Le néo-libéralisme, une pensée unique?

Richard Brouillette ne veut pas être comparé à Michael Moore

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Publié 16/03/2010 par Guillaume Garcia

Parfois insidieusement, parfois ouvertement, les idées néolibérales ont pénétré de plus en plus de couches de la société. Partant d’une chronique de l’ancien rédacteur en chef du journal français Le Monde Diplomatique, le réalisateur québécois Richard Brouillette veut démêler le fil de l’histoire pour comprendre comment, sur le modèle des partis uniques, nous pourrions aujourd’hui être confrontés à une pensée unique. Ainsi est né son documentaire L’encerclement, la démocratie dans les rets du néolibéralisme, présenté samedi dernier au cinéma Bloor à Toronto.

Richard Brouillette a commencé ses recherches sur ce sujet dès le milieu des années 90, avec comme point de départ la chronique d’Igniacio Ramonet, parue en 1995.

Le réalisateur écrit alors un synopsis du projet d’environ 160 pages, qui s’appelait à l’époque La pensée unique, et qui comptait faire, en image et appuyé de témoignages, la démonstration du discours de Ramonet.

Un beau plateau

Pour son documentaire, Richard Brouillette a réalisé près de 25 entrevues, pour finalement n’en utiliser que 13 lors du montage final. «L’idée de base était de donner la parole aux gens, de faire un film d’idées et de parole», explique-t-il.

Le film est donc un enchaînement d’entrevues, où l’on devine les questions posées par le réalisateur grâce aux réponses des différents intervenants.

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Pour le coup, Richard Brouillette a été chercher des gens de renom avec comme tête d’affiche le linguiste américain Noam Chomsky, professeur au Massachusetts Institute of Technology (le fameux MIT) et critique acerbe notoire de l’impérialisme américain.

Pas de fausse objectivité

Si le film penche à gauche, du simple fait des personnalités invitées, il s’agit d’un choix du réalisateur, qui ne «voulait pas faire un film objectif, ou faussement objectif». «Les prises de position restent subtiles, elles se situent surtout dans les intertitres, puis les titres, à la fin, quand je marque néolibéralisme ou néocolonialisme, la réponse est dans la question!», avoue-t-il honnêtement.

«Aux antipodes totales», selon ses propres mots, d’un type comme Michael Moore, qu’il qualifie de démagogue, Richard Brouillette insiste sur les recherches qu’il a effectuées tout au long de son projet. «Jusqu’à la dernière minute je vérifiais encore des informations.»

Il a aussi été cherché des intervenants comme Martin Masse, libertarien québécois, directeur du cybermagazine Le québécois libre et qui a été directeur des publications à l’Institut économique de Montréal, ou encore Jean-Luc Migué, économiste, l’un des plus grands experts internationaux de la théorie des choix publics. On peut rajouter du côté de la droite Filip Palda, enseignant à l’ÉNAP et membre de l’Institut Fraser, et Donald J. Boudreaux, directeur de la section économique de l’Université George Mason en Virginie.

La parole n’est donc pas uniquement orientée vers une critique du néolibéralisme. En fait, il s’agit de voir et de mettre en lumière les mécanismes qui ont permis à cette pensée née dans les années d’après-guerre, de devenir, selon Brouillette, le modèle idéologique dominant.

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Pensée dominante?

Est-ce que le néolibéralisme est la pensée dominante dans le monde? Impossible de répondre scientifiquement à cette question. Mais plusieurs éléments de réponse expliqués dans le film permettent de se faire une première idée.

L’argument serait que depuis la fondation de la Société du Mont Pèlerin, en 1947, les instituts de recherche néolibéraux, ces «think tanks» financés par des transnationales et des grandes fortunes, propagent inlassablement la pensée néolibérale au sein des universités, dans les médias…

Chacun se fera son opinion là-dessus, mais ce sont surtout les idées comme la déréglementation, les privatisations, la réduction de l’espace de l’État, privatiser les bénéfices, socialiser les pertes, et la place qu’elles occupent dans le paysage d’aujourd’hui qui permet d’apporter quelques réponses.

Protectionnisme américain

À y regarder de plus près, ce ne sont pas les pays que l’on pense les plus capitalistes, où que l’on qualifierait de néolibéraux, qui le sont le plus.

Les États-Unis ont toujours demandé moins de barrières financières, imposé leurs vues au FMI, à la Banque mondiale, mais sont les champions du protectionnisme et traînent derrière eux une dette énormissime, en grande partie due aux guerres menées au Viêtnam et en Iraq…

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La campagne «Buy American» est un énième exemple du protectionnisme américain. «Ce que les pays du G8 imposent à travers les FMI et la Banque mondiale, ils ne l’accepteraient jamais pour eux-mêmes», lâche Richard Brouillette, en écho au passage du documentaire sur le «consensus de Washington».

