Canada dont les Québécois seraient fiers: un Canada souverain, bilingue d’un océan à l’autre.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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