Au sens sociologique universel du terme, les Canadiens-Français de souche – a fortiori les Québécois francophones, majoritaires sur leur territoire – forment une nation, un peuple, une société distincte, voire une ethnie, presqu’une race! Il y a un siècle, on parlait de la «race» canadienne-française. On appelait l’Assemblée «nationale» du Québec (le parlement provincial) le «salon de la race».
Les Canadiens-Anglais originaires des îles britanniques ont évidemment forgé eux-aussi une «nation» dans ce pays. Et bien sûr les Autochtones, dont les communautés dispersées ont constitué dans le passé autant de «nations» distinctes sur le continent, et qui s’appellent encore eux-mêmes les «premières nations». D’où les concepts des «peuples fondateurs», des «solitudes», etc., basés sur des réalités historiques indéniables.
Mais pourquoi serait-il nécessaire ou même seulement souhaitable d’inscrire ces particularismes dans la Constitution canadienne, comme le suggèrent le candidat libéral Michael Ignatieff et plusieurs fédéralistes québécois, dont l’ex-astronaute Marc Garneau et l’éditorialiste en chef de La Presse André Pratte? Il faudrait sans doute aussi y qualifier l’apport des immigrants des autres pays européens, asiatiques, africains, déjà aussi nombreux que les Canadiens-Français de souche. Et que dire de tous les citoyens issus de générations de mariages mixtes?
Le Canada encore inféodé à la Couronne britannique et dont le bilinguisme officiel est noyé dans le multiculturalisme n’est pas un pays normal, encore moins une nation, malgré son siège aux Nations-Unies. C’est une société, forcément. Distincte de multiples façons, dont de nombreux succès et un fonctionnement relativement harmonieux.
Mais un Canada débarrassé de la monarchie britannique, résolument bilingue et qui intégrerait ses immigrants dans sa culture, ferait davantage la fierté de tous ses citoyens et serait donc en mesure de susciter chez eux un «nationalisme» puissant, mobilisateur, tourné vers l’avenir et le progrès plutôt que sur les jérémiades du passé.