Exploitation du tiers-monde

On peut voir des traces de néolibéralisme dans les économies et la gestion de plusieurs pays du G8, comme la volonté de hausser les frais de scolarité, de réformer le système de santé pour que le privé ait sa part du gâteau, privatiser les transports en commun.

Mais cela n’a aucune commune mesure avec ce que subissent les pays pauvres ou du tiers-monde.

Ces mêmes pays qui doivent, pour obtenir de l’aide des institutions internationales, financées par les pays riches (qui donc imposent leurs conditions à l’octroi de prêts), libéraliser d’un coup leur économie, couper dans les dépenses de l’État, donc la santé, l’éducation, l’administration, mais surtout privatiser leurs ressources, pétrole, mines… qui seront gracieusement rachetées à faible prix par des multinationales occidentales.

«Je voulais faire l’inverse de ce qu’on voit à la TV», défend Richard Brouillette. En clair, donner une voix à la critique de l’économie capitaliste néolibérale, néconservatrice, appelez la comme vous voulez.

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La main invisible pointée du doigt

Dans le documentaire, les théories économiques, comme celles d’Adam Smith, de Ricardo, de Keynes de Friedman, en prennent toutes pour leur grade. Si on devait retenir une critique, on pourrait choisir celle que formulent plusieurs intervenants, dont un prof qui se fait appeler Oncle Bernard, sur la fameuse «main invisible» d’Adam Smith: l’idée que la poursuite d’intérêts personnels conduit à l’accroissement de la richesse collective.

Plusieurs pointent du doigt le fait que cela marche sur le papier, si on considère une information exacte et un taux d’incertitude proche de zéro. Il va sans dire que ce genre de situation n’arrive pas souvent.

La concurrence mène au monopole

Richard Brouillette explique quant à lui, à propos de la concurrence que l’idéologie néolibérale souhaite faire exister dans tous les domaines possibles et inimaginables, et dans l’éducation, qu’à terme, la concurrence mène relativement souvent à un monopole. Ce ne sont pas ni Microsoft ni Google qui vous diront le contraire.

Et ensuite, quand les citoyens se plaignent de se faire escroquer, qui doit intervenir? L’État.

La démonstration étant qu’un monopole public privatisé devient souvent un oligopole et termine en monopole privé.

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Le documentaire s’étire sur 2h40. Suite à la sortie du film en 2008, juste après le début de la crise financière, les critiques ont été très bonnes envers le travail de Richard Brouillette, qui n’en demandait pas tant, la conjoncture économique offrant déjà un parfait contexte!

L’encerclement, la démocratie dans les rets du néolibéralisme, de Richard Brouillette, avec Noam Chomsky, Ignacio Ramonet, Normand Baillargeon, Susan George, Omar Aktouf, Michel Chossudovsky, François Denord, Jean-Luc Migué, François Brune, Martin Masse, Filip Palda, Donald J. Boudreaux.

Privatiser les rivières!

À noter dans le documentaire de Richard Brouillette l’idée pour le moins irréalisable, à moins qu’on m’explique comment, de privatiser les rivières.

Cet argument sort de la bouche du libertarien Martin Masse, qui émet l’hypothèse que la privatisation des biens publics, qui selon lui n’ont aucune raison d’exister, pourrait changer un rapport à l’environnement. Il donne l’exemple des rivières en disant qu’un propriétaire privé n’aurait jamais laissé polluer son bout de rivière. Oui, et le type en aval qui refuse de l’argent en échange de la pollution, il fait comment si le type en amont accepte…

Un discours étonnant, par quelqu’un qui doit être assez intelligent pour comprendre que si le monde tournait comme il aurait peu de temps devant lui avant de se faire massacrer par quelqu’un de plus fort.

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Pas d’État, pas de police, ou privée, à la solde du plus offrant, oui faut faire jouer la concurrence jusqu’au bout, donc le plus riche, ou le plus fort s’en sort. L’homme est un loup pour l’homme, comme disait Hobbes.

Sympa le décor…
Il devrait monter une communauté libertarienne, dans le Grand Nord du Canada, je suis certain que ça marcherait.– GG

Auteur

  • Guillaume Garcia

    Petit, il voulait devenir Tintin: le toupet dans le vent, les pantalons retroussés, son appareil photo en bandoulière; il ne manquait que Milou! Il est devenu journaliste, passionné de politique, de culture et de sports.

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